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par Christophe Dubois,
[septembre 2012]
Mots clés : pédagogie active, paix
Nombreuses sont les écoles « Montessori » de par le monde, et certains illustres personnages, tels Brin et Page, fondateurs de Google, en ont fréquenté les rangs. Si ces écoles sont présentes en France, l'Education nationale, quant à elle, ne se réfère pas explicitement aux principes pédagogiques du docteur italien. Il nous a cependant paru intéressant de proposer la biographie de ce pédagogue, qui, tel Célestin Freinet, a contribué aussi, même indirectement, à l'avancée progressive des pratiques pédagogiques dans nos classes, et sûrement aussi dans nos CDI. Pour ce retour sur la vie de Maria Montessori, nous avons choisi une entrée spécifique, celle de l'éducation à la paix.
1870 : naissance à Chiaravalle, province d'Ancône, Italie.
1883 : installation de la famille à Rome
1896 : Maria Montessori obtient son titre de docteur en médecine. Elle devient la première femme médecin en Italie.
1898 : au congrès pédagogique de Turin, elle présente un rapport d'éducation morale dont l'orientation est nettement pédagogique. Elle obtient la charge d'un cours sur l'éducation des ‘enfants arriérés' (école orthophrénique).
1904 : elle obtient la chaire d'anthropologie pédagogique à l'Université de Rome
1907 : elle fonde la "Casa dei bambini" (Maison des enfants) au cœur du quartier populaire de San Lorenzo, Rome. Suivront de nombreuses ouvertures d'écoles Montessori dans le monde entier, et notamment en Amérique.
1929 : elle fonde l'Association Montessori Internationale.
1932-1939 : Maria Montessori participe à des congrès dont l'axe principal est la paix. En 1932, son discours à l'Office International de Genève définit les fondements d'une éducation pour la paix.
1952 : décès aux Pays-Bas.
Maria Montessori est née en 1870 dans un village de la province italienne d'Ancône, mais dès l'âge de treize ans, elle se retrouve à Rome, où sa famille vient de s'installer. Maria développe très vite des aspirations qui se heurteront à la réticence, sinon à l'opposition de son père : elle veut devenir ingénieur, puis son projet s'affinant, veut étudier la biologie et la médecine. Cette ambition ne sied pas à une jeune fille italienne en cette fin de 19ème siècle. Mais qu'à cela ne tienne !, contre vents et marées, Maria s'engage dans des études de médecine et est diplômée en 1896. Elle est la première femme italienne médecin ! Peut-être faut-il déjà voir là une première étape, un socle pour sa future vision pédagogique : l'enfant doit pouvoir être amené à développer un projet qui corresponde à ses envies et aptitudes propres, un projet qui serait le sien et non celui qu'on formerait pour lui.
C'est paradoxalement sa profession de médecin qui va l'amener à s'interroger sur la pédagogie. Nous y reviendrons. Mais d'abord, il nous faut parler du contexte historique qui a eu une influence considérable sur sa réflexion.
Une éducation à la paix est-elle possible ? » Cette question n'a pas été posée par Maria Montessori, mais par Jean Piaget, en 1934 [1]. Cette question a rapidement été au centre de sa réflexion, et bien sûr dès avant 1934. Tout comme elle a marqué la démarche de Célestin Freinet. La question est de savoir s'il est possible de promouvoir une éducation qui enraye la spirale agressive et guerrière que l'éducation traditionnelle, nationaliste, semble impliquer. Cette question est capitale pour la génération de Maria Montessori qui a vécu les deux guerres mondiales. Elle avait 44 ans lorsque le monde a sombré dans le premier conflit mondial, qui a généré un traumatisme d'une ampleur jamais égalée. Seulement une vingtaine d'années de paix, puis de nouveau la guerre et sa folie meurtrière. Un profond désir de paix a rapidement animé Maria Montessori, un désir de paix, qui était une caractéristique de l'éducation nouvelle dès ses débuts.
Le postulat de départ de Maria Montessori est de nier qu'il y aurait nécessité de conflits dans les relations humaines. Par nature, la paix est donc possible et cette attitude doit être valorisée dès l'école. Elle doit être valorisée car il y a nécessité impérieuse de mettre un terme aux conflits nationaux. Il ne s'agit pas seulement d'enseigner la paix, mais d'amener l'enfant à la paix par une éducation dont le moteur ne serait pas le conflit (avec ses notions d'adversaires et d'ennemis), mais au contraire, le respect de ses aspirations d'apprenant, un respect le conduisant à une attitude pacifique grâce au chemin de la liberté et de l'autonomie qui lui sont accordées. La mise en place des moyens d'épanouissement de l'enfant à l'école lui permettront de développer ses potentialités et donc d'éviter de nourrir des frustrations qui sont à l'origine de l'agressivité à l'égard de l'autre. Prendre en compte les désirs de l'enfant est donc un axe de l'éducation à la paix. Ses forces n'étant pas formatées par l'éducation, il sera d'autant moins enclin à reproduire les schémas culturels agressifs qui mènent aux guerres.
