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Introduction

Le développement rapide du numérique conduit à une restructuration profonde des modes d’accès aux informations et aux documents. Numérisation des contenus, généralisation d’Internet et des réseaux, «webisation» des services, développement de téléprocédures pour les démarches administratives… Tous les domaines informationnels, privés et publics, éditoriaux ou non, sont progressivement touchés.

Le domaine de l’information et de la documentation scolaire n’échappe pas à cette évolution, qui se présente quelquefois comme un bouleversement des modes antérieurs. Les modes instrumentaux en sont les plus directement touchés, et les débats sont vifs à propos des choix des outils et de leurs modes d’usage. Mais on peut se demander si ces débats ne cachent pas des interrogations et des évolutions plus profondes, notamment à propos de la nécessité de remettre en perspective les objectifs génériques et spécifiques de la documentation et de l’information scolaire.

Missions des professeurs-documentalistes, rôles et fonctions du CDI, fonction documentaire au sein de l’établissement sont autant d’aspects qui sont touchés par l’évolution numérique, non pas forcément dans leurs principes fondamentaux, mais au moins dans la définition des objectifs associés et dans les modalités de leur atteinte.

Mais sans doute les notions de fonctions ou d’approches documentaires restent-t-elles souvent trop imprécises pour circonscrire davantage les modifications induites à la fois par la dynamique de numérisation et la prise en compte transversale de l’établissement. Si la lettre de mission des professeurs-documentalistes, les discours et rapports officiels ou encore les textes relatifs aux concours de recrutement affirment depuis de longues années la dimension transversale de la fonction documentaire, la conjonction de la dynamique de numérisation et du rappel de la nécessité d’une politique documentaire globale trace aujourd’hui un cadre renouvelé, qui ne paraît pas pouvoir se contenter de consensus professionnels relevant largement de l’implicite.

Ce texte est donc avant tout une contribution au débat. Il vise d’abord à donner quelques éclairages sur les évolutions induites par le numérique, dans un cadre très large  ; il envisage ensuite les conséquences de ces évolutions sur les modalités de l’information et de la documentation scolaire, comme une contribution à un débat nécessaire.

Contexte TIC : le numérique et ses déterminants

Le numérique intervient à divers titres dans les processus d’information et de communication, en particulier d’une part comme agent de transport et d’autre part comme facteur déterminant des modes médiatiques utilisés.

1.1.   Le numérique comme agent de transport

Comme agent de transport, le numérique apporte une évolution essentielle par sa capacité à assurer une transmission conforme : là où l’analogique assurait une transmission «aussi fidèle que possible» (voir notamment le concept de «haute fidélité» qui prévalait à l’époque analogique), le numérique garantit la restitution à l’arrivée du signal transmis au départ, la conformité étant garantie «au bit près». En cas d’erreur, même minime, des systèmes de récupération sont automatiquement activés ; s’ils ne parviennent pas à rétablir la situation, la transmission est rompue, ou dégradée selon des modalités précises (par exemple, gel de l’image pour permettre la bonne transmission du son). La question de la fidélité ne se situe donc plus au niveau du transport, qui est capable ou non d’assurer la transmission dans ne définition donnée, sans troisième voie possible ; elle se situe en revanche sur l’avant-numérisation en entrée et sur la restitution analogique en sortie. Ainsi les points forts de la transmission analogique, notamment les instruments nobles du son en qualité hi-fi qu’étaient les microphones, les enceintes et autres amplis, deviennent les points faibles de la chaîne numérique[1].

1.2.   La compression, comme multiplicateur de la capacité

Corollaire et complément de la capacité à assurer une transmission conforme, les techniques de compression, qui ont également fortement progressé, permettent de décupler les bandes passantes disponibles, à caractéristiques électriques du support égales. Si les algorithmes sont largement connus depuis de nombreuses années, les performances des ordinateurs modernes permettent de les réaliser en temps quasi-réel, ce qui rend leurs capacités considérablement plus opérationnelles.

