Ivan Illich

par Marie-France Blanquet,
[février 2008]

Mots clés : Illich, Ivan : 1926-2002

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Ivan ILLICH, l'insoumis. Gloire des années 70, ce scientifique, érudit, humaniste et polyglotte est surtout connu pour ses prises de position contre toutes les institutions sociales. Toutes sans exception, sont dans le collimateur d’Ivan Illich. « Passé un certain seuil, la société devient une école, un hôpital, une prison. Alors commence le grand enfermement ». Parmi ces institutions, l’institution scolaire est particulièrement attaquée pour l’ensemble de ses nuisances. A son sujet, Illich défend des idées fortes et extrêmes qui obligent à la réflexion, quand il explique, par exemple, comment il découvre que le système scolaire obligatoire représente finalement pour la plupart des hommes une entrave au droit à l’instruction. Sa préoccupation tout au long de sa vie est de trouver des moyens éducatifs permettant de transformer chaque moment de la vie en une occasion d’apprendre, en dehors du système scolaire ou dans une école repensée. « Nous devons d’abord bâtir une école où l’acte personnel retrouve une valeur plus grande que la fabrication des choses et la manipulation des êtres » [1]. Une école sans société, du moins sans cette société de consommation dans laquelle nous entrons quand nous entrons dans son école car la valeur économique ne s’accumule qu’en raison de la dévastation préalable de la culture

Une vie atypique

1926 : Naissance en Autriche de ce penseur à la « pensée pensante dérangeante ». Son père est catholique, sa mère est juive.

1942 : Sa famille, expulsée par les lois nazies, s’installe en Italie, sans le père qui meurt pendant la guerre. Ivan Illich termine ses études secondaires à Florence puis entre à l’université grégorienne du Vatican et devient prêtre après avoir étudié philosophie et théologie. Il obtient un doctorat d’histoire à l’université de Salzbourg.

1951 : Il arrive aux Etats-Unis, après avoir parcouru à pied toute l’Amérique latine, région du monde qui le marque à tout jamais. Il travaille alors comme assistant du pasteur d’une paroisse Portoricaine de New York.

1956-1960 : Il devient vice-recteur de l’Université catholique de Porto Rico. Il y crée l’Instituto de Communicacion Intercultural où l’apprentissage de la langue espagnole est prétexte à découvrir la diversité et la richesse des cultures.

1961-1976 : Il crée, avec Valentine Borreman, le CIDOC : Center for Intercultural Documentation à Cuernavaca au Mexique. Le CIDOC est une université libre, sans hiérarchie, sans professeurs, sans diplômes. Le CIDOC connaît une renommée internationale. Illich le ferme de façon arbitraire, en 1976, après l’avoir, en 1968, sécularisé.

1969 : Il quitte la soutane mais il reste croyant.

1970-1980 : Illich édite ses œuvres majeures qui lui assurent une autorité internationale.

1971 : Il publie, en anglais, une de ses œuvres maîtresses : Une société sans école, traduction contestée de « Descholing Society ». Ce travail connaît un grand retentissement dû en partie, à son titre provocateur. Cependant, il importe de comprendre que ce livre doit être replacé dans le cade plus large de la réflexion d’I. Illich sur les échecs du développement des sociétés industrielles. Il parle de la même façon de toutes les institutions : l’hôpital, le transport, le travail. Dans une société sans école, il aligne tous les défauts de l’école. L’école obligatoire, la course aux diplôme, l’évaluation… produisent des élèves dépourvus de personnalité, consommateurs de programmes établis par l’institution. Il faut détruire tout cela et créer des conditions d’échanges basées sur l’égalité. Il faut instituer une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, en donnant le goût d’inventer et d’expérimenter. L’école, si elle existe, doit devenir le lieu de rupture avec le conformisme. Dans tous les cas, il faut supprimer son monopole et reconnaître tous les lieux d’accès au savoir.
Cette la même année, il publie : Libérer l’avenir [13].

1973 : Il publie la Convivialité [voir ce mot] et Energie et équité qui porte sur la crise de l’énergie, l’industrie au monopole radical de la circulation.

