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par Valentine Favel-Kapoian, professeur documentaliste au collège de la Dombes (01),
[juin 2014]
Mots clés : ENT (environnement numérique de travail), enseignant-documentaliste, établissement du second degré
Lorsqu’on fait l’inventaire des services offerts par l’ENT, on imagine aisément les usages que les documentalistes pourraient en faire.
On peut même répartir ces usages entre les quatre missions des documentalistes telles que définies dans la circulaire de mission de 1986. Gérard Puimatto répertorie les rôles des documentalistes dans l’ENT pour chacun de ces champs de compétences :
Si L’ENT permet aux professeurs documentalistes d’intervenir dans l’ensemble de leurs missions, c’est aussi et avant tout un outil à la disposition des apprentissages des compétences informationnelles. Il suffit pour s’en convaincre de lire les 26 fiches pédagogiques imaginées par le Ministère [1]. Les activités présentées dans ces fiches sont regroupées autour de 7 axes :
en fonction de 5 objectifs :
Alors quoi ? L’ENT serait donc l’outil indispensable des professeurs documentalistes ? Une sorte de “couteau suisse” qui leur permettrait de remplir toutes leurs missions ? Mais suffit-il d’avoir un outil pour l’utiliser ? Comment cet outil s’intègre-t-il à ceux précédemment utilisés ? Et dans la pratique, quel retour avons-nous sur les utilisations actuelles ?
Les enquêtes nationales évoquées en première partie ne sont pas très disertes sur cette question, soit parce que cette catégorie d’enseignant n’a pas été distincte des autres dans les rapports, soit parce que les usages sont trop peu significatifs pour être mis en avant. L'enquête EVAluENT y consacre tout de même un paragraphe.
Oublions les résultats en rouge (certains prédominants...) pour nous concentrer sur les autres. Ceux-ci révèlent des usages plus diversifiés que la majorité des enseignants. “Enseignants et enseignants documentalistes utilisent l’ENT pour des pratiques différentes, notamment pour communiquer en dehors des cours avec les élèves (35% versus 43%), pour constituer des bases d’apprentissage (12% versus 34%), animer des séquences avec les classes (14% versus 33%) et préparer des documents (13% versus 33%), dialoguer en direct (22% versus 23%), faire collaborer les élèves entre eux (9% versus 19%)” nous dit le rapport.
Usages plus diversifiés et somme toute assez bien répartis entre les différents types de catégories de services. En effet, à l’inverse des autres enseignants, les professeurs documentalistes utilisent l’ensemble des services disponibles même si les outils de communication dominent. Essayons de regrouper ces usages et de les présenter à travers quelques exemples.
L’ENT trouve sa place à chaque étape de la recherche documentaire pour travailler sur les compétences informationnelles ou pour communiquer sur ces apprentissages à destination des élèves, des enseignants ou des parents. Il est donc à la fois outil d’apprentissage et vecteur de communication de celui-ci. C’est pour atteindre ce double objectif que les travaux d’élèves peuvent être publiés sur un blog de l’ENT [2].
Le blog peut être public ou privé, avec ou sans commentaires (avec modération ou non). Dans ce cas là, il sert surtout de substitut à une autre forme de publication et l’aspect n’est pas essentiel. Certaines plates formes de blog sont beaucoup plus riche graphiquement et ergonomiquement et offrent la possibilité de travailler aussi sur la mise en forme, l'ergonomie, la lecture sur écran. C’est le cas des blogs de Laclasse.com qui utilisent le système de gestion de contenu Wordpress. Dans l’exemple du blog Le labeur et la peine (projet des 4èmes 6 et 4èmes autour de l'enfance au XIXème siècle du collège Leprince Ringuet à Genas) [3], le blog est l’outil fédérateur d’un projet pluridisciplinaire (français, anglais, histoire géographie et documentation). Il est alimenté par les enseignants pour faire vivre le projet et par les élèves pour diffuser leurs travaux (comptes rendus de lecture et de visite, recherche thématique) et acquérir des habilités numériques (publication, participation à une production collective, rédaction de post…).
Le blog compte rendu de lecture est très largement utilisé. Il peut s’articuler autour d’un prix littéraire, être constitué exclusivement d’articles d’élèves et/ou aussi de propositions de lecture émanant d’enseignants, et la fonction “commentaire” peut être activée. Dans tous les cas de figure il s’agit d’inciter à la lecture plaisir mais aussi de travailler les compétences rédactionnelles des élèves par la rédaction de billets pour donner leur avis et/ou pour poster des commentaires en réaction aux billets des autres élèves.