Il devient ainsi aujourd’hui possible d’imaginer des flux d’information considérables sur les infrastructures de transport existantes. C’est en particulier le cas de l’ADSL, qui utilise le cuivre torsadé du téléphone, ou de la télévision numérique terrestre (TNT) qui autorise une multiplication des chaînes sur les mêmes bandes passantes. Plus près de nous, sous une forme plus habituelle, ce sont les encyclopédies sur CD-ROM et DVD, qui permettent de conserver sur une galette de 12 cm l’équivalent hier d’une étagère de livres et, aujourd’hui, d’une bibliothèque domestique bien fournie.

Au-delà même, les normes et standards de compression parviennent quelquefois au statut de mode médiatique à part entière : c’est notamment le cas pour le mp3 ou le Divx, qui occupent aujourd’hui une place prépondérante dans le concert médiatique, non seulement comme agent de transport, mais aussi comme véritable phénomène de société.

1.3.   Le multimédia, nouvelle forme médiatique

Mais si le numérique permet ainsi d’accroître considérablement aujourd’hui la masse des informations transmises, il permet aussi d’en modifier la nature, en particulier par ce que l’on désigne par «l’intégration multimédia». Texte, son, image, d’autres signifiants sans doute demain, sont ainsi transformés en 0 et 1, transportés et restitués par une technologie numérique unique. L’usage en est-il modifié, au-delà des possibilités offertes par les quantités et diversités médiatiques ainsi rendues disponibles ? Tant que chaque média est utilisé isolément, le changement est modéré : celui qui téléchargerait son quotidien sur Internet en format PDF pour l’imprimer ensuite aurait sans doute une impression de meilleure qualité que son journal favori (quoique considérablement plus chère), mais ne modifierait pas fondamentalement sa pratique. En revanche, l’intégration dans un même document de médias jusqu’alors distincts change radicalement les modes d’exploitation, notamment dans la logique de constitution de nouvelles écritures multimédia interactives. Les encyclopédies multimédias sont là pour nous montrer l’impact que peut avoir l’association de plusieurs formes médiatiques pour illustrer une notion et les jeux vidéo démontrent aussi chaque jour leur capacité de séduction et leur efficacité auprès des jeunes.

Pour autant, il n’apparaît pas possible de conférer au multimédia interactif une quelconque supériorité intrinsèque en matière d’usage : si des études ont montré que la diversité des représentations permettait une meilleure acquisition par le plus grand nombre, d’autres mettent en évidence une surcharge cognitive associée notamment à la diversité médiatique et à l’hypermédia qui nuit à l’efficacité. L’efficacité en matière d’accès à l’information ne réside donc pas dans la nature multimédia d’un document, mais bien davantage dans l’usage qui en est fait, en fonction de l’usager utilisateur, de ses compétences et de sa connivence avec le dispositif technique, etc. Ou plus exactement, elle réside dans l’adaptation réciproque d’un usage et d’une forme technique, dans ce que l’on appelle un «alliage sociotechnique»[2].

 Au-delà, les psychocogniticiens mettent en évidence une autre diversification fondatrice d’un nouveau mode médiatique, placée au niveau des modalités de la communication interhumaine : la multimodalité. La diversification se situe alors moins au niveau de l’association de textes, images et sons communiqué que du traitement intellectuel qui en est fait. Ainsi, un poème et un texte en prose ne mobilisent pas les mêmes modalités intellectuelles et affectives, alors qu’ils sont tous deux fondamentalement textes, et il en est de même des photos et des schémas, tous deux fondamentalement images. Vu sous cet angle, le multimédia se présente certes moins comme un environnement ludique que comme un moyen de développer une relation plus féconde entre l’usager et les contenus auxquels il accède par une multiplication des modes cognitifs. Il devient alors le vecteur unifié de toutes sortes de contenus, pour lesquels il est ainsi possible de choisir le mode (ou les modes) de restitution le plus adapté en vue de faciliter la compréhension et/ou la mémorisation.

