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Politiques documentaires et impact de la révolution numérique

par Dominique Cavet, responsable du secteur Documentation de l'IRD,
[2005]

Mots clés : politique documentaire

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Le CRDP de l'académie d'Amiens a été l'initiateur, en liaison avec l'inspection régionale EVS (Etablissements et vie scolaire), d'un colloque à destination des professeurs-documentalistes, des chefs d'établissements et des conseillers principaux d'éducation intitulé "Journée académique des politiques documentaires des établissements scolaires" qui s'est déroulé dans l'auditorium du CRDP le 17 novembre 2005.

Il s'agissait de proposer une réflexion sur l'intérêt que présente un projet documentaire dans un EPLE (établissement public local d'enseignement), de s'interroger sur les fondements d'une véritable politique documentaire impliquant l'ensemble de la communauté scolaire et de réfléchir ensemble à la mise au point d'un dispositif d'accompagnement des établissements dans cette mise en oeuvre.

Je suis actuellement en charge de la politique documentaire de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), qui est un établissement public de recherche scientifique. Dans leurs définitions et dans leurs mises en œuvre, les politiques documentaires d’un établissement de recherche scientifique comme l’IRD et celles des établissements scolaires sont fondamentalement différentes. Pourquoi donc cette intervention ? Il est très intéressant de comparer des situations différentes, et de s’appuyer sur ces comparaisons pour dégager de points de repères qui peuvent se révéler très structurants.

Mon expérience personnelle est d’avoir été d’abord dans le système éducatif, et maintenant dans la recherche scientifique. Je peux vous affirmer que, très souvent, je m’appuie sur cette expérience dans le domaine de la documentation pédagogique en me disant, pour de nombreuses questions liées aux services documentaires :

  • Comment faisait-on dans le système éducatif ?
  • Comment fait-on la même chose dans le monde de la recherche ?
  • Est-ce que c’est mieux ou moins bien, etc. ?

C’est parfois mieux ; c’est parfois moins bien ; mais il semble très intéressant de comparer et de s’appuyer sur les différences pour mieux comprendre et mieux traiter les problèmes.

Le fil conducteur de l’intervention sera constitué par l’exemple de l’information scientifique et technique (IST), dans le contexte actuel des technologies numériques de l’information et de la communication. La révolution numérique mise en œuvre dans le champ de l’IST a conduit à des évolutions tout à fait intéressantes, que je souhaiterais pouvoir exposer ici parce que, de mon point de vue, elles sont très structurantes et, pourquoi pas, susceptibles d’être transposées de certaines manières dans le contexte éducatif. Mais, transposer, ce n'est pas forcément reprendre tel quel !

Voilà donc la raison d’être de cette intervention, que je vous propose de structurer de la manière suivante :

  • Un premier point pour présenter ce qu’est l’IRD et la politique documentaire qu’il mène ; ce sera également l’occasion d’expliquer ce que représente réellement cette Information scientifique et technique.
  • Un deuxième point portant plutôt sur les contenus : la révolution numérique dans nos domaines documentaires et la manière dont on peut s’en emparer pour nos politiques documentaires.
  • Un troisième point sur les services documentaires, c’est-à-dire la manière de rendre accessibles ces contenus.
  • Et, pour terminer, je souhaiterais mettre en évidence les points forts que nous pouvons partager, qui vont d’ailleurs souvent rejoindre des points évoqués ce matin par Madame le Recteur et par Monsieur Jean-Louis Durpaire.

L’IRD en quelques mots

L’IRD est un établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST), qui dépend des Ministères chargés de la recherche et de la coopération. C’est un établissement de recherche au même titre que d’autres organismes que vous connaissez bien : le CNRS, l’Inserm (recherche médicale) ou l’Inra (recherche en agronomie).

L’IRD est un établissement de taille moyenne, même si les chiffres suivants paraissent importants : 750 chercheurs et 800 ingénieurs, répartis en 83 unités de recherche. Sa principale caractéristique est d’être tourné vers les pays du Sud, aussi bien par les thématiques de recherche traitées que par les très nombreux partenariats scientifiques développés avec des organismes et des équipes de recherche dans les pays émergeants et les pays en développement.