1975 : Des titres explicites pour parler de médecine et de travail Némésis médicale, Le chômage créateur. « Ces livres, écrit Thierry Paquot sont à lire ensemble, tant ils appartiennent au même projet : la libération totale de la singularité de chaque individu- quels que soient sa culture, ses revenus, sa place dans le système production » [2].

1980 : I. Illich quitte définitivement le Mexique pour s’installer en Europe.

1990 : Il apprend qu’il a un cancer du cerveau et décide, fidèle à ses pensées et à ses jugements sur l’institution hospitalière, de se soigner lui-même.

1994 : Dans le miroir du passé, recueil de discours, Illich reprend ces thèmes favoris sur l’école et l’éducation, la médecine, la paix, l’économie…

2002 : Décès, à Brême, de l’un des penseurs les plus importants et les plus prophétiques de la seconde moitié du XXe siècle. La presse se fait l’écho de ce décès et Illich tombe dans l’oubli.

Une vie en mots-clés

  • Accès au savoir Un véritable système éducatif n’impose rien à celui qui instruit. Quand apprenons-nous, interroge-t-il ? Quand nous faisons ce qui nous intéresse. Or l’école n’intéresse pas l’élève.
    L’enseignant, fier de ses manuels, défend jalousement ce qu’il considère comme son équipement professionnel indispensable tandis que l’étudiant se prend à haïr même le laboratoire qu’il définit comme un lieu de travail scolaire.
    Un vrai système éducatif doit permettre d’avoir accès à ce dont l’élève a besoin, sans le contraindre et n’importe où. Le but qu’il faut poursuivre, qui est réalisable, c’est d’assurer à tous des possibilités éducatives égales. Confondre cet objectif et la scolarité obligatoire, c’est confondre le salut et l’église.
  • Appareil administratif Les administrateurs de l’enseignement ont le plus souvent comme principale attribution de surveiller les enseignés et les enseignants pour satisfaire d’autres administrateurs, d’autres conseils, d’autres responsables divers.
  • Automobile et environnement Energie et équité, traduit de l’allemand est l’essai le plus cité par les écologistes dans lequel Illich s’en prend particulièrement à l’automobile. « Autrefois, constate-t-il, les rues étaient destinées avant tout à ceux qui les peuplaient. Puis les rues sont pensées ! Elles reçoivent un tracé neuf et rectiligne et un aménagement approprié à la circulation des véhicules. Les écoles se multiplient dès lors pour accueillir « les jeunes ainsi chassés des rues » [3]. Il donne l’exemple de Los Angeles construite autour de l’automobile, ce qui rend impraticable la marche à pied.
    Par ailleurs, l’automobile est un monstre chronophage. Elle fait perdre beaucoup de temps, contrairement au vélo qui libère l’homme.
  • CIDOC Centre de documentation interculturelle, le Cidoc est un laboratoire de réflexion où l’on étudie les langues, ou l’on tente de cerner les problèmes de l’Amérique latine, du sous-développement de la société industrielle. N’importe qui y demeure le temps qu’il veut, pour étudier et apprendre dans sa prestigieuse bibliothèque, être professeur ou élève. On y vient du monde entier pour débattre sur l’école, la scolarisation et souligner, par sa présence en ces lieux, que chaque moment de la vie offre une occasion d’apprendre et ce, en dehors de tout système scolaire.
  • Contemporains d’Illich Dans l’environnement d’Illich, on rencontre de grands noms. D’abord Jacques Ellul qui dénonce le système technicien et qu’Illich considère comme son maître.
    Philippe Aries, documentaliste à l’IFAC, écrit des ouvrages d’histoire qui font l’admiration d’Illich. On trouve également E. Levinas, M. de Certeau, R. Girard, J. Maritain.
    Un homme joue un rôle important : le brésilien Paulo Freire qui rejoint Illich sur de nombreuses idées traduites dans les titres de ses travaux, telle la « Pédagogie des opprimés ».
  • Contreproductivité Il invente ce concept, arme principale de sa critique pour dire que plus les grandes institutions de nos sociétés industrielles croissent, plus elles deviennent un obstacle à la réalisation des objectifs même qu’elles sont censées servir. L’école bêtifie, le transport immobilise, la médecine corrompt la santé, les communications rendent sourds et muets, les flux d’information détruisent les sens, l’alimentation industrielle se transforme en poison… Constamment dans ses écrits et pour toutes les institutions, Illich dénonce le professionnalisme et les experts. A cause d’eux, toute institution devient contre-productive et ne vise plus que sa propre conservation au détriment des services qu’elle prétend assurer. Ainsi, les besoins fondamentaux sont confondus avec les services institutionnalisés qui exercent une emprise totalitaire.
