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L’exception pédagogique : les nouveaux accords (BOEN n°17 du 17 février 2011), bilan

par Géraldine Baudart-Alberti, DAJ-CNDP,
[mai 2011]

Mots clés : exception pédagogique, question juridique

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BOEN [Syl pour SavoirsCDI, 2011]
BOEN [Syl pour SavoirsCDI, 2011]

L’exception aux fins d’illustration à des fins d’enseignement et de recherche, ou exception  pédagogique, de l’article 122-5 3°e du code de la propriété intellectuelle, est entrée en vigueur le 1er janvier 2009, en application de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, loi de transposition de la directive européenne du 22 mai 2001.

Cependant, à ce jour, l’exception pédagogique est régie par trois accords, l’exception légale de l’article 122-5 3°e du Code de la propriété intellectuelle n’étant pas applicable en l’état.

En effet, antérieurement à cette disposition légale, des négociations étaient déjà en cours au vue d’établir un premier accord. Pour ne pas nuire à celles-ci, le législateur reporte l’entrée en vigueur de l’exception au 1er janvier 2009.

Il est utile de rappeler la notion d’exception pédagogique (point I), d’expliquer les raisons de l’application d’accords au détriment de l’exception inscrite dans le code de la propriété intellectuelle (point II). Le troisième point sera consacré à l’état des différents accords et leur validité, le quatrième sera consacré au champ d’application des accords en cours de validité.

I. La notion d’exception pédagogique

Le caractère exclusif du droit d’auteur et des droits voisins confère à leur titulaire le droit d’autoriser ou d’interdire toute représentation ou reproduction d’une œuvre ou d’un objet protégé [1]. L’exception est un « cas soumis à un régime particulier par l’effet d’une disposition spéciale dérogeant à une règle générale » [2]. Toute exception crée un régime particulier. Dans le cas de l’exception pédagogique, l’exception déroge en permettant à l’utilisateur d’effectuer des représentations ou des reproductions sans l’accord du titulaire des droits. L’exception à des fins d’enseignement et de recherche figurant à l’art. L. 122-5 3°e) du Code de la propriété intellectuelle a pour objectif de légaliser et de légitimer les actes de reproductions et de représentations d’œuvres protégées sans l’accord de leur auteur, à des fins d’enseignement et de recherche. [3]

II. Explications

L’exception de l’article L. 122-5 3°e du CPI n’est pas applicable en l’état. Outre l’explication historique citée ci-dessus, différentes raisons peuvent être précisées :

  • l’article L. 122-5 du CPI prévoit in fine un décret d’application. Le décret d’application est une norme réglementaire qui permet de préciser les modalités d’application d’une loi. Néanmoins, la décision ait été prise de ne pas édicter de décret d’application pour l’article 122-5 3°e) pour privilégier la relation contractuelle avec les sociétés de gestion des droits. Afin de préciser son application, les accords sectoriels ont par conséquent pris le relais ;
  • l’article 122-5 3°e du CPI dispose que les utilisations prévues par cet article seront « compensées par une rémunération négociée sur une base forfaitaire (…) ». Cette rédaction ne peut être lue que comme une condition suspensive. La rémunération serait en conséquence un événement futur incertain duquel dépendrait l’application du texte [4]. Or, le nombre d’intervenants ne permet pas d’établir cette rémunération globale. Les accords sectoriels y parviennent, comme leur nom l’indique, par secteur (signataires de l’accord). En outre, les représentants des auteurs ont des conditions d’application de l’exception qui sont différentes selon la nature de l’œuvre. Les accords sectoriels amènent en conséquence des conditions non contenues dans l’exception légale, qui engendrent une mise en œuvre plus restrictive.

III. Le temps des accords – Bilan

Lorsque les utilisations sont conformes aux accords, elles sont réputées être autorisées sans que les établissements ou les personnels aient à effectuer de démarches particulières auprès des auteurs des œuvres.
Cinq accords depuis 2006 ont été appliqués mais seuls trois sont en cours de validité en 2011.

