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Pour comprendre cette notion, nous nous sommes particulièrement inspirés des travaux d’Alexandre Serres [4], de Christophe Deschamps [5] et de ceux du collectif dirigé par Véronique Mesguish [6].

Le terme de curation soulève de nombreuses interrogations. Dans un premier temps, le terme choisi est assez souvent considéré « laid » et inadapté. Ce choix est-il justifié ou est-ce une simple reprise du mot anglais « curation » ? Dans un second temps, on reproche à la curation d’être une pratique qui existait bien avant de l’appeler ainsi. Quel tournant sur la toile a engendré sa naissance ? Troisièmement, ceux qui pratiquent la curation sont parfois décriés. D’autres individus feraient la même chose qu’eux et en plus de manière plus réfléchie. Qui sont ces curators ?

Les trois sens de la curation

Au niveau étymologique, la curation provient du latin « curatio » qui signifie soin (curo, are = soigner) . Ce rapport à la médecine existe toujours. La curation est définie comme un moyen de traiter une maladie, une plaie [7]. Quel rapport avec les sciences de l’information ? De quoi souffrons-nous ? D’être dans une société où « trop d’information, tue l’information ». La curation peut alors être considérée comme un remède.

La curation provient également du terme anglais : curator. Le curator ou en français commissaire d’exposition est celui qui dans les musées « « prend soin » des œuvres dont il a la charge, les sélectionne pour une exposition, les met en valeur, etc…» [8] Ici, nous retrouvons les différentes tâches qui définissent la curation de contenus.

Enfin la curation fait référence à l’informatique avec la mise à jour manuelle d’une base de données [9]. Ce qui nous paraît intéressant ici c’est le terme « manuel ». Tout n’est pas fait par la machine. L’homme a un rôle important à jouer.

Le Web 2.0 donne naissance à la curation

La curation est une notion qui s’est développée à partir de la mise en place du Web 2.0. Malgré tout, nous trouvons un début d’idée dans les propos de Vannevar Bush en 1945. Cet ingénieur américain s’est intéressé à la manière de trier l’information et de la rendre accessible. Dans son article « As we may think » paru dans le magazine « The Atlantic Monthly » en juillet 1945, il a écrit : « Il y a une nouvelle profession de pionniers, ceux qui trouvent du plaisir à établir des pistes utiles, à travers l’énorme masse des archives courantes. L’héritage d’un maître devient, non seulement ses ajouts aux archives du monde, mais pour ses disciples l’ensemble du processus par lequel ils ont été élaborés [10]. »

Si donc dès la moitié du 20ème siècle, l’idée se dessine, il faudra attendre le début du 21ème siècle pour qu’elle devienne effective. En 2003, elle apparaît dans le cadre de la gestion des bases de données relative aux génomes. La curation consiste à sélectionner et nettoyer ces bases afin de créer des cartographies. Nous sommes alors dans un processus de datamining [10b]. En 2004, un important tournant a lieu dans la sphère du Web : la naissance du web 2.0. Celui-ci se définit comme le web social avec l’explosion des blogs, des wikis et des pratiques de social bookmarking. Le social bookmarking s’effectue à travers des outils tels que Delicious ou Diigo qui permettent de créer des signets qui pourront être partagés avec une communauté d’internautes. Tous ces nouveaux outils répondent aux besoins de « l’homo numéricus, un être social qui publie, partage, échange et enrichit des contenus de tous types [11».

Du côté outre-Atlantique, en 2008, Steve Rubell, dans son blog utilise le terme de « digital curator » et indique que ces personnes vont occuper une place importante sur le web. Robin Good donnera une définition de la curation : « art de trouver, d’agréger, de filtrer, de sélectionner et de republier des informations de qualité sur des thématiques spécifiques ou pour une audience ayant des centres d’intérêt particuliers [12] ». En 2009, Robert Scoble voit dans la curation une opportunité pour les entreprises de faire des profits substantiels. La même année, Rohit Bhargava rédige son manifeste pour la curation et définit le curator : « Un Content Curator est quelqu’un qui, continuellement, trouve, regroupe, organise et partage le contenu en ligne le meilleur et le plus pertinent sur un sujet spécifique  [13] ». En 2010, Steve Rosenbaum, dans son livre Curation Nation met en avant la curation comme remède à l’infobésité due à l’accroissement considérable de l’information sur le net : « la curation permet de trier l’information surabondante et de se concentrer sur ce qui est pertinent. [14] »

En France, c’est lors de la conférence Web 10 à Paris en 2010 et notamment lors de la présentation de Scoop-it que le terme de curation sera employé.