    « Son analyse minutieuse et rigoureuse des mécanismes de la contre-productivité l’entraîne à discerner deux valeurs d’usage, répondant à deux modes de production : le mode autonome et le mode hétéronome. On peut apprendre en s’éveillant aux choses de la vie dans un milieu rempli de sens. On peut aussi recevoir de l’éducation de la part d’un professeur payé pour cela. Le mérite d’Illich est de poser la nature et l’importance de l’articulation entre ces deux modes de production. La synergie positive entre ces deux modes n’est possible que dans certaines conditions très précises mais son analyse montre constamment pourquoi nous sommes tant attachés à cela même qui nous détruit ». [4]
  • Convivialité Les dirigeants des partis et des industries sont comme les officiers d'un bateau postés aux leviers de commande des institutions dominantes: entreprises multinationales. États, partis politiques et mouvements organisés, monopoles professionnels, etc. Ils peuvent changer de route, de cargaison et d'équipage, mais pas de métier. (...). Ce sont eux qu'il faut liquider. Mais il ne servirait à rien de les massacrer, surtout si c'est pour se borner à les remplacer. La nouvelle équipe au pouvoir se prétendrait seulement plus légitime, mieux fondée à manipuler ce pouvoir hérité et tout structuré. Il n'y a qu'une façon de liquider les dirigeants, c'est de briser la machinerie qui les rend nécessaires - et par là même la demande massive qui assure leur empire. La profession de PDG n'a pas d'avenir dans une société conviviale, comme le professeur n'a pas de place dans une société sans école: une espèce s'éteint quand elle perd sa raison d'être. L'inverse, c'est un milieu propice à la production, qui est l'œuvre d'un seul peuple anarchique. (...) Dans une société où la décision politique endigue l'efficacité de l'outil, non seulement les destins personnels s'épanouiront, mais de nouvelles formes de participation politique verront le jour. L'homme fait l'outil. Il se fait par l'outil. L'outil convivial supprime certaines échelles de pouvoir, de contraintes et de programmation, celles, précisément, qui tendent à uniformiser tous les gouvernements actuels. L'adoption d'un mode de production convivial ne préjuge en faveur d'aucune forme déterminée de gouvernement, pas Plus qu'elle n'exclut une fédération mondiale, des accords entre nations, entre communes, ou le maintien de certains types de gouvernement traditionnels». [5]
  • Echec et école S’il avait construit un thésaurus, I. Illich aurait probablement fait de ses deux termes de vrais synonymes. Pour lui, l’école représente le modèle de l’institution fourvoyée, la plus sournoise et la plus menaçante de toutes. Car en confondant fréquentation scolaire et apprentissage, « cette vache sacrée » tourne le dos au véritable apprentissage. En confondant massification et démocratisation, elle accentue les inégalités sans faire reculer l’ignorance. En confondant consommation de l’information et appropriation du savoir, elle éloigne de la connaissance. Le savoir devient quantifiable et marchandise à consommer. I. Illich insiste beaucoup sur cette société de consommation dans ses rapports avec l’école. « Une société qui définit le bien comme la satisfaction maximale du plus grand nombre de par la plus grande consommation de biens et de services mutile de façon intolérable l’autonomie de la personne »  [1]
    L’école est devenue une officine qui vend des programmes et où un distributeur-enseignant livre un produit fini aux consommateurs-élèves auxquels la seule véritable chose que l’on enseigne est d’adapter leurs désirs aux valeurs commercialisables » (Rappelons qu’à la même époque, Paolo Freire croise la route intellectuelle de I. Illich en parlant d’une conception « bancaire » du savoir !) L’école enferme l’enfant dans cette société et tarifie l’élève. Cela lui permet de l’évaluer et en l’évaluant de décider qui est capable et qui ne l’est pas de poursuivre des études. Or l’exclusion du système éducatif est symbole de mort sociale. « Il faut donc protéger le citoyen contre l’impossibilité éventuelle de trouver du travail par suite du jugement de l’école à son égard, et par là, on pourrait le libérer de l’emprise psychologique de cette dernière »  [1]