Les thématiques de recherche sont très larges et couvrent à peu près tous les domaines scientifiques : l’environnement, la gestion des écosystèmes et tout ce qui touche à la biodiversité et aux ressources naturelles ; la sécurité des populations au Sud et la gestion des risques naturels ; la sécurité alimentaire, la santé et la lutte contre les grandes maladies comme le paludisme ou le SIDA ; les sciences humaines et sociales, sur des aspects liés à la démographie, l’économie, l’urbanisme, etc.

Du point de vue géographique, l’IRD dispose de nombreuses implantations en dehors de la France. Une part importante des chercheurs travaillent à l’étranger, dans la zone intertropicale. Ils collaborent ainsi avec des chercheurs et des laboratoires étrangers : une de nos principales missions est en effet de constituer des partenariats concrets avec des équipes de recherche des pays du Sud, principalement en Afrique, mais également en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud. L’IRD est également présent dans les régions et communautés d’Outre-mer : Martinique, Guyane, Réunion, Nouvelle-Calédonie. De plus, parmi les missions confiées à l’IRD, figure au même titre que la recherche une mission de formation pour les jeunes chercheurs dans tous ces pays.

Avant de décrire la politique documentaire spécifique de l’IRD, on peut rappeler en quelques mots sur quoi s’appuie, en général, une politique documentaire :

  • Tout d’abord sur une définition claire du public visé et sur une bonne connaissance de ce public et de ses besoins ;
  • Sur des contenus documentaires utiles pour ce public, et sur des services documentaires destinés en particulier à faire le lien entre ces contenus et le public ;
  • Sur des moyens humains, financiers et techniques pour mettre en œuvre cette politique ;
  • Sur un dispositif de pilotage permettant de prendre les décisions nécessaires au fonctionnement, ainsi que sur un dispositif d’évaluation.

Pour l’exemple de l’IRD, je ne vais pas tout décrire, mais passer en revue quelques points importants.

Notre public

Il est bien sûr très différent de celui des établissements scolaires. Il s’agit principalement :

  • Des chercheurs et des ingénieurs de l’IRD, qui ont un très fort besoin d’accéder tous les jours à l’information scientifique produite au niveau international dans leur domaine de spécialité ;
  • D’un public analogue de chercheurs partenaires dans les pays du Sud, avec des besoins comparables ;
  • D’un public plus jeune de doctorants et de jeunes chercheurs français ou étrangers, pour lesquels nous avons une mission particulière de formation aux outils modernes de l’IST ;
  • Mais également de toute la communauté scientifique qui doit connaître la production scientifique et les publications de l’IRD. En effet, l’IST se situe dans un contexte permanent d’échanges : il ne s'agit pas uniquement de fournir des ressources à nos chercheurs, il faut également rendre disponible ce que nous produisons à l’IRD, pour que ce soit visible par ailleurs.

Les contenus documentaires

L’information scientifique et technique est un univers qui s’appuie sur une production documentaire très structurée : les contenus à faire circuler et à rendre accessibles sont constitués par la production propre de la communauté scientifique : articles publiés dans des revues scientifiques, ouvrages, rapports, littérature grise, etc. Par ailleurs, d’autres types de productions peuvent exister parallèlement : par exemple, l’IRD dispose d’une importante base de photographies qui est tout à fait intéressante : la photothèque Indigo . Je vous encourage à la consulter parce qu’elle a une vocation assez large au service de la culture scientifique, et elle peut être très utile dans les établissements scolaires. L’IRD gère également des collections importantes de documents cartographiques.

Les services documentaires

Nous disposons bien sûr de centres de documentation : 4 en France et 11 à l’étranger. Comme tous les centres de documentation, ils ont pour vocation d’apporter des services de proximité et d’offrir l’accès à des documents réels sur support papier, ainsi qu’à des bases de données.

Cependant, de plus en plus de services documentaires sont maintenant des services en ligne, accessibles par l’Internet. Nous détaillerons plus loin ces services, rendus le plus souvent en dehors de centres de documentation réels.

Il y a aussi une troisième catégorie de services très spécifiques, qui visent à valoriser de la production scientifique des chercheurs de l’Institut. Chaque organisme de recherche souhaite faciliter la mise à disposition des publications de ses scientifiques, afin qu’elles puissent être diffusées, utilisées, évaluées… C’est particulièrement important de rendre accessible cette production dans les pays dans lesquels nous travaillons, puisque bien souvent, ils ne disposent pas des mêmes facilités qu’au Nord pour accéder à l’information scientifique et technique.