Accords échus

  • accord conclu le 13 mars 2006. Il couvrait la période 2007-2008 et concernait les catégories d’œuvres suivantes :
    • œuvre cinématographique et audiovisuelle
    • œuvre musicale
    • livre
    • musique imprimée
    • publication périodique
    • œuvre des arts visuels
  • protocole d’accord transitoire sur l’utilisation des livres et de la musique imprimées, des publications périodiques et des œuvres des arts visuels à des fins d’illustrations des activités d’enseignement et de recherche conclu en 2009 et publié au BOEN n°34 du 17 septembre 2009. Il est arrivé à échéance le 31 décembre 2009.

Accords en cours de validité :

  • protocole d’accord transitoire pour l’utilisation des livres de la musique imprimée, des publications périodiques et des œuvres des arts visuels à des fins d’illustration des activités d’enseignement et de recherche, conclu le 8 décembre 2010 (BOEN n° 7 du 17 février 2011)
  • accord garantissant certains usages d’œuvres audiovisuelles (BOEN du 5 février 2010)
  • accord garantissant certains usages d’œuvres musicales (BOEN du 5 février 2010)
Exception pédagogique Ouvrage imprimé Périodiques Arts visuels Musique Image animé (audiovisuelle et cinématographique)
2007 Premier accord (échu)
2008
2009 Protocole (échu)  xxxxx  xxxxx
2010  xxxxx Accord n° 1 (avec tacite reconduction) Accord n° 2
(avec tacite reconduction)
2011 Protocole d'accord transitoire 2011
2012  xxxxx
2013

IV. Champ d’application des accords en cours de validité

[5]

Conditions communes

  • le respect du droit moral s’applique : le nom de l’auteur et la source doivent être clairement indiqués. Lorsqu’il s’agit d’un enregistrement musical, les artistes interprètes et l’éditeur doivent également être mentionnés lors de l’utilisation. La seule dérogation à cette règle est le fait que l’identification de l’auteur et de l’œuvre constitue l’objet de l’exercice pédagogique
  • l’œuvre doit être acquise régulièrement
  • les utilisations visées ne doivent donner lieu à aucune exploitation commerciale

Les deux derniers points constituent le respect du test en trois étapes inscrit à l’article 122-5 in fine du CPI et repris dans les accords. Ce principe énonce que les atteintes au droit exclusif de l’auteur ne doivent pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre.

Les accords permettent une illustration à l’aide des extraits d’œuvres ou de l’œuvre des arts visuels (la notion d’extrait pour ce type d’œuvre étant inopérante), dans le cadre de l’enseignement et de la recherche.

Accord relatif à la musique et accord relatif à l’image animée

Les œuvres visées par ces accords sont celles du secteur dont les ayants droits et leurs représentants ont confiés mandat aux sociétés de gestion collectives

  • pour l’image animée : PROCIREP
  • pour les œuvres musicales : SACEM, SACD, SDRM ou ADAMI, SCPP, SPPF, SPRE et SPEDIDAM

Les conditions générales restent inchangées par rapport aux accords échus. L’œuvre utilisée doit être mise en perspective pédagogique obligatoirement, c’est-à-dire être utilisée « à des fins d’illustrations des activités d’enseignement et de recherche ». Les œuvres ou extraits d’œuvres musicales et cinématographiques ou audiovisuelles doivent donc être inclus dans les travaux pédagogiques.

L’usage est strictement limité au cadre de la classe ou de l’établissement, pour les travaux pédagogiques des enseignants, des élèves, des étudiants ou les travaux de recherche, mais l’accord prévoit aussi des utilisations dans le cadre des sujets d’examens et de concours organisés à l’initiative et sous la responsabilité des établissements d’enseignement supérieur ou de recherche, à la condition que le public soit majoritairement composé d’élèves. Le terme du nouvel accord est d’application plus large car les anciens accords mentionnaient que le public devrait être strictement composé d’étudiants et de chercheurs.