1.4.   Le numérique et la transmission instantanée

Les contenus potentiellement disponibles connaissent une large diversification multimédia, et disposent d’une capacité fortement accrue à être transportés de façon quasi instantanée en n’importe quel point du monde.

Mais ces possibilités doivent aussi être envisagées d’une part à l’échelle des contenus existants et d’autre part des évolutions envisageables dans ce domaine. On évoque généralement quelques milliards de pages comme une mesure probable du web, celles-ci ne représentant que la fraction visible d’une toile bien plus étendue. Mais, à l’inverse de cette approche par l’estimation de la masse de contenus existant, on peut aussi s’intéresser à la capacité de stockage et diffusion potentiellement disponible[3]. L’ordinateur personnel, le simple ordinateur portable que l’on peut acquérir en grande surface pour environ 1000 €, dans un format proche du cahier de 200 pages, peut contenir l’équivalent de quelques 10 000 chansons, ou plusieurs centaines de films, ou encore 25 millions de pages de texte, c'est-à-dire considérablement plus que le centre de documentation d’hier, avec ses étagères et ses fiches. Nonobstant les problèmes de droits, si on s’imagine dans quelques années une connexion généralisée à Internet d’environ 1 milliard d’ordinateurs, et sans compter les accroissements de capacités qui ne manqueront pas de survenir, on peut se faire une vague idée de la masse d’informations potentielle qui pourrait être soumise aux échanges.

Mais ceci, bien sûr, sans qu’il soit possible d’envisager quelle organisation pourrait en permettre un usage pertinent…

Information et documentation : l’existant bousculé

Nous ne sommes donc qu’au début d’un vaste mouvement, qui passe par une dématérialisation profonde des titres de contenus, avec un passage du produit au service. On soulignera à ce propos que, du point de vue de l’analyse économique, les services sont, au contraire des produits, non rivaux et présentent un faible «exclusivisme[4]» Par «non rivalité», on entend la possibilité pour plusieurs personnes d’utiliser simultanément un bien sans se nuire entre elles, ce qui constitue une caractéristique largement partagée par les biens intellectuels, dès lors que l’on peut faire abstraction d’un support ; par "non exclusivisme", on entend la difficulté, voire l’impossibilité, qu’il y a à s’approprier un bien pour en interdire l’accès aux autres.

Si on considère que le multimédia est un vecteur d’information - une sorte de «tuyau» pour emprunter une métaphore triviale -, alors l’information devient le bien échangé, et celui-ci est fondamentalement non rival et non exclusible. La dématérialisation du bien informationnel conduit à dissocier l’information de son support, et donc à rompre une assimilation un peu facile, largement fondée sur un malentendu. L’acheteur du livre ou du disque n’achète pas le contenu de l’objet, mais l’objet lui-même et le droit d’en utiliser le contenu. Le support induit en lui-même des contraintes physiques qui le rendent plus ou moins exclusible, et on connaît les difficultés que pose le développement des procédés de copie en permettant de dépasser ces contraintes. Privée de son support, l’information s’affranchit de cette assimilation du contenu au contenant, mais aussi de l’idée implicite que l’on acquiert un objet. Les travaux ne manquent pas pour chercher à rendre exclusibles les biens d’information dématérialisés, sans qu’ils puissent totalement atteindre leur objectif, les procédés techniques de copie étant par essence multiformes et sans limites. Les campagnes d’information, visant à «éduquer» l’usager[5], connaissent aussi un fort développement, sans pour autant que les choses soient toujours très claires vis-à-vis des principes du droit[6] . Il ne s’agit certes pas ici de trancher les débats sur la protection du droit des auteurs ou de se débarrasser bien rapidement de la notion de propriété intellectuelle, mais au contraire de constater le formidable décalage entre ces débats et l’évolution des contextes.

