S’inscrivant dans les pas de Jean-Louis Barrault qui, de 1943 à 1981, avait relevé le défi de porter à la scène une pièce réputée injouable, Antoine Vitez franchit un pas de plus. Il met en scène le texte dans sa démesure initiale, alors que Barrault proposait un texte abrégé, une « version pour la scène ». L’intégrale du Soulier de satin est ainsi annoncée pour le festival d’Avignon de 1987 au milieu de l’incrédulité, souvent un peu moqueuse, d’une partie du monde théâtral (ressassement du trop fameux mot de Sacha Guitry : « Heureusement qu’on n’a pas eu la paire ! »). Deux ans plus tôt, pourtant, l’adaptation de l’épopée indienne du Mahabharata par Jean-Claude Carrière et Peter Brook, dans les carrières de Boulbon, avait apporté au directeur du festival, Alain Crombecque, la certitude que la longueur inhabituelle d’un spectacle – neuf heures – ne faisait pas fuir le public. C’est la cour du palais des Papes qui accueille cette nouvelle pièce au long cours : d’abord jouée en deux moitiés deux jours successifs, Le Soulier de satin est ensuite représenté en une seule fois, de neuf heures du soir à neuf heures du matin, dans la nuit du 9 au 10 juillet 1987. Le spectacle entrait ainsi dans la légende d’Avignon, ce qui fit dire à Éloi Recoing, assistant à la mise en scène, que Vitez fut « l’ouvrier d’un rêve ».