    L’école ne constitue pas un domaine naturel. Elle impose à l’élève de vivre dans un domaine artificiel où les objets sont retirés du milieu quotidien dans lequel ils ont leur sens véritable. En ce sens, elle apparaît comme une agence de publicité qui nous fait croire que nous avons besoin de la société telle qu’elle est ! Par ailleurs, elle nuit à l’éducation parce qu’on la considère comme seule capable de s’en charger.
    De plus, l’école repose sur « le postulat que les jeunes êtres humains sont comme des immigrés, des nouveaux venus qui doivent se soumettre à un processus de naturalisation, un processus qui doit les mettre à l’écart de leur milieu naturel et les faire passer par une matrice sociale sous responsabilité de l’Etat, un Etat dont l’enseignant accrédité est d’abord le représentant ». [1]
    Prisonnier de l’idéologie scolaire, l’être humain renonce à la responsabilité de sa propre croissance et, par cette abdication, l’école le conduit à une sorte de suicide intellectuel.
    Tout mouvement de libération de l’homme ne saurait plus passer maintenant que par une déscolarisation.
  • Education Marcela Gajardo résume ainsi les principales idées d’Illich sur l’éducation:
    L’éducation universelle par la scolarisation n’est pas viable. En ce sens, Illich va à l’encontre des positions affichées par des organismes internationaux, par de nombreux penseurs (Ouvrez une école et vous fermerez une prison, dit Hugo) et force la réflexion.
    Sortir du « gavage » nécessite la mise en place de réseaux éducatifs qui augmentent les chances d’apprendre, de partager, de s’intéresser, d’éveiller la curiosité tout au long de la vie
    Pour cela, il faut déscolariser la société en effaçant l’idée que l’école est la seule institution capable de diffuser le savoir. Le documentaliste le rejoint sur ce point qui parle de l’école hors les murs. [6]
  • Enseignant Non au métier, oui à la fonction.
    Les enseignants jouent le rôle de gardien de l’institution scolaire en transmettant les règles. Ils jouent aussi le rôle de censeurs des mœurs et celui de thérapeute.
    Ceux qui sont capables de faire la démonstration d’un savoir particulier seraient beaucoup plus nombreux si nous faisions confiance à des êtres qui ne soient pas nécessairement des enseignants de métier.
    Il faudrait donc déscolariser la société, c’est-à-dire avant tout refuser le statut professionnel à ce métier qui, par ordre d’ancienneté, vient juste après le plus vieux métier du monde.
  • Femme et homme Illich prétend que la société devrait retrouver le rythme d’une société dans laquelle la femme ne travaille pas et se consacre sur un travail non rémunéré puisque orienté sur les taches familiales et ménagères. Parodiant S. de Beauvoir, il défend l’idée « qu’on n’est pas homme, on le devient. ». Il souligne alors qu’il y a une façon de penser, de gérer le temps et l’espace qui est propre à l’homme ou à la femme. Pour lui, l’inégalité des femmes par rapport aux hommes ne peut que s’aggraver. Loin de garantir l’égalité, on voir s’accentuer les écarts dans toutes les parties du monde. « Le sexisme est une dégradation individuelle, jusque là impensable de la moitié de l’humanité, s’appuyant sur des critères biologiques. Car l’homo economicus est avant tout sexiste ».
  • Histoire de l’école L’école a une histoire. Cette institution qui n’a pas toujours existé a un commencement et, espère bien Illich, une fin qu’il voudrait proche car, au cours de sa vie, l’école a disqualifié tous les autres lieux où il est possible de s’instruire. « Je ne vois pas pourquoi l’école universelle, institution dont la nécessité est apparue il y a environ 80 ans, devrait continuer à exister et à nous préoccuper ».[1]
  • Image et télévision « Les hommes modernes sont tellement terrorisés par le réel qu’ils se livrent à d’atroces débauches d’images et représentations afin de na pas le voir. Ils emploient les médias pour simuler un pseudo-monde encore plus sombre afin de s’en faire un voile protecteur contre les ténèbres dans lesquelles ils doivent vivre ». [7]
    « Le discours télévisé est inévitablement démagogique. Un homme parle sur le petit écran, des millions d’hommes et de femmes l’écoutent… Aucun échange n’est possible » [8]