Supposons un instant résolues toutes ces contraintes, techniques, économiques et légales, et imaginons ce que pourrait être une société de libre circulation de l’information, dans une perspective ou ce bien serait dispensé des contraintes liées aux pratiques marchandes. Sommes-nous alors si éloignés du Village global, dont parlait Mc Luhan à propos de la radio/TV, ou du mythique Xanadoo de Théodore Nelson ?  Et ce schéma, sans doute schéma-catastrophe, est-il plus proche ou plus éloigné que ce qui nous sépare de l’univers informationnel qui prévalait avant l’invention de l’informatique ?

Si beaucoup est déjà accompli dans cette explosion numérique, encore plus reste à faire, et le retour en arrière est exclu ; ce qui peut un moment se fixer comme un objectif maximal théorique n’est pas forcément fait pour être atteint. Pour autant, il est dans les rôles de la documentation de développer une ingénierie adaptée pour permettre, ou au moins faciliter, un accès informé et responsable aux informations et documents, dans une acception la plus large possible ; et pour cela, il est à l’évidence indispensable de se projeter dans l’avenir, et de prendre en compte la globalité d’une évolution à peine engagée.

2.1.   Édition et publication : vers un nouveau paradigme ?

Le domaine éditorial est immense et varié. Varié par son domaine de diffusion, avec notamment l’édition grand public, professionnelle, scientifique, scolaire ; mais varié aussi par ses modes médiatiques : texte, musique, audiovisuel, multimédia ; varié enfin par ses supports, papier, cassettes, radio/TV, CD, en ligne.
Compte tenu de cette triple variété, fondée notamment sur des approches industrielles différentes, le secteur éditorial ne peut être appréhendé comme un domaine unique et cohérent, mais bien au contraire comme un ensemble hétéroclite et dispersé, dans lequel les TPE voisinent les grands groupes internationaux, les acteurs industriels de l’électronique et des télécoms voisinent les maisons d’édition traditionnelles.
S’agissant des métiers aussi, chaque domaine éditorial a ses règles, ses modes fonctionnels et ses termes spécifiques : si tout le monde s’accorde sur la notion d’éditeur, cette notion recouvre des fonctions bien différentes par exemple pour les grandes maisons d’édition comme Le Seuil, Garnier, etc. et le secteur télévisuel. Et que dire alors des fonctions de producteur, ou de réalisateur, issues du monde du cinéma et à présent transposées au multimédia ?
Ce qui caractérise les fonctions d’éditeur de façon transversale, ce sont d’abord des notions comme l’analyse d’opportunité, la définition d’une ligne éditoriale, l’identification d’un public potentiel, la gestion de la relation avec ce public ; ce sont ensuite l’ensemble des tâches liées à la gestion des contrats et des droits ; ce sont enfin, et ce n’est pas le moindre, la gestion des relations souvent complexes entre les acteurs – éditeur, producteur, auteur, réalisateur, etc. – et en particulier entre auteur et éditeur, éditeur et diffuseur, auteur et diffuseur, diffuseur et client, et enfin producteur-éditeur-banquier.

2.2   En ligne : publier sans éditer, ou éditer sans éditeur ?

 Vers 1990, Tim Berners Lee jette les bases du web, et à partir de cette date les fonctions éditoriales sont fortement bousculées. La démarche de création du web est sans contestation possible de nature humaniste, avec comme objectif la circulation des idées et connaissances. Le secteur natif du web, la physique nucléaire, et son lieu de naissance, la Suisse (état dont la neutralité est bien connue) ne sont pas neutres, et le web procède de la volonté de mettre l’information scientifique à disposition des savants du monde entier, dans un souci de mondialisation avant l’heure. Conséquence «collatérale», qui doit nous interroger : le bouleversement au bout de quelques années de l’édition scientifique en physique nucléaire, la fonction éditoriale étant devenue inutile aux échanges de la communauté savante. Cas particulier ? Sans doute… Mais tout de même !

