Tim Berners-Lee (1955- )

par Christophe Dubois,
[août 2011]

Mots clés : Berners-Lee, Tim : 1955-, web

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Tim Berners Lee [http://public.web.cern.ch/public/fr/About/Web-fr.html]
Tim Berners Lee [http://public.web.cern.ch/public/fr/About/Web-fr.html]

Il pourrait paraître étonnant de faire une place dans notre galerie de portraits d'illustres contributeurs à l'histoire de la documentation à un informaticien, physicien de formation et de surcroît contemporain. Pourtant c'est bel et bien une motivation 'documentaire', d'organisation et de partage de la connaissance qui l'a mené à mettre en place un système de gestion de l'information en réseau. S’intéresser aux travaux de Tim Berners-Lee, c’est pour nous un moyen de rester dans la course technologique d’un point de vue conceptuel et être à même d’y accompagner nos élèves.

Le web naît au CERN

C'est à la frontière franco-suisse qu'est né le web, osons dire sous les fenêtres du domaine de Ferney, refuge qu’affectionnait tant Voltaire, engagé à la défense de la vérité, de la justice et de la liberté de penser.
A la fin des années 1980, TIMBL (on nous permettra cet acronyme pour Tim Berners-Lee, emprunté à son Timbl's Blog  http://dig.csail.mit.edu/breadcrumbs/blog/4), TIMBL, donc, travaille en effet près de Genève pour l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire. Nucléaire, au sens de recherche sur le noyau, intérieur de l'atome, s’entend. Cette organisation internationale est davantage connue sous le sigle CERN, Conseil européen pour la Recherche nucléaire, nom qu'elle a porté de 1952 à 1954. Le prestigieux CERN est aussi connu aujourd'hui sous le nom de Laboratoire européen pour la physique des particules : il se consacre à la recherche scientifique fondamentale. Pour comprendre les circonstances qui ont conduit à la naissance du web, il est nécessaire de bien se représenter le fonctionnement du CERN.
Son site officiel déclare : « L’aventure de la science permet aux nations de s'unir en vue d'un but commun. De nombreuses expériences du CERN sont des collaborations internationales. Le Laboratoire accueille chaque année de nombreux physiciens venus des quatre coins du monde. Certains viennent pour un séminaire, d’autres restent des mois, voire des années à travailler sur une expérience.
Ces allées et venues permanentes ne sont pas seulement l’occasion de confronter de nouvelles idées pour la physique, elles permettent aussi une rencontre des cultures très enrichissante pour le Laboratoire. Grâce aux échanges entre chercheurs de toutes nationalités et aux visiteurs, les idées circulent et forment la sève du CERN. » (source : http://public.web.cern.ch/public/fr/People/People-fr.html).Cette brève description  nous permet rapidement de comprendre les sentiments qui animaient l’informaticien britannique devant la masse de contributions, d'informations, d'études, de recherche, ce fourmillement international de milliers de scientifiques et la difficulté de l'organisation de l'information et de son partage, non pas seulement sur place dans le canton de Genève, mais aux quatre coins du monde. Son défi – une nécessité impérative à ses yeux : créer un moyen simple et efficace – et pourquoi pas convivial - qui permettrait de communiquer à l'échelle planétaire par ordinateurs.
En 1989, existait déjà bien sûr le réseau internet qui maillait la planète et par lequel circulaient des données. On avait déjà travaillé sur le concept de l'hypertexte. Que restait-il donc à inventer ? Voici ce qu'explique très modestement TIMBL :  « I just had to take the hypertext idea and connect it to the TCP and DNS ideas and — ta-da! — the World Wide Web. »  ( «  Je n'avais qu'à reprendre le principe de l’hypertexte et l'associer aux principes du TCP et du DNS et  – voilà ! –  le World Wide Web était né ! » ) (Source : http://www.w3.org/People/Berners-Lee/Kids ).