  • Langue et langage L’aliénation de l’homme commence par la langue. Illich distingue la langue vernaculaire et la « langue maternelle enseignée » qui est une fiction de langue. Elle est enseignée par l’église, dans un premier temps. Puis l’Etat prend le relais. Cela entraîne une perte de savoirs linguistiques. Or ces savoirs sont ceux des pauvres. « Encore aujourd’hui, les pauvres de toutes les nations non industrialisées sont polyglottes. Mon ami l’orfèvre de Tombouctou s’exprime en songhaï, écoute une radio où l’on parle bambara, dit pieusement ses cinq prières en arabe, fait ses affaires au souk en deux sabirs, converse en français acceptable qu’il a appris à l’armée, - et pas une de ces langues ne lui a été enseignée suivant les règles. » Le langage aujourd’hui reflète les monopole que le monde industriel de production exerce sur la perception et la motivation. L’homme ne pense plus qu’en terme de consommation. Pour accéder à la convivialité, il faut développer un nouveau degré de conscience et utiliser le langage pour revendiquer nos droits et notre créativité.
    « Les communautés où prédomine le monolinguisme sont rares, sauf dans trois genres de sociétés : les sociétés tribales qui ne sont pas sorties du dernier stade du néolithique, les communautés qui ont longtemps subi des formes exceptionnelles de discrimination et les citoyens des Etats-Nations qui bénéficient depuis plusieurs générations de la scolarité obligatoire. C’est une pensée typique de la bourgeoisie que de croire que la majorité des populations sont monolingues comme elle ». [9]
  • Lecture S’interroger sur la langue, entraîne I. Illich à s’intéresser à la lecture. Il examine en particulier le passage de la lecture orale à la lecture silencieuse. Il s’intéresse également à la mise en page moderne, à l’invention de signes diacritiques, telle la ponctuation qui influe sur le sens donné à une phrase.
  • Libérez le savoir ! Cela passe par la suppression de l’école, aucune réforme n’étant capable de réussir. La révolution éducative ne passe pas par la création de nouveaux outils ou de nouveaux rapports enseignants-enseignés ou de nouvelles méthodes. La solution est radicale : il faut abattre l’école. Le bénéfice sera pour les élèves, certes, mais aussi pour la société dans son ensemble...
  • Livre « Le livre n’est plus aujourd’hui la métaphore clef de l’époque : l’écran a pris sa place… Rétrospectivement, la combinaison de ces éléments qui de Gutenberg au transistor, avaient nourri la culture du livre apparaît désormais comme une singularité de cette période unique et spécifique d’une société : la société occidentale… Désormais, la culture livresque peut être clairement reconnue comme un phénomène daté ». [10]
  • Monopole radical Il invente ce concept pour signifier que lorsqu’un moyen technique est trop efficace, il crée un monopole et supprime toutes les autres possibilités. Un monopole radical est : « la domination d’un type de produit plutôt que celle d’une marque. Dans un tel cas, un procès de production industriel exerce un contrôle exclusif sur la satisfaction d’un besoin pressant, en excluant tout recours, dans ce but à des activités non industrielles ». L’homme est devenu dépendant des produits industriels et il a perdu conscience de sa capacité à se satisfaire simplement par des modes de production non industriels. Se défendre contre ce monopole radical implique qu’il faille dépasser ses intérêts particuliers et s’unir politiquement pour mettre un terme à la croissance industrielle. C’est pourquoi il plaide pour l’austérité. Dans une de ses dernières publications : La perte des sens, il écrit : « Je plaide pour une reconnaissance des pratiques ascétiques, pour maintenir vivants nos sens, dans les terres dévastées par le « show », au milieu des informations écrasantes, des conseils à perpétuité, des soins terminaux, de la vitesse qui coupe le souffle. » [9]
  • Mythes liés à l’école Scolarisation et éducation sont des concepts antinomiques. Mais l’école repose sur un ensemble de stéréotypes ou de mythes que Marcela Gajardo présente en quatre points.
    C’est d’abord le mythe des valeurs institutionnalisées : l’apprentissage est l’activité humaine qui nécessite le moins l’intervention d’un tiers. La majeure partie de l’apprentissage n’est pas la conséquence de l’instruction mais le résultat d’un rapport de l’apprenant avec un milieu qui a une sens, alors que l’institution scolaire lui fait croire que son développement cognitif personnel dépend nécessairement de programmes et de manipulations complexes.
    C’est ensuite le mythe des valeurs étalonnées : les valeurs institutionnalisées dont l’école imprègne les esprits sont des valeurs quantifiables. « Les hommes qui s’en remettent à une unité de mesure définie par d’autres pour juger de leur développement personnel ne savent bientôt plus que passer sous la toise ».