Le numérique conduit-il toujours à la disparition des acteurs traditionnels des contenus ? Ce schéma, d’abord, reste assez spécifique à un domaine scientifique précis ; certains acteurs, ensuite, se repositionnent sur un échiquier qui se reconfigure ; quelques fonctions fondamentales, enfin, conservent leur légitimité et sont en quelque sorte mieux mises en évidence : les revues prestigieuses, comme Nature ou Sciences conservent toute leur pertinence, non pas par leur capacité de diffusion, mais au contraire par la reconnaissance de leurs comités scientifiques. La chaîne des contenus se recompose, renforçant quelques fonctions, en affaiblissant d’autres, en repoussant certaines dans l’obsolescence.

Au-delà des industries de contenus elles-mêmes, le web change aussi le contexte de diffusion de l’information, de façon profonde. On connaît le formidable développement des «pages perso», souvent avec une qualité enviable. Dans ce domaine, le schéma de publication est largement différent des modèles précédents, puisque la pratique jurisprudentielle reconnaît d’une part à l’auteur la double responsabilité d’auteur et d’éditeur, mais installe aussi une responsabilité de l’hébergeur (qui n’est pas éditeur) quant aux contenus. Il n’est plus à présent nécessaire d’avoir recours à un éditeur pour publier, mais d’autres acteurs s’installent dans la chaîne de responsabilité informationnelle.

Phénomène complémentaire, les développements de type associatifs qui assurent une activité de type éditorial en fédérant un ensemble d’acteurs autour d’un domaine de préoccupation. L’auteur est ici individuel mais l’éditeur est un collectif. Au-delà même, les collectifs ainsi constitués ne s’érigent pas toujours en association, mais s’installent davantage comme des communautés sur la toile, sans que les contours en soient précis, ni même quelquefois définis.

Le mouvement ne fait aujourd’hui que s’accélérer, avec le développement par exemple du Wiki et des Blogs, domaines où on commence à voir apparaître des «best off», des sortes d’incontournables pour celui qui s’intéresse à un secteur donné. Il y a encore peu, une personnalité politique qui souhaitait faire connaître ses idées créait une lettre d’information ; à présent, il crée un Blog, et la presse est fidèle dans la lecture de ceux des personnalités les plus en vogue.

Face à ces dynamiques, quelles attitudes adoptent les acteurs éditoriaux ? Marqués par leur diversité, ils ne l’abordent ni de la même manière, ni avec le même empressement.

2.3.   Sujet d’actu : la chronique des «majors». Internet tuera-t-il l’édition musicale, filmique, vidéo ?

 L’exemple du mp3 est ici édifiant. Des matériels à quelques dizaines d’euros permettent de conserver le contenu de 10 à 100 CD dans quelques dizaines de grammes ; les fichiers peuvent facilement se créer, s’échanger. Dès lors, la logique de l’échange devient une sorte d’évidence, une logique «par défaut» ; la faire admettre comme frauduleuse suppose une restriction des capacités de communication qui a toutes les chances de se révéler vaine. Le passage du produit au service prend acte d’une évolution vers une non rivalité du bien : pour reprendre un exemple cité par Michel Serres, «si je vous donne une baguette de pain, je ne l’ai plus ; si je vous apprends à extraire une racine carrée, nous sommes deux à savoir le faire» (retranscription libre). Chacun a bien compris que si on me prend un fichier mp3, je n’en suis pas spolié, et l’acte de piraterie supposé ne crée par de préjudice entre ses acteurs. Le lésé est ailleurs, ce qui souligne que l’acheteur d’une œuvre n’est pas entièrement propriétaire de ce qu’il a acheté.