Les moyens

Même sans donner de chiffres précis, on peut affirmer que l’information scientifique coûte cher ! Il y a un marché de l’information scientifique, avec des acteurs qui veulent gagner de l’argent. Mener une politique documentaire dans un établissement de recherche, c’est aussi s’occuper de cet aspect financier. Acheter l’information scientifique fait partie des missions importantes de nos métiers, au même titre que mettre à disposition cette information.

Pour ce qui concerne les personnels, voici à peu près la composition de l’équipe documentation de l’IRD : 15 personnes en métropole et 25 à l’étranger, dans les centres de documentation que j’ai évoqués plus haut.

En matière de pilotage, nous essayons d’avoir un suivi du besoin des chercheurs dans les unités de recherche, et aussi du besoin des utilisateurs des centres de documentation, des doctorants et des jeunes chercheurs.

L’évaluation

Elle se fait par l’intermédiaire d’indicateurs très classiques (qui nous sont de plus en plus demandés aujourd’hui) : indicateurs de fréquentation des centres, indicateurs d’accès aux services en ligne. Mais ce que nous souhaiterions mesurer vraiment, c’est l’usage des ressources proposées et la facilité d’accès à l’information pour nos scientifiques, nos chercheurs et nos ingénieurs.

La mise en œuvre pratique

A partir d’une politique ainsi tracée, nos activités courantes se regroupent en trois catégories :

1. acheter,
2. mettre à disposition,
3. accompagner, c’est-à-dire faire en sorte que l’information circule et assurer la médiation entre les ressources documentaires et les utilisateurs.

Il y a forcément une grande similitude entre cette mise en œuvre dans le domaine de l’information scientifique et technique et dans le secteur éducatif. On n’y utilise peut-être pas beaucoup le terme «acheter», mais on parle d’acquisitions, d’abonnements… Et puis, il y a de nombreuses ressources documentaires qui ne sont pas directement achetées puisqu’elles sont gratuites ou parfois financées par d’autres budgets. En revanche, tout le monde se reconnaît dans les termes «mettre à disposition» et «accompagner» ; les enseignants-documentalistes ont même un rôle très particulier d’accompagnement du fait de leur mission.

La révolution numérique dans les contenus documentaires

Comment les technologies numériques modifient-elles nos pratiques documentaires  ? Comment peut-on s’appuyer sur elles ? Que représente cette «révolution numérique» dans nos domaines ?

Il y a eu tout d’abord l’apparition des systèmes documentaires informatisés, l’informatisation de nos centres de documentation, la constitution de bases de données documentaires… Cette évolution est déjà assez ancienne ; ces outils existent et sont très importants pour nos métiers, mais la révolution numérique, ce n’est pas tout à fait cela (ici, il s’agit plutôt de la révolution informatique).

Il y a également l’Internet, bien sûr. Depuis 10 ans, l’Internet a une importance capitale et il a pris sa place dans la société à tous les niveaux. Cela ne constitue cependant pas le seul aspect de cette révolution numérique.

Dans notre domaine, ce sont les évolutions technologiques autour du document qui sont particulièrement intéressantes et qui caractérisent cette révolution numérique. D’une part, les documents ont pu changer de forme, notamment en s’enrichissant de liens hyper textuels. D’autre part, les technologies nous ont apporté la possibilité de dématérialiser le document, et donc de le transporter, de le communiquer, de le dupliquer facilement. Enfin, la révolution numérique apporte des modalités très différentes pour la production des documents eux-mêmes : au-delà de la production habituelle par les éditeurs, on a aujourd’hui une multiplication de sources d’information qui peuvent être très différentes et très complémentaires.

L’offre de contenu numérique pour la recherche est issue tout simplement des revues scientifiques qui constituent la base de l’information scientifique et technique depuis longtemps. Les revues scientifiques publient les travaux des chercheurs sous forme d’articles relativement courts, se prêtant bien à une transposition sous forme numérique.