Si on ne veut pas rendre publiques les rédactions des élèves, il est possible de donner comme consigne de déposer les travaux dans un espace dédié ou de l’envoyer par messagerie. Le travail sur l’ENT peut alors permettre de valider des compétences du B2i comme 1.1 - Utiliser, gérer des espaces de stockage à disposition ; 1.3 - Utiliser les logiciels et les services à disposition ; 3.1 – Saisir et mettre en page un texte ; 5.1 – Écrire, envoyer, diffuser, publier. Cette démarche est d’autant plus intéressante que l’application OBII est très souvent inter connectée dans l’ENT.
OBii (qui remplace GiBii et SITIZ), assure le suivi de l'acquisition des compétences du B2i en gérant les relations élèves-enseignants et l'organisation mise en place entre enseignants. Sa spécificité (contrairement à d’autres applications privées) est que la demande de validation est faite par l’élève. Dans un même espace sécurisé, l’élève peut donc réaliser son travail, le déposer, le partager, puis demander la validation des compétences B2i qu’il a mises en oeuvre dans l’activité.
La mise à disposition, dans un espace sécurisé et réservé, de moyens de communication grand public peut réellement faciliter leur utilisation à des fins pédagogiques. C’est le cas avec les forums ou les chats qui sont difficiles à manier lorsqu’ils sont proposés par des plates formes privées : difficulté pour contrôler les contenus des messages et leur accès, publicité polluante, etc. Face à ces difficultés, beaucoup d’enseignants sont réticents à utiliser les forums alors qu’ils sont très utiles pour travailler la communication asynchrone et la rédaction de textes courts.
De même, l’ENT peut permettre de faire réaliser un travail de veille, en l’associant à un outil grand public comme Scoop it. C’est la séquence proposée par l’académie de Toulouse sur
Journal de campagne présidentielle / Scoop it et dessin de presse. En voici un résumé : “ Ce travail a été mené avec une classe de seconde générale en ECJS en partenariat avec un professeur d’histoire sur le thème des élections présidentielles de 2012. L’objectif de ce travail est de faire produire aux élèves un journal de campagne numérique. Chaque groupe de trois élèves va être responsable d’une page centrée sur un candidat. Les sujets majeurs de la campagne devront être abordés uniquement par le biais du dessin de presse, et c’est notamment pour valoriser cet aspect visuel que nous avons choisi d’utiliser Scoop.it. Les différents Scoop.it réalisés seront valorisés en étant intégrés dans une rubrique de l’ENT, par le biais de la fonction export de l’outil.
On peut d’ailleurs croiser les objectifs et demander aux élèves de réaliser un travail de veille concernant un métier ou une filière professionnelle afin de les aider à construire leur projet professionnel. L’ENT est particulièrement utile pour l’orientation puisqu’il permet de diffuser des actualités (comme le forum des métiers, une rencontre avec des entreprises, etc.), d’associer un calendrier (rappels des dates pour l’orientation au lycée, par exemple), de mettre à disposition des ressources, de proposer une sélection de sites internet, d’échanger à travers un forum ou un blog, etc.
En se promenant sur Internet, on trouve d’autres usages documentaires de l’ENT, comme des enquêtes policières, des web radio ou des reproductions de
recherche documentaire d’élèves.
A l’inverse, il y a peu de scénarios pédagogiques proposés sur le sujet dans EDU'bases en documentation (8 fiches seulement). Mais il est vrai qu’une partie des activités des documentalistes n’est pas forcément aisée à retranscrire sous forme de scénario. C’est souvent le cas en ce qui concerne l’éducation aux usages raisonnés du numérique, qui relève plutôt d’une éducation quotidienne sous forme de consignes et de rappels que d’un cours structuré, même si de plus en plus de documentalistes font des séances pédagogiques sur l’identité numérique, les réalités économiques de l’Internet, les règles de la communication numérique, etc.