La télévision et la radio ne fonctionnent pas sur les mêmes modèles économiques, et les chaînes ont à présent adopté dans leur grande majorité la diffusion sur le web, en direct ou en différé. La banalisation du web est ici atteinte ; elle permet d’accroître la diffusion, et donc l’efficacité du média, en s’affranchissant des contraintes de temps et de distance. Le non exclusivisme devient ici un atout, et la non rivalité ne limite que des possibilités de bénéfices secondaires (produits dérivés), généralement limités ou inexistants. Encore doit-on souligner que ce qui est mis en ligne relève en général uniquement des réalisations de la chaîne, et pas de la diffusion d’émissions en droits acquis, pour lesquels la fonction éditoriale se fonde toujours sur l’exclusivité et la protection.

D’une certaine manière d’ailleurs, les «majors» ont été pris à leur propre jeu, avec les diffusions décalées. On sait que les films sont d’abord diffusés en salle, puis quelques mois plus tard sur les chaînes à péage, ensuite en vidéoclub et enfin en vidéo familiale, ce schéma étant généralement appliqué de façon décalée d’abord sur le continent nord-américain, puis en Europe et enfin dans le reste du monde. Cette logique de séquence, qui n’a d’autre but que d’organiser une pénurie qui durera jusqu’à épuisement du potentiel du produit, permet le développement de circuits parallèles de diffusion et génère le phénomène de piratage, tant décrié. L’existence de DVD techniquement incompatibles entre les lecteurs diffusés en Europe et en Amérique, par exemple, a été sans nul doute un des facteurs d’accélération de la diffusion de films en DIVX.

Si les «majors» abordent aujourd’hui le phénomène avec inquiétude, mettant en évidence la baisse de leur vente, le «manque à gagner» lié au piratage, l’impossibilité de soutenir la créativité, chacun de ces arguments peut aussi se retourner : même si les équilibres économiques se déplacent (il y aurait bien que dans ce secteur qu’ils ne le feraient pas), les chiffres d’affaires de la télévision et du disque restent immenses ; le manque à gagner supposé, lié au nombre estimé de copies illicites, n’a rien de commun avec le manque à gagner réel, la copie pour écoute jouant aussi souvent le rôle de l’écoute du disque en magasin, pas forcément suivie d’un achat ; quant à l’impossibilité de soutenir la créativité, le développement de la musique en ligne permet aussi à de nombreux artistes de diffuser leurs créations, alors que les majors ne les auraient jamais retenus. 

Éducation : analogies et spécificité

De telles perspectives peuvent paraître bien éloignées des préoccupations scolaires, et pourtant…

3.1.   Tice et doc : la longue route

Le chemin parcouru depuis 1998, s’il a pu paraître quelquefois sinueux et chaotique, n’en a pas moins permis d’en arriver à une connexion généralisée des établissements scolaires à Internet et à une généralisation des réseaux, et cette évolution réalisée est bien déjà considérable au regard des époques antérieures. Sans préjuger de ce que nous réserve l’avenir, des situations locales peuvent aussi apporter des coups d’accélérateurs considérables, que le documentaliste doit gérer, d’une manière ou d’une autre : des initiatives comme Ordina13 dans les Bouches-du-Rhône ou, à une échelle moindre, celles conduites dans les Landes ou l’Ille et Vilaine permettent de l’envisager. S’agissant d’Ordina13, nous sommes passés en deux ans d’un équipement dans la moyenne nationale (de l’ordre d’un ordinateur pour 13 à 15 élèves en 2002) à un ordinateur fixe pour 5 élèves et un ordinateur portable par élève de quatrième et troisième (environ 60 000 portables !), ce qui nous rapproche au final d’un ordinateur par élève en moyenne. Quoique chacun puisse penser de telles opérations, une fois qu’elles ont été engagées rien n’est plus jamais comme avant, et elles sont de ce fait structurantes pour le monde éducatif.