Par ailleurs, un enfant qui n'aurait pas été à même de se développer en autonomie se préparerait à devenir un adulte prêt à se résigner à une obéissance à des ordres en opposition avec le droit et la justice.
Enfin, l'esprit de compétition que valorise l'école traditionnelle, pour Maria Montessori, est une entrave à la considération de l'autre et à la coopération en vue de l'émergence d'un monde plus juste pour tous.
De 1932 à 1939, elle participe à des congrès dont l'objectif premier concerne la paix. Ainsi, en 1932, elle prononce un discours à l'Office International de Genève et propose ses fondements pour l'éducation pour la paix.
Nous l'avons déjà signalé : Maria Montessori est médecin depuis 1896. C'est à la clinique psychiatrique de l'Université de Rome qu'elle fait ses premières armes.. Les enfants des asiles avec qui elle est désormais en contact, et qu'elle qualifie de 'merveilleux' sont bien souvent dans une attitude de rejet et de violence à l'encontre d'adultes qu'ils considèrent comme leurs ennemis. L'univers de ces asiles choque profondément Maria : les enfants sont entassés dans des salles communes sans distinction de pathologie. Ils reçoivent peu de soins : ils sont étiquetés 'idiots'. Il faut donc changer le regard porté sur ses enfants et chercher les moyens de les intégrer dans la société en s'appuyant sur leurs désirs et en répondant à leurs besoins propres.
Elle commence alors à nourrir le projet de convaincre les hommes du droit inaliénable de tout être humain à être reconnu et respecté, sans distinction de statut social ou de caractéristiques physiques ou cognitives. Ces enfants 'arriérés' lui ont donné la conviction de la nécessité de renouveler l'éducation et de combattre les préjugés.
En 1898, elle présente dans le cadre d'un congrès à Turin un rapport d'éducation morale dont l'orientation était plus nettement pédagogique que médicale. Par suite, on la charge d'un cours sur l'éducation des enfants 'arriérés' à l'école orthophrénique. (L'orthophrénie est l'art de diriger les facultés intellectuelles.) Cette expérience fut probablement décisive pour la suite de sa carrière et de sa réflexion.
Enseignant elle-même des enfants en difficulté cognitive, elle constate l'inefficacité des méthodes traditionnelles et entrevoit rapidement la généralisation de nouvelles attitudes pédagogiques dans tout contexte scolaire, pas seulement lié à des enfants à besoins particuliers. Elle se lance dans l'approfondissement des travaux de Jean Itard, d'Edouard Seguin, se penche sur Rousseau… pour élaborer une stratégie pédagogique fondée sur la liberté, l'aide et le respect.
Théoriser ne l'intéressait que dans une perspective d'expérimentation. C'est ainsi qu'en janvier 1907, à l'invitation de l'Instituto romano dei beni stabili, qui tente d'améliorer les conditions de vie de la population, elle ouvre la « Casa dei bambini » (maison des enfants), où elle scolarise les enfants des rues du quartier de San Lorenzo à Rome. Ils ont entre 3 et 7 ans. C'est une maison, plutôt qu'une école : l'enseignante est logée sur place et une cinquantaine d'enfants y sont accueillis. Le temps et le lieu pédagogique est commun. Rapidement la petite communauté se calme, s'ordonne et découvre la joie d'apprendre. Il faut imaginer un environnement qui en tout point soit adapté, proportionné à l'enfant, facilitateur. Il est ainsi libre d'opérer des choix d'activité, de rectifier en autonomie des erreurs qu'il aura détectées lui-même et ainsi évaluer ses propres progrès. Des objets variés sont à sa disposition (cylindres, cubes, …) : il touche, manie, compare, différencie… Il crée, il invente, il imite. Il nomme l'objet, ses caractéristiques. L'éducatrice l'accompagne : il perçoit qu'il est libre d'agir et d'apprendre, que l'inactivité est finalement la seule attitude qu'il ait à éviter.