    Le mythe des valeurs conditionnées représente la troisième catégorie de mythes institutionnalisés. Il concerne la vente des programmes par le distributeur-enseignant à des élèves-consommateurs.
    Enfin le mythe du progrès éternel permet de comprendre que l’école "déséduque" en nous apprenant que l’apprentissage est une chose plutôt qu’une activité. Il en résulte une course aux qualifications, aux diplômes et aux certificats et un monde où l’autodidacte n’a pas sa place [6].
  • Nord/Sud Le système scolaire reproduit les inégalités sociales au sein de son propre pays mais également entre le Nord et le Sud. Ceux qui ne peuvent y aller sont dévalorisés ; ceux qui y accèdent sont les plus riches
    I. Illich est très sensible au déséquilibre du monde, séparant les pays riches et les pays pauvres. Dans ces derniers, les riches imposent leur vue. Ils imposent, en particulier leur slogan : toujours plus d’écoles, enfermant dans un échec définitif ceux qui n’auront jamais l’occasion d’y aller et surtout d’obtenir un diplôme. « L’école est devenue la religion mondiale d’un prolétariat modernisé et elle offre ses vaines promesses de salut aux pauvres de l’ère technologique. L’Etat-Nation a adopté cette religion, enrôlant tous les citoyens et les forçant à participer à ses programmes gradués d’enseignement sanctionnés par des diplômes ». [1]
    Mais ni dans le Nord ni dans le Sud, les écoles n’assurent l’égalité. Au contraire, leur existence suffit à décourager les pauvres, à les rendre incapables de prendre en main leur propre éducation. Dans le monde entier, l’école nuit à l’éducation, parce qu’on la considère comme la seule capable de s’en charger.
  • Nouveau Illich dénonce le concept de « nouveau », prétexte pour de nombreux technocrates pour faire croire en des solutions miracles et qui se révèlent souvent problématiques.
    « Etant historien, j’éprouve toujours beaucoup de méfiance à l’égard de ce qu’on dit entièrement nouveau. Si je ne puis trouver de précédents à une idée, je subodore aussitôt qu’elle pourrait être absurde. Si je ne puis trouver dans le passé quelqu’un de connaissance avec qui je puisse imaginairement discuter de ce qui m’étonne, je me sens très seul, prisonnier de mon temps et de mon horizon limité ».
  • Outil Illich donne à ce concept une définition très large puisqu’il désigne ainsi les institutions sociales comme l’école, l’hôpital, les transports…
    « Je distingue deux sortes d’outils : ceux qui permettent à tout homme, plus ou moins de satisfaire les besoins qu’il éprouve, et ceux qui créent des besoins qu’eux seuls peuvent satisfaire. Le livre appartient à la première catégorie : qui veut lire le peut, n’importe où, quand il veut. L’automobile, par contre, crée un besoin qu’elle seule peut satisfaire. Passé un certain seuil, l’outil, de serviteur, devient despote. L’individu devient de plus en plus dépendant de ce qu’il ne peut plus maîtriser » [5] [voir aussi : technicisation de la société].
  • Religion Illich, prêtre défroqué, reste croyant toute sa vie. Cela ne l’empêche pas d’être très critique sur le christianisme étouffé et perverti par la bureaucratie de l’église. Il dénonce à plusieurs reprises la corruption du christianisme et de l’église, comparée à une affaire mercantile, intéressée uniquement par sa propre conservation. L’église est devenue une entreprise qui forme et emploie des professionnels de la foi pour assurer sa propre reproduction.
    Du reste, Illich rompt avec Rome (où le futur pape Paul VI souhaitait le retenir) qui s’inquiète du succès de certains textes, tels la Disparition de l’ecclésiastique (1959). Il adopte l’état laïc mais reste persuadé que la majorité des idées clés qui font du monde contemporain cette réalité particulière ont une origine chrétienne.
  • Réseaux « Ce dont nous avons besoin, c’est de nouveaux réseaux, par lesquels soient agrandies, multipliées les chances de chacun d’apprendre et d’enseigner ».
    Quatre réseaux d’échange pourraient contenir toutes les ressources nécessaires à un véritable apprentissage :
    Le premier réseau, « services chargés de donner accès aux objectifs éducatifs » est destiné à faciliter l’accès au savoir. Les bibliothèques et institutions culturelles jouent ici un rôle déterminant.
    Le deuxième réseau, « répertoire des connaissances » permet les partages de compétences ». Ici Illich fait fortement penser aux actuelles initiatives d’échange des savoirs : wikis ; folksonomie…