Que s’est-il passé depuis quinze ans ? Dans un premier temps, certains éditeurs ont cherché à faire des versions numériques de leurs revues, c’est-à-dire à faire en sorte que les bibliothèques qui disposaient d’abonnements papier puissent accéder à ces revues au travers de services en ligne. Mais la situation a beaucoup changé récemment, avec quelques gros éditeurs qui ont procédé à de nombreux rachats de revues et développé une politique très élaborée de diffusion sous forme numérique. Ils ont effectué d’importants investissements, d’une part pour regrouper des revues, et d’autre part pour faire en sorte que la publication devienne numérique dès le début et que la diffusion se fasse principalement par des services en ligne sur l’Internet. Par exemple, l’éditeur Elsevier regroupe plus de 1800 revues scientifiques, c’est-à-dire environ 1/10e de la production scientifique.

En plus de la publication numérique systématique et de la numérisation rétrospective des anciens numéros, ces éditeurs ont développé une politique fondamentalement différente pour les abonnements. Ce n’est plus la bibliothèque qui est abonnée, mais l’ensemble du personnel de l’institut de recherche ou de l’université ; l’abonnement ne porte plus sur quelques revues mais sur l’ensemble du catalogue de l’éditeur (ou du moins sur des sous-ensembles importants). L’information est proposée directement à tous les acteurs, sans forcément passer par les bibliothèques. Les sites de ces éditeurs sont donc des sites payants, pour lesquels des formules globales d’abonnement sont proposées : la souscription est faite par les services centraux de documentation des universités ou les organismes de recherche et porte sur un droit d’accès pour tous les enseignants, tous les chercheurs et même, dans certains cas, tous les étudiants de l’université. Il s’agit d’une révolution très importante qui conditionne tout à fait le marché des abonnements dans le domaine de l’IST.

Les coûts sont bien sûr un peu plus élevés, mais ils restent dans les mêmes ordres de grandeur. Les éditeurs savent bien, en effet, qu’ils ne peuvent pas tout d’un coup multiplier par 10 les coûts de l’information ! Ils se contentent d'augmenter leurs tarifs de 5 à 15% par an, ce qui présente une réelle difficulté pour ceux qui gèrent les budgets !

Mais il y a maintenant d’autres sources de documents numériques que celles de ces éditeurs. Les instituts de recherche, les universités et tous les organismes ayant une responsabilité en matière d’information scientifique constituent progressivement ce que l'on appelle des Archives Institutionnelles. Il s’agit d’ensembles cohérents de documents qui, grâce à l’Internet, peuvent être mis à disposition directement sur le site de l’institution : thèses, rapports, littérature grise, etc.

Une autre source est constituée par les Archives Ouvertes (Open Archives), très spécifiques à la communauté scientifique et qui doivent mériter toute notre attention : il s’agit des initiatives très intéressantes d’auto archivage collectif pratiqué par quelques communautés scientifiques depuis une quinzaine d’années. Dans certaines disciplines (astrophysique, mathématiques…), les chercheurs ont décidé de construire sur le Web des lieux où ils déposent leurs travaux scientifiques en Libre Accès (Open Access) avant même de les publier dans des revues éditées. L'Internet est tout à fait intéressant pour ça : toute contribution déposée peut être lue, peut être communiquée à d’autres, peut être débattue ; cela permet de gagner du temps, dans une logique d’échange de la production scientifique souhaitée par les chercheurs et les enseignants-chercheurs. Les mécanismes des archives ouvertes sont repris par un nombre croissant de chercheurs, tout simplement parce que tout le monde y trouve son compte : l’information circule mieux et l’on est moins dépendant de la politique commerciale de certains éditeurs. Pour l’IRD, qui a une mission particulière vis-à-vis des pays du Sud, l’intérêt des archives ouvertes est aussi de rendre l’information accessible très largement à des publics qui n’y auraient pas accès, et de tenter de réduire la fracture numérique. On a parlé tout à l’heure du Sommet Mondial de la Société d’Information (SMSI) que se tient actuellement à Tunis. Il faut savoir qu’une annonce va être faite au SMSI concernant la mise en place d’un système commun d’archives ouvertes par le CNRS, l’Inserm, l’Inra, l’IRD et les universités, destiné à favoriser la libre circulation de l’information scientifique, quand c’est possible.