Compte tenu des définitions ci-dessus, nous pouvons dire que la curation permet de traiter l’information présente sur le net afin de la rendre plus accessible. Pour ce faire l’homme va intervenir. Un nouvel individu sur la toile apparaît : le curator. Le fait que dans ce système de surabondance de l’information, l’action de l’homme est primordiale s’explique pour Robert Debray par l’effet-jogging. Ce principe indique que malgré l’explosion de la voiture, les individus utilisent de plus en plus la course à pied. Il en va de même dans le domaine de l’information. Le développement des technologies ne met pas au rebut l’activité humaine bien au contraire il la sollicite  [15]. Véronique Mesguich va dans le même sens lorsqu’elle dit que : « les « outils froids » basés sur les algorithmes se rapprocheraient des « outils chauds » basés sur le relationnel et la médiation humaine [16] ».

Le curator : l’homme au cœur du système

Avant de nous intéresser à cet individu, nous voulons juste apporter une petite précision quant au choix du terme. Certains francisent le mot curator par curateur. Nous ne le ferons pas car pour le moment, les seules définitions explicites du curateur se réfèrent à la justice.

Le curator est donc bien évidemment celui qui pratique la curation. Comme nous l’avons dit, son rôle devient important pour se retrouver face à la masse considérable d’informations sur le net. Jacques Breillat parle d’aiguilleur du web [17], Alexandre Serres utilise le terme de médiateur [18].

Le problème qui se pose est que le curator n’est pas le seul à gérer et à transmettre l’information. Il existe des professions dont cette activité constitue le cœur de métier : journalistes, documentalistes ou encore les veilleurs professionnels. Quelles sont alors les spécificités du curator ? Premièrement, il n’intervient que sur la toile contrairement au journaliste qui prend son information sur le terrain ou au documentaliste qui s’intéresse à tous les supports d’informations. Deuxièmement, il est indépendant. Christophe Deschamps indique : « Le curator agit donc dans une double optique : celle de se constituer des archives personnelles mais également de mettre en avant son expertise [19]. Ce qui motive le curateur n’est pas l’accomplissement d’une mission définie mais l’accomplissement de soi ». Ceci nous amène à le comparer au veilleur professionnel. Véronique Duong sur son site [20] propose divers critères pour les différencier. Le veilleur gère l’information pour le cadre d’une entreprise, le curator agit pour lui-même. Ce sont ses passions et ses centres d’intérêt qui le poussent à traiter telle ou telle information. La curation, de fait, a un caractère subjectif alors que le veilleur gère de l’information à partir de critères définis par l’organisation pour laquelle il travaille. Le veilleur procède méthodiquement : il choisit les outils de curation qui sont les plus pertinents pour l’entreprise afin que celle-ci puisse prendre à bon escient ses décisions, il est perpétuellement en alerte et les sélections qu’il fait ne concernent que son commanditaire. La curation devient ici un outil de stratégie pour l’entreprise. Le curator, lui, ne s’impose pas toutes ces contraintes. Il agit davantage "au feeling". Nous venons donc de voir que le curator n’est pas lié par un lien de subordination à un employeur. La présence d’un contrat de travail permet de différencier le curator des professionnels. Qu’en est-il lorsque l’on souhaite le différencier d’autres individus qui traitent l’information présente sur le net pour eux-mêmes ? Le curator n’est pas un bloggeur même s’il commente les informations qu’il met en évidence, il n’écrit pas un billet. Le curator n’est pas non plus un « simple » chercheur car il a pour objectif de transmettre ce qu’il a découvert. Le curator enfin n’est pas un veilleur car il va en plus de partager l’information, la publier et l’éditorialiser en ajoutant son point de vue. Toutefois, il ne peut pas être curator sans au préalable avoir fait une activité de veille. Le site des documentalistes de l’académie de Besançon montre que cette gestion de l’information sur la toile fonctionne un peu comme des poupées russes. Le curateur englobe les fonctions de chercheur et de veilleur [21].

Ce sont donc les objectifs propres du curator qui vont permettre de le considérer tel. C’est lui aussi qui va décider du genre de curation qu’il souhaite mettre en œuvre. Rohit Bhargava a établi cinq modèles de curation [22]. Montrer ces modèles nous paraît intéressant pour comprendre que l’on peut faire différemment de la curation.

  • L’agrégation consiste comme son nom l’indique à agréger du contenu. Ici, nous sommes très proches de ce qui peut se faire sur un Netvibes.
  • La distillation permet d’extraire des idées essentielles pour en faire une analyse.
  • L’élévation permet de faire une extrapolation des tendances.
  • Le mash up ou, dit autrement, la juxtaposition a pour objectif de rassembler des informations disparates.
  • La chronologie permet d’afficher les articles de manière antéchronologique.