Lors de la première connexion, tout utilisateur de l’ENT doit valider la charte d’utilisation. La plupart du temps, on fait défiler le texte sans le lire et on coche rapidement la case demandée afin de passer à la phase suivante. Pourtant, cette première approche légale est un bon moyen d’aborder avec les élèves les questions des droits et devoirs de l’ENT en particulier, et de l’utilisation des services en ligne et de l’internet en général. Plus globalement, l'utilisation de l’ENT peut permettre d’aborder nombre de compétences demandées dans le domaine 2 du B2i (adopter une attitude responsable) et 5 (communiquer, échanger) et donc de travailler les compétences numériques incontournables pour faire des élèves des adultes responsables et autonomes [4]. L’ENT devient alors un terrain d’application qui permet d’acquérir des règles de bonne conduite et de former les élèves aux usages du numérique qui seront inévitablement associés à leurs pratiques professionnelles, quelles qu’elles soient. De même, parce que l’ENT offre des accès multiples à des ressources nombreuses et variées, il peut permettre aux élèves d’élaborer des stratégies de recherche documentaire et de les former à la maîtrise de l’information.
Une grande partie de solutions ENT propose des pages ou des rubriques CDI. C’est le cas pour Cybercollège42. La rubrique “Documentation CDI” permet d’activer des services comme un blog, un forum, des pages, un agenda, etc. Seul 1,1% des utilisateurs de cet ENT utilisent cette rubrique. Pourtant on sait que les documentalistes publient facilement sur Internet et communiquent aisément sur leurs activités. Ce n’est donc pas dans la réticence à la démarche qu’il faut trouver une explication à ce chiffre particulièrement bas mais bien dans l’existence de produits "concurrents" comme les sites d’établissement, les blogs de documentalistes, les portails grand public (Netvibes, entre autre) et, bien sûr, le portail e-sidoc. En effet, la fonction CMS du portail permet de rendre à peu près les mêmes services de valorisation de la base, de sélection documentaire et de communication que ceux offerts par les services de l’ENT [5].
Alors pourquoi publier dans l’ENT (en passant par l’administrateur ou le coordinateur) quand il est si facile de le faire ailleurs ? La plus value réside dans l'utilisation conjointe des services offerts par l’ENT. Christophe Poupet, professeur documentaliste en lycée polyvalent, utilise plusieurs briques de l’ENT afin de construire un véritable CDI virtuel. Le service documentaire en ligne e-sidoc regroupe le catalogue des ressources physiques disponibles dans l'établissement, l'accès à des ressources numériques et permet leur médiatisation vers les élèves (mais aussi les enseignants et les parents). Les TPE au lycée permettent l'articulation d'e-sidoc, d'Europresse (abonnement de presse en ligne) et de Moodle (dépôt de séquences pédagogiques et de tutoriels).
L’utilisation conjointe des services de l’ENT permet de dépasser la simple mise à disposition de ressources pour développer une culture informationnelle chez les élèves.C’est aussi la démarche d’Anne Delannoy qui en associant ressources internes et éditoriales, outils grand public et services de l’ENT, fait de la brique CDI de l’ENT un véritable CDI virtuel :
Briquedocumentaire 23 11_12 from annedelannoyLa première étape de mise en place d’un CDI virtuel passe par la diversification des ressources proposées en adéquation avec la politique documentaire de l’établissement. C’est d’ailleurs ce que font déjà les documentalistes, puisque l’enquête EvaLuent note que sont proposées des ressources variées, dont les références/dictionnaires (51%), les banques de données (17%) et les manuels numériques (9%).
Mais cette mise en cohérence de ressources et de services documentaires au profit d’une culture informationnelle et d’un apprentissage documentaire demande aux professeurs documentalistes de maîtriser totalement l’ENT et d’en connaître parfaitement les services, afin de savoir aussi en sortir lorsqu’il ne répond pas aux attentes. Cela demande donc une grande habileté numérique et une vision globale qui dépassent la politique documentaire. Pas sûr que nous ayons tous les capacités de prendre en main à cette échelle l’ENT. Plus modestement, beaucoup ont compris la force de cohésion de l’ENT en ce qui concerne la communication et sont, en collaboration avec le personnel de direction et de vie scolaire parfois, les grands ordonnateurs de celle-ci à l’échelle de l’établissement. C’est cette vision d’ensemble qui est peut-être la spécificité des documentalistes en tant qu’utilisateurs de l’ENT. Ce rôle à la fois transversal et politique du documentaliste justifie pleinement le choix des établissements qui confient au documentaliste la mission de référent numérique, qui est à la fois chargé de communication, conseiller-formateur, curateur et parfois même co-architecte de la politique d'établissement en matière de numérique.