Enfin, on voit se développer des revues scientifiques construites directement sur ce modèle du Libre Accès : au lieu de chercher à gagner de l’argent en vendant un petit nombre d’abonnements à un prix élevé, on peut raisonner autrement en rendant la publication librement accessible sur l’Internet, à condition de trouver un moyen autre que l’abonnement pour financer les coûts induits par la revue. Les premiers exemples ont été réalisés dans le domaine bio-médical avec des revues dont le comité de lecture est porté par des scientifiques de renom et même des prix Nobel (Public Library of Science et BioMed Central).

Ces trois catégories d’offre de contenus numériques peuvent être transposées dans le système éducatif. Il existe une offre de contenus éditoriaux plus ou moins structurés, par exemple avec l’Espace Numérique des Savoirs (ENS). On sait également qu’il existe une production institutionnelle assez structurée, accessible sur les sites Web des institutions éducatives. Et puis, il y a également un troisième volet qui prend en compte les documents produits directement sur l’Internet par des enseignants qui échangent entre eux. Cette production est assez peu structurée, mais elle est intéressante parce qu’elle est différente et qu’elle ne pourrait exister autrement que sur l’Internet.

Construire des services documentaires

Est-ce que l’on peut, à partir de ces offres de contenus, construire de nouveaux services documentaires ?

Dans le domaine de l’information scientifique et technique, il y a deux approches.

La première est celle de la communauté scientifique, qui connaît bien l’Internet (c’est elle qui l’a créé pour l’essentiel) et a tout de suite vu l’intérêt d’une mise en réseau des différentes sources d’information et des productions de chacun. Elle a développé des outils d’interopérabilité entre les producteurs d’information et des protocoles pour s’échanger des données et faire en sorte que ce qui est publié à un endroit puisse être accessible à un autre, etc. Elle vise avant tout à rendre rapidement et facilement accessibles les travaux des chercheurs, dont la principale préoccupation est de publier des articles, d’être lus et d’être reconnus. Cette approche de la communauté scientifique est assez intelligente et tente de s’appuyer sur ce que l’Internet peut faire de mieux.

La deuxième approche est celle des éditeurs scientifiques commerciaux. Les grands éditeurs représentent une force extrêmement importante et fonctionnent dans une logique concurrentielle. Ils ont pour ambition d’avoir le plus grand nombre d’abonnés possible. Ils ont donc construit des services en ligne avec une forte valeur ajoutée, en intégrant de grandes quantités de publications (souvent plus de 1000 revues dans le même service) et en proposant aux utilisateurs des outils très riches pour accéder aux documents numériques, avec des facilités pour naviguer dans ces contenus, pour faire des recherches, pour consulter les documents et les récupérer, pour mémoriser les recherches et pour constituer un environnement personnel de travail.

Un énorme travail a été fait par les éditeurs pour construire ces services intégrés et concurrentiels entre eux. On pourrait croire que ça s’est fait en opposition avec les outils développés par la communauté scientifique. Ce n’est pas tout à fait vrai : les éditeurs ont bien compris que la standardisation apportait quelque chose, et ils ont souvent adopté une logique d’ouverture. Ainsi, on peut espérer faire cohabiter dans nos services documentaires des ressources venant des éditeurs commerciaux, que l’on achète, et des ressources qui viennent de la communauté scientifique, qui sont gratuites.

Revenons un peu sur le Web et sur les outils qu’il propose.

Sur le schéma, j’ai fait la distinction entre les objets qui ont un vrai statut de document (les plus importants pour nous) et toutes les autres pages présentes sur le Web mais qui génèrent souvent du bruit lorsqu’on fait des recherches. Notre souhait, pour nos services documentaires, c’est de réduire le bruit qui caractérise la recherche sur le Web. Pour ce faire, il est intéressant de sélectionner ce qui a du sens, par rapport à nos activités ; dans le domaine de l’information scientifique et technique, c’est relativement simple puisque l’offre de contenus est assez structurée. En se concentrant sur des sélections de documents, on va pouvoir éviter de considérer l’Internet comme un «grand bazar».