Il venait de conceptualiser (peut-être pas aussi facilement qu’il ne le dit ! ) le système qui permettrait de  naviguer d'une information à l'autre, d'un simple clic, dirait-on aujourd'hui, et directement depuis son ordinateur de bureau.
TIMBL adresse son projet de gestion de l'information à sa direction au CERN : on lira avec intérêt (mais en anglais) la proposition qu'il rédige en ce sens  : http://www.w3.org/History/1989/proposal.html. Il devient donc possible d’optimiser la construction de connaissances basées sur des données variées dispersées dans nombre de documents, conservées, mises en relation et d'accès autonome et immédiat à distance. Et ce dans un contexte de brassage permanent de chercheurs et théoriciens ainsi que d’éloignement géographique.

Grâce donc à la vision de TIMBL, au feu vert de la direction du CERN, et des travaux de son collègue belge Robert Cailliau, ingénieur système, est né le web, une application conviviale de consultation à distance de pages d'informations multimédias, qui permettra quelque deux années plus tard à l’internet de s'ouvrir à un large public. L'inventeur a hésité pour baptiser son invention dont il avait perçu l'intérêt mondial : Maillage d'informations, Mine d'informations, La Mine d'information (The Information Mine - dont le sigle TIM correspondait à son prénom Tim ! ). On s'est arrêté sur La Toile mondiale : Word wide web. Cette invention a été offerte au monde sans brevet ni droit à partir de l'été 1991, en adéquation avec la politique générale du CERN.

Standards et recommandations

TIMBL ne s'arrêtera pas à la mise en oeuvre de son application première, de sa toile, mais poursuivra sa réflexion et la poursuit encore. En prenant son essor le web s'est transformé, complexifié et d'innombrables applications s'y sont agrégées et continuent de naître chaque jour.
Le web documentaire qui donne accès à l'information mise à disposition sur les sites est devenu, avec l'arrivée de nouvelles technologies, un web plus participatif qui donne à chacun le moyen de contribuer.
Ce mouvement perpétuel vers l'avant a rapidement posé la question de la normalisation et de la compatibilité des technologies toujours plus nombreuses à voir le jour. Comment atteindre le potentiel maximal du Web tout en garantissant sa stabilité ?
Dans cette perspective, TIMBL quitte donc le CERN en 1994 et fonde le World Wide Web Consortium, regroupement de sociétés dont l'objectif est de fournir des standards et des recommandations : HTML, XHTML, XML, RDF, CSS, PNG, SVG, SOAP…   TIMBL supervise toujours ce consortium. Voir le site officiel du W3C : http://www.w3.org/

Web des données

Le projet qui occupe aujourd'hui Berners-Lee est celui qu'il nomma en 2001 « web sémantique ». Il est en effet devenu nécessaire de se tourner vers un web plus structuré et dans lequel les données priment sur le document. TIMBL est revenu depuis sur cette appellation lui préférant « web des données », et qu'on connaît aussi couramment sous le nom de web 3. Il ne s'agit pas en effet principalement de créer du sens autour des données, mais plutôt d'établir des liens entre les données par le moyen d'une description normalisée qui permette dans le cadre d'une même requête de recherche d'associer simultanément non pas des documents mais des données situées dans différents fichiers ou bases de données. Le qualificatif 'sémantique' étant désormais entré dans nos usages, nous le garderons cependant.

La construction du « web sémantique » sera-t-elle seulement un travail de professionnels de la gestion de l’information ? Ou tout contributeur du web y aura-t-il sa part ?
Michèle Hudon (Organisation des connaissances et des ressources documentaires : de l’organisation hiérarchique centralisée à l’organisation sociale distribuée. Les Cahiers du numérique, 2010/3, Vol. 6) analyse ainsi le mouvement vers un web sémantisé :  « Le travail de reconstruction sémantisée de l’information en ligne doit se faire à la fois de façon automatisée (data mining), mais également humaine, ce qui rejoint les propos tenus par Berners-Lee (2001) : le web sémantique est ‘une extension du web actuel dans laquelle l’information se voit associée à un sens bien défini améliorant la capacité des ordinateurs et des hommes à travailler en coopération’. De ce fait, nos efforts doivent être centrés sur l’amélioration des outils d’indexation existants, tout en nous focalisant sur l’acquisition de nouvelles données basées sur les schémas rdf. »
Les ontologies [1] permettent aux machines de lier les données entre elles. Mais ces liens, à en croire Michèle Hudon ne pourront se passer de l’intervention sociale, par le biais de ‘folksontologies’, comparables aux folksonomies du web 2 (systèmes de classification collaborative basée sur une indexation personnelle élaborée par les usagers), auxquelles nous sommes désormais habitués.