Le champ des possibles pour les documentalistes dans l’ENT est vaste. Mais les obstacles sont nombreux : multiplication des solutions, problèmes techniques, concurrence des outils grands publics, etc, et surtout, manque de vision globale sur la plus value et l'interaction entre les services et les outils mis à disposition.
On peut tout faire avec l’ENT et rien à la fois. Comment faire pour contredire l’affirmation d’Eric Bruillard selon laquelle “Les ENT, ni innovation pédagogique ni innovation technique, constituent (avant tout) une innovation institutionnelle” [6]?
Sans doute la solution est-elle à chercher du côté de l’accompagnement qui ne doit pas se limiter à un seul accompagnement technique ou à la prise en main des outils. Bruno Devauchelle lorsqu’il aborde la question du développement des TICE dans les pratiques des enseignants fait le même constat [7].
Les recommandations faites par Sylvain Genevois et Dany Hamon pour le développement des ENT dans les collège de Seine-Saint-Denis vont dans le même sens [8] : “Nous formulons donc trois principaux axes de réflexion pour construire un véritable "projet ENT" à l'échelle de tous les collèges de Seine-Saint-Denis :
Un autre accompagnement serait un accompagnement où les catégories d’utilisateurs sera mixée : pourquoi aucune formation ENT ne se fait en présence d’élèves ou de parents, par exemple ?
Un autre accompagnement serait celui qui collerait au mieux aux projets de l’établissement et serait donc personnalisé selon le niveau des enseignants, les outils déjà en place, les objectifs pédagogiques et le projet d’établissement. Il s’agirait d'établir un projet ENT unique à chaque établissement [9].
Un autre accompagnement serait celui qui mettrait les élèves au coeur du projet ENT. Il s’agirait non plus de fonctionner par discipline ou par niveau mais par entrées pédagogiques : orientation, soutien scolaire, histoire des Arts, Education au numérique, littératie informationnelle, etc. Il faudrait alors que les ENT évoluent et proposent de véritables modules de e-learning comme des outils collaboratifs. Les élèves pourraient travailler en autonomie et devenir à leur tour “créateurs d’activités” : ainsi les ENT pourraient-ils devenir ce que Jean François Cerisier nomme “des espaces numériques de création” [10]. L'ENT ne se résumerait donc plus à un vaste champ des possibles pour les documentalistes, mais pourrait devenir enfin un vecteur d'évolution de nos pratiques quotidiennes.
[1] Eduscol. Fiches pédagogiques : exemples d'usages des ENT dans le second degré :http://eduscol.education.fr/cid55741/fiches-pedagogiques-dans-le-second-degre.html
[2] Les exemples d'usages de l'ENT Cybercollège42 nous sont proposés généreusement par Elsa Flore Thébault, professeur documentaliste au collège les Champs à Saint-Etienne (42).
[3] Les exemples de blog sur laclasse.com nous ont été proposé généreusement par Caroline Guédan, professeur documentaliste au collège Leprince Ringuet à Genas (69).
[4] Périne Brotcorne et Gérard Valenduc. Les compétences numériques et les inégalités dans les usages d'internet. Comment réduire ces inégalités ? Consultable à l'adresse : http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=LCN_051_0045
[5] Voir par exemple le diaporama "utiliser e-sidoc pour communiquer et rendre visibles les activités pédagogiques" en ligne : http://fr.calameo.com/read/0030289441726057fd418
[6] Eric Bruillard. Le déploiement des ENT dans l'enseignement secondaire : entre acteurs multiples, dénis et illusions. Revue française de pédagogie, n°177, oct-déc. 2011, p.106
[7] Bruno Devauchelle. Numérique : détourner ou contourner ? Café pédagogique, 28 mars 2014. Consultable à l'adresse : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/03/28032014Article635315882999860950.aspx
[8] Sylvain Genevois et Dany Hamon. ENT 93 - Rapport de recherche sur les usages des ENT dans les collèges de Seine-Saint-Denis. Consultable à l'adresse :http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00991475
[9] cf. travail du groupe ENT de la DANE de l'académie de Lyon : https://www2.ac-lyon.fr/serv_ress/mission_tice/wiki/utiliser-ent/un-ent-questce-que-cest#le_projet_ent
[10] Julien, Aurélie. Les ENT vont-ils devenir des espaces numériques de création ? Ludomag, 01 juin 2014. Consultable à l'adresse : http://www.ludovia.com/2014/06/les-ent-vont-ils-devenir-des-espaces-numeriques-de-creation/