Par ailleurs, on peut s’interroger sur la capacité des moteurs de recherche habituels du Web à prendre correctement en compte les documents présents dans les archives institutionnelles (qui sont le plus souvent organisées en bases de données) ou dans les services en ligne proposés par les éditeurs (qui sont réservés aux abonnés). Les services documentaires qu’on veut construire, bien au contraire, doivent s’appuyer en priorité sur ces ressources.

De plus, comme les archives institutionnelles et les sites des principaux fournisseurs de contenus sont plutôt structurés, on peut prendre en compte les métadonnées qu’ils contiennent ou encore les bases de données documentaires sur lesquelles ils s’appuient. De cette manière, on peut à la fois se limiter à un périmètre restreint de ressources intéressantes, et en même temps s’appuyer sur un ensemble de données descriptives (métadonnées) portant sur des ressources ayant un statut, représentant de vrais documents, et qui, pour nous, constituent la base de notre information scientifique.

Quelques points forts pour terminer

Tout d’abord, favoriser la mutualisation

Le paysage actuel de l’information scientifique, avec la place croissante de gros éditeurs, a forcé la communauté des documentalistes des universités et des établissements de recherche à se rassembler pour faire face aux changements, pour partager des politiques d’abonnement et pour négocier avec les éditeurs. Ce sont pour nous des pratiques très importantes.

Cette mutualisation, nous en avons vraiment besoin aujourd’hui pour faire face aux éditeurs et constituer des logiques d’achat d’information qui soient structurées, optimisées et cohérentes, par l’intermédiaire de groupements de commandes, par exemple. Je pense que, dans le système éducatif, on a les mêmes préoccupations, même si les abonnements ne sont pas gérés directement par les documentalistes mais viennent plutôt d’initiatives de la région, du département, ou même parfois d’initiatives nationales.

Offrir des services personnalisés

Ces nouveaux services documentaires sont de plus en plus «virtuels». Ils pourraient permettre d’apporter à chacun des outils différents et adaptés. On parle aujourd’hui de bureau virtuel, d’environnement numérique de travail. Lorsque j’ai eu l’occasion de travailler sur ce sujet, j’avais constaté que, malheureusement, les aspects documentaires sont très souvent les derniers traités ! Mais ces outils constituent tout de même un bon moyen de construire des services personnalisés. On y trouve, par exemple, dès aujourd’hui des canaux d’informations paramétrables qui permettent de combiner des sources d’information différentes, d’être alerté sur l’apparition de nouvelles ressources, etc.

Articuler les services de proximité et les services en ligne

La révolution numérique a eu pour effet que les chercheurs et les ingénieurs accèdent à l’information uniquement par l’intermédiaire de leur ordinateur ! On a tout fait pour qu’il en soit ainsi, parce que c’est aujourd’hui indispensable. En revanche, ça fait toute une catégorie de public qu’on voit beaucoup moins dans les bibliothèques ; les chercheurs n’apparaissent plus comme des usagers des centres de documentation, alors qu’ils sont en fait très largement concernés par la documentation. Il est donc important de trouver une bonne articulation entre les services qu’on rend à distance et les services de proximité, dans nos centres de documentation. La proximité, c’est l’accompagnement ; c’est la formation des utilisateurs ; c’est offrir des services personnalisés, faciliter le travail, informer sur les ressources, etc. Il ne s’agit pas d'une révolution, mais plutôt d’une évolution de nos pratiques et de nos métiers.

Constituer des bibliothèques virtuelles

Dans nos politiques documentaires, on rêverait de pouvoir reconstituer, avec les nouveaux outils dont on dispose aujourd’hui, des espèces de bibliothèques virtuelles. Il ne s’agit pas du «grand Internet», dont tout le monde peut aujourd’hui se saisir, mais de services qui pourraient ressembler à ceux d’une bibliothèque : de l’information, des documents ayant un statut bien déterminé, une politique de sélection bien explicitée, des modalités modernes d’accès, une logique de présentation et d’accompagnement des ressources… Avec les technologies numériques, il y a de nombreuses possibilités de rassembler des informations dans des ensembles cohérents, de reconstituer pour nos utilisateurs des environnements documentaires adaptés aux besoins, aux politiques que l’on doit mener. Ces services documentaires virtuels ne sont pas forcément si éloignés que ça de ce que représentent nos centres de documentation traditionnels et nos bibliothèques.