De telles initiatives semblent relever avant tout du domaine informatique, mais elles ne sauraient s’y réduire. La mise en réseau généralisée de tous les collèges, voire de tous les ordinateurs des collèges et des collégiens, d’un département constitue une évolution considérable pour les modes d’information et de communication. Les modalités de l’information, de la communication et de la documentation scolaire en sont largement renouvelées.
60 000 portables… et les problèmes commencent ! Des difficultés de déploiement, de connexion, de mise en usage, en particulier liées à l’échelle industrielle de l’opération, et qui seront finalement dépassées avec efficacité par des acteurs techniques qui se sont rapidement organisés. 
 Mais cette organisation procède d’un passage à une échelle macro-industrielle qui modifie profondément l’organisation, et qui confère aux acteurs techniques une place et une importance jusqu’alors inconnues.

Des financements importants sont mis en place (près de 60 millions d’euros par an au total), mais ils restent limités notamment en ce qui concerne les ressources ; limités, mais disponibles, et des décisions doivent être prises pour décider quelles ressources seront acquises, selon quelles modalités et pour quoi en faire. La collectivité et les autorités académiques en sont parties prenantes, mais la décision finale, le choix, revient à l’établissement, et se place dans la perspective d’un environnement technologique inédit, pour lequel le recul et les exemples manquent.

3.2.   Situations et positionnements professionnels

Le rôle du documentaliste, en tant que professionnel de l’information et de son ingénierie, est ici déterminant. S’il fait le choix de se tenir en marge du processus, son rôle et sa place seront largement remis en cause, et sa position en deviendra de plus en plus difficile. Que dire de ces situations complexes, que l’on ne peut modéliser ou expliciter faute d’une ingénierie stabilisée et adaptée ?

  •  D’abord, on peut rappeler que la démarche ne peut se concevoir que dans la réflexion et la concertation, interne avec les collègues, externe avec les instances académiques, la collectivité, les éditeurs.
  • Ensuite, on fait le constat que, le cadre fonctionnel connaissant une profonde évolution, il est nécessaire d’acquérir et d’introduire de nouveaux comportements et de nouvelles habiletés, éléments qui seront fondateurs des usages. Fondateurs, mais non modélisants, puisque l’on sait[7] que les processus d’appropriation et de mise en usage passent souvent, voire toujours, par des processus de détournement.
  • Dans le souci de faciliter l’appropriation, on se gardera donc d’une prescription trop rigide, pour lui préférer l’ouverture, la mise au service des usages envisagés, l’observation des usages en construction.

Dans ce contexte, on peut souligner une certaine réactivité en termes d’usage, portée par les individus-usagers, et ce dans la mesure où ils y trouvent un bénéfice personnel, souvent fortement sous-tendu par des logiques hédonistes et esthétiques. Cet aspect permet peut-être de mieux éclairer le constat d’une réactivité limitée à l’offre éditoriale et de l’intérêt marqué pour les ressources dites «libres», sans relation évidente avec la qualité des contenus proposés ?

Détournement, usages en construction, logiques hédonistes et esthétiques… Les dynamiques s’installent clairement dans la sphère individuelle, en marge d’élaborations de dispositifs, de systèmes cohérents, de pratiques établies. Les acteurs y occupent une position qui dépasse celle de leur place dans le système, dans des logiques de relations interpersonnelles plus proches du sociogramme que de l’organigramme

3.3.   Quelle grille de lecture ?

Pour approcher les évolutions en cours, notamment celles liées aux déploiements d’infrastructures et équipements, il faut se donner une grille de lecture et d’analyse qui permette de se dégager des aspects matériels au profit d’une approche plus distanciée et plus globale 

  La séparation entre matériels et contenus est une frontière qui s’estompe, et les questions doivent se poser en amont.