    Le troisième réseau, « service d’appariement » permet de trouver une ou des personnes ressources, et de créer ainsi un apprentissage basé sur les centres d’intérêt.
    Enfin les « services de référence en matière d’éducateurs » représentent la réalisation de répertoires de personnes capables d’enseigner « à la demande » [1].
  • Scolarisation La scolarisation obligatoire, confondue souvent et à tord avec éducation, est une absurdité. En s’appuyant sur des données chiffrées, I. Illich s’efforce de montrer combien cette disposition coûte chèr pour des résultats médiocres. Un diplômé américain bénéficie ainsi d’une éducation dont le coût représente cinq fois le revenu d’une vie entière d’un travailleur d’un pays pauvre. L’éducation d’un étudiant latino-américain coûte à l’Etat 150 fois plus que celle de ses concitoyens de revenu moyen. Ce système onéreux est élitiste, utopique et irresponsable. Il faut donc trouver d’autres solutions. Dans les faits, la scolarisation représente pour la plupart des hommes une entrave au droit à l’instruction. Il importe donc de libérer le savoir  et déscolariser l’école pour battre en brèche son monopole sur le savoir et sur sa diffusion.
  • Silence Il a été dérobé à l’homme. Illich écrit des pages superbes sur le silence. Pour lui, le silence devrait être inscrit parmi les droits de l’homme !
  • Surprogrammation Il existe deux types de savoir. Le premier naît des rapports entre les hommes à travers l’utilisation d’outils conviviaux. Le second n’est « qu’un dressage intentionnel et programmé  à l’emploi des outils créés par la société industrielle.  Le savoir global d’une société s’épanouit quand, à la fois se développent le savoir acquis spontanément et le savoir reçu d’un maître ; alors rigueur et liberté se conjuguent harmonieusement ». Tant que le savoir sera mis sur le marché des biens échangeables, l’homme subira le monopole radical industriel et ne pourra s’accomplir dans une société conviviale [1].
  • Système éducatif Un véritable système éducatif devrait se proposer trois objectifs :
    A tous ceux qui veulent apprendre, il faut donner accès aux ressources existantes et ce à n’importe quelle époque de leur existence.
    Il faut ensuite que ceux qui désirent partager leurs connaissances puissent rencontrer toute autre personne qui souhaite les acquérir.
    Enfin, il s’agit de permettre aux porteurs d’idées nouvelles, à ceux qui veulent affronter l’opinion publique, de se faire entendre à travers des réseaux d’échanges de savoir, des lieux de rencontre, des organismes dont le seul but est de mettre en relation les individus et de référencer les compétences des uns et des autres.
    Le système éducatif doit être libéré, autogéré et économique et respectueux des inclinaisons naturelles de l’homme pour l’apprentissage et l’échange. Les folksonomies, les blogs et les wikis semblent aujourd’hui lui donner raison.
  • Technicisation du monde Elle est constamment remise en cause par Illich. Elle va de pair avec une gestion monopolistique des besoins humains.
    La société technologique absorbe l’homme dans l’outil. « Une société peut devenir si complexe que ses techniciens doivent passer plus de temps à étudier et à se recycler qu’à exercer leur métier. J’appelle cela la "surprogrammation". De plus, la technicisation atrophie les sens et les perceptions et fait perdre à une société toute convivialité. J’appelle société conviviale, une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil » [5].
    (Dominique Lahary rappelle à ce sujet le coup de gueule de Julienne Debarge : Assez de l’obsession technicienne dans les sujets de concours. Il lui emboîte le pas en déclarant : « Notre profession a besoin de technique, certes, je ne suis pas le premier à le dire. Mais de la technique dominée, prise avec la hauteur suffisante, avec recul. Elle a aussi besoin que l’arbre technologique ne cache pas la forêt des missions et des contenus et l’océan du public… J’enrage de vivre dans un pays où l’institution est à ce point à côté des besoins, à côté de la vie, où elle impose aux acteurs des règles qui les empêchent de fonctionner. » [11]
  • Valeur scolaire On confond de plus en plus valeur éducative et service éducatif. On assimile ainsi l’éducation et le temps passé à l’école, compétence et diplôme. Les enfants apprennent à l’école non seulement les valeurs scolaires mais ils apprennent aussi à accepter ces valeur et ainsi, à s’accommoder au système. Ils apprennent la valeur du conformisme et bien que cet enseignement ne se limite pas à l’école, c’est là qu’il se concentre.