Protocole d’accord transitoire pour l’utilisation des livres, de la musique imprimée, des publications périodiques et des œuvres des arts visuels à des fins d’illustration des activités d’enseignement et de recherche

Il donne une définition plus précise de la notion d’illustration à des fins d’enseignement et de recherche : « l’œuvre ou l’extrait d’œuvre doivent être utilisés uniquement pour éclairer ou étayer une discussion, un développement ou une argumentation formant la matière principale du cours des enseignants, des travaux pédagogiques des élèves et des étudiants ou des travaux de recherche ». Ceci ne remet pas en cause les cas spécifiques des épreuves, des examens et concours. Il ne peut y avoir de distribution aux élèves, étudiants ou chercheurs, de reproductions intégrales ou partielles d’œuvres visées par lui sur papier, celles-ci étant autorisées par des accords sur la reproduction par reprographie. [6]

Ce protocole reconduit le protocole d’accord transitoire du 15 juin 2009 ayant le même objet, l’accord étant toujours transitoire, les parties continueront les discussions pour notamment prévoir une gestion collective des droits.
Il précise les conditions d’application de l’article 122-5 3°e) du CPI fixant les contours de l’exception pédagogique pour les œuvres relatives aux livres, à la musique imprimée, aux publications périodiques et aux œuvres des arts visuels. Mais surtout, il autorise certains usages ne rentrant pas dans le champ de cette exception.

C’est l’article 6.1 qui crée la nouveauté dans cet accord. En effet, alors que l’exception pédagogique exclut de son champ d’application toutes œuvres réalisées pour une édition numérique de l’écrit, l’article 6.1 de l’accord prévoit cette possibilité d’exploitation.

Le protocole autorise

1. Dans la classe à la destination des élèves et des étudiants

  • La représentation des œuvres dans leur intégralité
  • Les reproductions numériques temporaires
  • Disposition spécifique pour les partitions
    • Les représentations en classe par projection collective
    • Les reproductions numériques graphiques temporaires exclusivement pour la représentation en classe par projection
    • Toutefois, l'autorisation n'est pas accordée pour les partitions qui sont en location chez des éditeurs.

2. Pour les examens permettant l’obtention d’un diplôme, titre ou grade délivré dans le cadre du service public de l’enseignement ou dans le sujet de concours de la fonction publique organisé par les ministères et pour les épreuves organisées dans les établissements dans le cadre de l’évaluation des élèves et des étudiants

  • l’incorporation d’extraits et de l’intégralité d’une œuvre des arts visuels est également autorisée. Ceci est étendu, c’est une nouveauté, pour les sujets des épreuves du concours général des lycées et du concours général des métiers.

3. Pour les colloques, séminaires et conférences

  • Utilisation autorisée d’extraits d’œuvres et d’œuvres d’arts visuels dans le cadre de colloques, séminaires et conférences organisés à l’initiative et sous la responsabilité des enseignements supérieur et de recherche, mais à la condition que le public soit majoritairement composé d’élèves et d’étudiants, d’enseignants et de chercheurs directement concernés.
  • Une nouveauté : une utilisation autorisée pour les colloques, séminaires et conférences organisés à l’intention des enseignants relevant du ministère de l’éducation nationale pour la préparation de leurs enseignements, donc pour la formation continue des enseignants.

4. La mise en ligne

  • La mise en ligne de travaux pédagogiques ou/et de recherche illustrés d’extraits et/ou d’œuvres des arts visuels n’est autorisée que sur l’intranet et l’extranet des établissements à la seule destination des élèves, étudiants, enseignants ou chercheurs qui y sont inscrits ou affectés et qui sont intéressés par ces travaux.
    • Il est à noter que cette mise en ligne doit faire l’objet d’une déclaration auprès des représentants des ayants-droits à l’adresse suivante : http://www.cfccopies.com/V2/cop/cop_ens_num_declaration.php
    • Ces travaux ne peuvent comporter plus de 20 œuvres des arts visuels
    • La reproduction doit être limitée à une définition de 400x400 pixels et avoir une résolution de 72 DPI
    • En outre, les extraits d’œuvre ne peuvent être référencés et indexés par des moteurs de recherche (intranet, extranet). Toutes les mesures techniques doivent être prises afin d’éviter ce référencement et cette indexation.
  • La mise en ligne de thèses, à l’exception des thèses incorporant des œuvres ou extraits d’œuvre de musique imprimée, est admise sur le réseau internet, sous les deux conditions suivantes
    • les extraits ou œuvres ne peuvent être extraits du document
    • l’auteur de la thèse ne doit pas avoir conclu avant la mise en ligne un contrat d’édition

5. L'archivage numérique

  • Il est autorisé aux enseignants ou chercheurs, et aux établissements auxquels ces personnels sont rattachés, d’archiver numériquement des travaux pédagogiques ou de recherche contenant des extraits d’œuvres et des œuvres des arts visuels, mais uniquement et exclusivement aux fins de conservation.