Par rapport à ces modèles, nous voyons bien que le curator peut vouloir soit devenir un expert d’un sujet, soit s’intéresser à plusieurs sujets en même temps sans forcément en être un connaisseur averti. Dans le premier cas, il sera amené à faire une réelle analyse de l’information qu’il aura lui-même sélectionnée. Dans le deuxième cas, il pourra « tout simplement » juxtaposer des informations qui lui paraissent pertinentes. Ces deux modèles ne sont pas antinomiques. Un même individu peut aussi bien être à la fois chevronné sur un sujet et en gérer d’autres en tant qu’amateur. Dans tous les cas, il sera amené à traiter l’information selon diverses étapes.

Notes de bas de page

[1] Wikipedia, Curation de contenu, mis à jour le 17.02.2014. Disponible sur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Curation_de_contenu

[2] Christophe Deschamps, Une offre foisonnante pour des usages émergents, in Mesguich Véronique et al., « Enjeux et dimensions »,Documentaliste-Sciences de l’Information, 2012/1 Vol. 49, p. 24-45. DOI : 10.3917/docsi.491.0024

[3] Frédéric Martinet, La curation c’est de la merde, 8 avril 2011. Disponible sur : http://www.actulligence.com/2011/04/08/curation-egal-merde/

[4] Alexandre Serres, « La curation de données », Bordeaux : conférence d’AS « Autour de la curation » ; programme et support, mis en ligne le 20 juin 2013. Disponible sur http://weburfist.univ-bordeaux.fr/journee-detude-co-organisee-par-lurfist-et-mediaquitaine-la-curation-de-donnees

[5] Christophe Deschamps, Vous avez dit « curation » ? (1), Définition, historique des pratiques, outils et usages, mis en ligne le 12 avril 2012. Disponible sur : http://www.adbs.fr/vous-avez-dit-curation-1-definition-historique-des-pratiques-outils-et-usages-115668.htm?RH=1266334869518

[6] Véronique Mesguich et al, Enjeux et dimensions, Documentaliste-Science de l’information, 2012/1, Vol 49, p : 24-45

[7] Collectif, Curation, mis en ligne le 30 mars 2014. Disponible sur : http://fr.wiktionary.org/wiki/curation

[8] Camille Alloing, Curation et veille : quelques différences fondamentales, in Véronique Mesguich et al, Enjeux et dimensions

[9] Collectif, Curation, mis en ligne le 30 mars 2014. Disponible sur : http://fr.wiktionary.org/wiki/curation

[10] Marie-Laure Malingre et Alexandre Serres, Diffuser les résultats de la veille avec les outils de « curation » : Scoop.it, URFIST Rennes, 8 novembre 2013, Disponible sur : http://fr.slideshare.net/UrfistRennes/diffuser-les-rsultats-de-la-veille-avec-les-outils-de-curation-scoopit-paperli

[10b] Datamining ou exploration de données : Opens external link in new windowhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Exploration_de_données

[11] Véronique Mesguich, Le curateur, cet animal social dans la jungle informationnelle, doc. précité

[12] Christophe Deschamps, Vous avez dit « curation », doc.précité 

[13] Pierre Tran, le guide de la curation ( 1) – les concepts, mis en ligne le 14 mars 2011, Disponible sur : http://pro.01net.com/editorial/529624/le-guide-de-la-curation-%281%29-les-concepts

[14] Pierre Tran, doc. Précité

[15] Zeboute, La curation ou l’effet jogging : retour en 1895, mis en ligne le 29 septembre 2012. Disponible sur : http://zeboute.wordpress.com/2012/09/29/curation-effet-jogging-bibliotheque/

[16] Véronique Mesguich, Le curateur, cet animal social dans la jungle informationnelle, doc. précité

[17] Jacques Breillat, Curateur digital : les aiguilleurs du Web, mis en ligne le 27 mai 2011. Disponible sur : http://jacques.breillat.fr/concepts/curateur-digital-les-aiguilleurs-du-web

[18] Alexandre Serres, Les outils de curation nous obligent à réinventer des mécanismes de confiance , in Véronique Mesgich et al, doc. précité

[19] Christophe Deschamps, Vous avez dit « curation », ? doc. précité

[20] http://autoveille.wordpress.com/2013/07/20/difference-entre-veille-et-curation-infographie/

[21]Stéphane Fontaine, La curation, j’y pense de plus en plus, mis en ligne le 19 janvier 2013. Disponible sur : http://missiontice.ac-besancon.fr/documentation/index.php/la-curation-jy-veille-de-plus-en-plus/

[22] Véronique Mesguich, La curation : le quatrième « c » de l’entreprise 2.0. Disponible sur : http://www.bivi.fonctions-documentaires.afnor.org/sites-autres/fonctions-documentaires/ofm/fonctions-documentaires/v/v-10-40/3