Quelques mois plus tard, une seconde Casa dei bambini est ouverte et le mouvement fait tache d'huile et se répand au-delà des frontières italiennes avant la première guerre mondiale. A Londres, elle organise la formation de près de 5000 éducateurs Montessori. En 1917, à l'occasion de la Grande Exposition universelle, Maria est invitée aux Etats-Unis pour présenter des conférences. De 1921 à 1931, dans le cadre de la ligue internationale pour l'éducation nouvelle, elle échange avec Adolphe Ferrière, John Dewey ou Roger Cousinet et participe à de nombreux congrès. La montée du fascisme en Italie la décide à quitter son pays, d'abord pour l'Espagne, puis l'Angleterre et la Hollande. En 1939, elle part pour l'Inde où elle rencontre Gandhi et fonde là-bas aussi des écoles.
L'idée est d'abord de ne pas considérer l'enfant comme un adulte en miniature. Il a ses propres rythmes d'activité, des propres activités naturelles. Il est également une personne autonome, qui a une personnalité propre.
Il faut donc créer un environnement qui réponde aux besoins physiques, intellectuels et spirituels de l'enfant. Cet environnement lui assure la possibilité d'agir librement. Cette liberté individuelle associée le mettra en situation de trouver les motivations nécessaires à la réalisation d'activités constructives qui correspondent à ses propres besoins en développement. L'enfant se forme donc lui-même et n'est pas en posture de lutte contre le monde extérieur ou de compétition avec ses pairs. Heureux, l'enfant goûte progressivement au plaisir du travail, et en est demandeur.
L'enseignant adulte occupe quant à lui un rôle de guide. Pour l'assumer de manière pertinente, il doit connaître les processus de développement intellectuel de l'élève. Il se retient de le surprotéger, de lui dicter des activités ou de l'amener à agir sans tenir compte de ses besoins.
Répondant à la question du sens même de l'éducation, Jean-Paul Resweber donne la parole à Maria Montessori et commente : « Pourquoi éduquer ? Parce qu'« un homme est caché, un enfant inconnu, un être vivant séquestré qu'il faut libérer ». C'est cette exigence de libération qui définit la méthode dont les deux piliers sont le travail individuel (répétition de l'exercice, libre choix, contrôle du travail, analyse des mouvements, exercices de silence…, écriture indépendante de la lecture, écriture précédant la lecture…) et l'abolition des récompenses et des punitions (abolition des syllabaires, des leçons collectives, des examens, de la chaire du maître…). Montessori insiste sur le fait qu'il faut discipliner l'activité et non l'enfant. Car l'éducation vise la maîtrise du monde extérieur par la découverte de l'ordre symbolique qui distingue, sépare, classe et hiérarchise. » [2]
Le docteur Montessori a consacré sa vie à la pédagogie plus qu'à la médecine. Son ancrage dans le mouvement de l'éducation nouvelle n'est pas sans nous rappeler que c'est à la même époque, principalement dans la première moitié du 20ème siècle, que la documentation et le monde des bibliothèques ont été eux aussi traversée d'un élan d'ampleur mondiale qui a collé à l'évolution générale de la société et de l'intérêt accordé aux besoins des individus. Si aujourd'hui de nombreuses écoles de par le monde et en France sont labellisées Montessori, quel impact ses méthodes et plus généralement les apports de l'éducation nouvelle ont-ils aujourd'hui dans nos pratiques d'enseignants-documentalistes ? Difficile de répondre précisément. Notons cependant que l'institution scolaire a compté dans ses rangs un certain nombre de partisans de l'éducation nouvelle et de ses méthodes actives, et ce sur plusieurs générations. Dans son article « État de la recherche sur l'histoire du mouvement de l'éducation nouvelle en France », Laurent Gutierrez [3] cite notamment la réforme de Jean Zay, ministre de l'éducation nationale à la fin des années 30, comme portant la marque de l'éducation nouvelle. Il précise par ailleurs que les méthodes actives ont trouvé leur application en orientation, dans les travaux manuels, mais aussi le français et les mathématiques. La documentation n'est pas citée mais peut-être pourrait-elle l'être… dans les méthodes que nous employons (pas de cours, mais une pratique active liée à des besoins propres à chacun, … certes parfois commandités…), et dans un esprit de collaboration avec ses pairs et non de compétition. Dans les méthodes, mais aussi dans les objectifs : respecter la liberté individuelle pour conduire l'élève à l'autonomie, et lui en donner les moyens environnementaux et techniques.
[1] PIAGET, Jean. Une éducation à la paix est-elle possible, in Bulletin de l'enseignement de la Société des Nations, N°1, décembre 1934, Genève
[2] Resweber, Jean-Paul. Les pédagogies nouvelles, P.U.F. « Que sais-je ? », 2011, p. 97
[3] Gutierrez, Laurent. État de la recherche sur l'histoire du mouvement de l'éducation nouvelle en France, Carrefours de l'éducation 1/2011 (n° 31), p. 105-136. URL : www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2011-1-page-105.htm