6. Le stockage numérique

  • Il est autorisé sans limitation de durée aux fins de conservation et de diffusion des versions officielles des thèses, nativement numériques, soutenues, contenant des extraits d’œuvres ou des œuvres des arts visuels, sous réserve des autorisations de diffusion consenties par l’auteur.

En conséquence, l’accord n’autorise pas une utilisation d’œuvres fixées sur support numérique (CD-ROM, site internet, etc…) sauf pour les œuvres des arts visuels. Seule la numérisation d’œuvres éditées sur papier est autorisée en vue d’une incorporation dans des travaux pédagogiques ou de recherche.

Le protocole utilise la notion d’extrait qu’il définit en fonction du type d’œuvres

1. Pour les musiques imprimées

  • L'extrait ne peut être supérieur à 20 % de l’œuvre
    • par travail pédagogique ou de recherche
    • par classe
    • par an
    • dans la limite de 3 pages consécutives d’une même œuvre

2. Pour les ouvrages de formation ou d’éducation musicale et les méthodes instrumentales

  • L'extrait ne peut excéder 5 % d’une même l’œuvre
    • par travail pédagogique ou de recherche
    • par classe
    • par an
    • dans la limite de 2 pages consécutives d’une même œuvre

3. Pour les publications périodiques imprimées

  • L'extrait peut s’entendre de la reprise intégrale d’un article.
    Il est convenu qu’un même travail pédagogique ou de recherche
    • ne peut inclure deux articles d’une même parution
    • ne peut excéder 10% de la pagination

4. Pour les œuvres des arts visuels (photo, arts graphiques, plastiques)

  • La forme intégrale est seule admise, l’extrait étant pour ce type d’œuvre inopérant.

5. Pour les livres

  • Au maximum 5 pages
    • par travail pédagogique ou de recherche
    • sans coupure
    • avec la reproduction en intégralité des œuvres des arts visuels qui y figurent
    • limite maximum de 20 % de pagination de l’ouvrage
  • Disposition spécifique pour le manuel scolaire
    • l’extrait ne peut excéder 4 pages consécutives
    • par travail pédagogique et de recherche
    • dans la limite de 5 % de pagination de l’ouvrage par classe et par an

Annexe 1 : tableau comparatif

Comparaison entre les différents régimes des accords relatif à l'exception pédagogique : tableau

Notes de bas de page

[1] Art. L. 111-1 CPI.

[2]Cornu, G. Vocabulaire juridique. 7ème éd., PUF:2005, point 1 b.

[3] Article L. 211-3 3° CPI pour les objets protégés par les droits voisins et l’article 342-3 4° pour les bases de données CPI

[4] Masserons, P. L’exception de pédagogie et de recherche : mise en œuvre après 2009. Légicom n° 39, 2007/6, p.57

[5] BOEN n°5 du 4 février 2010

[6] Article 2.2 et 6.1 dans note introductive du protocle voir BOEN n°7 du 17 février 2011.

[7] Nouveauté par rapport à l’exception pédagogique légale qui exclut l’utilisation des manuels scolaires.
Définition du manuel scolaire : « Sont considérés comme livres scolaires, au sens de l'alinéa 4 de l'article 3 de la loi du 10 août 1981 susvisée, les manuels et leur mode d'emploi, ainsi que les cahiers d'exercices et de travaux pratiques qui les complètent ou les ensembles de fiches qui s'y substituent, régulièrement utilisés dans le cadre de l'enseignement primaire, secondaire et préparatoire aux grandes écoles, ainsi que des formations au brevet de technicien supérieur, et conçus pour répondre à un programme préalablement défini ou agréé par les ministres concernés. La classe ou le niveau d'enseignement doit être imprimé sur la couverture ou la page de titre de l'ouvrage. » Décret n°85-862 du 8 août 1985 pris pour l'application de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 modifiée relative au prix du livre en ce qui concerne les livres scolaires et article D.314-128 code de l’éducation.