[1] ILLICH, Ivan. Une société sans école. Paris : Seuil, 1971
[2] PAQUOT, Thierry. Penser la libération de tous les individus : la résistance selon Ivan Illich. Le Monde diplomatique, janvier 2003
[3] ILLICH, Ivan. Energie et équité. Paris : Seuil, 1973
[4] DUPUY, Jean-Pierre. La contreproductivité selon Ivan Illich [en ligne]. Velorution, 2006 [consulté le 19 février 2008.Ouvre ce lien externe dans une nouvelle fenêtrehttp://www.velorution.org/articles/173.html
[5] ILLICH, Ivan. La convivialité, 1973
[6] GAJARDO, Marcela. Ivan Illich. Perspectives, vol XXIII, no 3-4, p.733-743
[7] ILLICH, Ivan. Hommage à Jacques Ellul. L’Agora, 1994
[8] ILLICH, Ivan. La gueule ouverte, juillet 1973, no 9
[9] ILLICH, Ivan. La perte des sens. Paris : Fayard, 2004
[10] ILLICH, Ivan. Du lisible au visible : sur l’Art de lire de Hugues de Saint Victor. L’Agora, 1991
[11] LAHARY, Dominique. Ivan Illich et le concours de bibliothécaire. Liste de diffusion biblio.fr du 06/12/02
[12] Conférence nationale du travail. Union locale Nancy- Meurthe et Moselle. Une société sans école [en ligne]. CNT, novembre 2007 [consulté le 19 février 2008]. Ouvre ce lien externe dans une nouvelle fenêtrehttp://www.cnt-f.org/ul-cnt-54/article.php3?id_article=252
[13] ILLICH, Ivan. Libérer l’avenir. Paris : Seuil 1972. Points-Civilisation

Pour aller plus loin

Œuvres complètes. Tome 1, (Libérer l'avenir - Une société sans école - La Convivialité - Némésis médicale - Énergie et équité), Fayard, 2004.

Œuvres complètes. Tome 2, (Le Chômage créateur - Le Travail fantôme - Le Genre vernaculaire - H2O, les eaux de l'oubli - Du lisible au visible - Dans le miroir du passé), Fayard, 2005.

La Perte des sens, Fayard, Paris, 2004.

Quelques unes sont en ligne à l’adresse suivante dans leur intégralité ou extraits: Ouvre ce lien externe dans une nouvelle fenêtrehttp://olivier.hammam.free.fr/imports/auteurs/illich/illich.htm