Toujours dans cette même veine, en 2009, à la conférence TED (Technology Entertainment Design), Tim Berners-Lee décrit le projet qui l’occupe désormais activement « Linked data » dont l'objectif consiste à décrire une méthode pour exposer, partager et connecter les données via des URI sur le WEB. (Un URI, Uniform Resource Identifier, est une courte chaîne de caractères identifiant une ressource sur un réseau). On appréciera de visionner son intervention en ligne (en anglais mais avec sous-titre en français)http://www.dailymotion.com/video/x8omty_tim-berners-lee-the-next-web-of-ope_tech


Tim Berners-Lee: The next Web of open, linked data

Dates clés

8 juin 1955 : naissance à Londres
1973-1976 : études de physique à l'université d'Oxford. Maîtrise de physique mention très bien.
1976-1984 : Dans deux entreprises, puis en tant que consultant indépendant, il travaille sur  les systèmes de transactions distribués, les relais de messages,  la technologie des codes à barres. ll développe un logiciel de typographie pour imprimantes intelligentes, un système d'exploitation multitâche et un système d'extension de macros générique. Il développe  un programme de stockage des informations, en y incluant des associations aléatoires (programme nommé "Enquire")
1984 : il entre au CERN
1989 : au CERN, il crée l'application  World Wide Web
1990- : il développe les trois technologies du web : les adresses web, le protocole de transfert hypertexte HTTP, et le langage hypertexte HTML
1994 : il quitte le CERN pour le  MIT, Massachusetts Institute of  technology. On lui confie  la chaire Computer Communication Compatibility au Laboratory for Computer Science. Il fonde et préside le World Wide Web Consortium (W3C)
Juillet 2004 : il est anoblit par Elizabeth II qui lui confère le titre de chevalier commandeur de l'Ordre de l'Empire britannique,  pour le développement global d'Internet.
Décembre 2004 : il prend la chaire de Science de l’Informatique à la School of Electronics and Computer Science de l’université de Southampton au Royaume-Uni.
2005 : l'Allemagne lui décerne le prix Quadriga en tant que « l'un des deux plus importants scientifiques du XXe siècle, aux côtés d'Albert Einstein ».
2007 : la reine Élizabeth II lui confère l'ordre du Mérite
2009 : il reçoit le titre de Docteur Honoris causa de l'université de Liège, Belgique
2009 : à la conférence annuelle Technology Entertainment Design, Californie,  il présente projet son « Linked data »

Conclusion

TIMBL a proposé au monde la documentation un outil extraordinaire. Il a révolutionné nos pratiques et celles de nos élèves : le B2i, le PACIFI - est-il besoin de le rappeler ? - en témoignent.  Aujourd’hui nos élèves surfent sur le web, pour certains indexent leurs contenus sociaux (ils "hashtaguent" leurs tweets par exemple). Demain, ils participeront sûrement au "web des données" par le moyen de "folksontologies". Comment les accompagner dès aujourd’hui sur ces terrains ?
TIMBL, nous l’avons vu, n'est pas un 'simple' technicien : son engagement est bel et bien le partage organisé de l'information dans un but de construction de la connaissance. En ce sens nos préoccupations professionnelles se rejoignent.  Le web ne prive donc pas les professeurs-documentalistes d'avenir. Bien au contraire, il nous pose des défis en termes de formation professionnelle et d'objectifs pédagogiques. Son évolution nous pousse à réinventer en permanence le sens de notre action en CDI, en nous rappelant que maîtrise des technologies numériques et documentation sont désormais liées de manière indissoluble.

Notes de bas de page

[1] Une ontologie cherche à représenter le sens des concepts et des relations qui les lient, selon Web sémantique, http://websemantique.org/Ontologie

 

Pour aller plus loin