Ordinateurs, portables ou non, terminaux variés ; réseaux à débits toujours plus hauts, avec ou sans câbles ; canaux de ressources numériques comme l’ENS, le CNS, le KNE, d’autres sans doute encore ; les ENT, sorte d’objets hybrides qui seraient, selon la Caisse des dépôts et consignations, un «chaînon manquant» entre les initiatives d’équipement et les usages… Pris isolément, chacun de ces objets a sa propre logique et ses propres déterminants, et chacun d’entre eux tend à imposer les siens aux usagers et aux autres acteurs, dans la vaine recherche d’un leadership sans doute sans objet. En revanche, si on prend le temps et la distance nécessaires pour approcher l’ensemble qu’ils constituent, on voit se dessiner une sorte d’espace numérique d’éducation, construisant toute la gamme des briques nécessaires pour que l’usager, chaque usager, puisse disposer d’un environnement adapté à ses besoins.
Environnement adapté aux besoins… La notion d’environnement induit l’idée d’une cohérence globale ; l’adaptation aux besoins suppose que ceux-ci soient décrits et objectivés. L’usager, en particulier, n’est pas décrit dans sa variété et ses spécificités, mais le plus souvent appréhendé de façon globale. Le professeur-documentaliste occupe ici une position spécifique, non seulement de par sa proximité avec les logiques informationnelles, mais aussi de par son rôle auprès des élèves en matière de développement des compétences et des maîtrises correspondantes. Son point de vue ne saurait se construire qu’en embrassant l’ensemble des aspects liés à l’information, la communication et la documentation, et en lui intégrant l’existant, qu’il soit numérique ou non. 

 Point de modèle pour ce faire, compte tenu des fortes divergences entre les initiatives territoriales, mais aussi entre les situations des établissements (compétences, pratiques existantes, potentiel d’innovation) ; mais la nécessité d’une analyse globale, qui doit permettre d’élaborer ce que par ailleurs on désigne sous le terme de «politique documentaire».
Les espaces numériques d’éducation construisent un nouveau concept, qui apparaît nécessaire pour une approche distanciée des nouveaux objets et des nouveaux contextes qui s’imposent. Ceux-ci s’instituent souvent avant tout en un nouveau cadre de référence des initiatives publiques, essentiel en tant que tel puisqu’il s’installe comme cadre fondateur des politiques publiques qui vont s’appliquer à l’école. Mais ils apportent aussi des dimensions d’information et de communication renforcées, un contexte qui touche à tous les aspects scolaires, une capacité à dépasser les unités de temps et de lieu de la classe et par là même à créer une nouvelle manière de vivre les communautés éducatives.

Pour l’exercice des fonctions documentaires scolaires, ignorer cette évolution ou la sous-estimer c’est se condamner à la subir sans en être partie prenante.

École et documentation à l’heure du numérique

La prise en compte du nouveau contexte des espaces numériques d’éducation n’est pas chose facile, et ne pourra être effective dans des délais réduits. Davantage que la mise en place de projets ou de programmes, définis par des objectifs et des modes d’évaluation, c’est la constitution de modes d’approches stratégiques et tactiques qu’il faut construire, de façon à dégager l’horizon, à éclairer l’avenir d’une analyse et d’un point de vue régulièrement actualisé.

La définition d’une approche stratégique du documentaire dans un contexte du numérique et de ses évolutions impose de prendre en compte des dimensions de dynamisme, d’ouverture, d’humanisme et d’éducation. On ne pourra pas durablement se fonder sur le regret des situations anciennes, mais il faut aussi se dégager de l’imminence et de l’immédiateté pour adopter des postures moins soumises aux évolutions et oscillations.

4.1.   Des notions à revisiter

Les notions de document, d’information, de ressource, etc. doivent être revisitées, reprécisées, refondées peut-être : le processus d’hybridation entre les sphères de l’information, de l’informatique, des télécoms, etc. induit des confusions conceptuelles considérables, qu’il faut s’attacher à résoudre. Le rôle social et éducatif de l’information, sorte de matière première de la connaissance, doit être réaffirmé comme le support des réflexions, et l’élaboration de constructions cohérentes, tant sur le plan conceptuel que stratégique. L’approche ne peut être que globale, à la fois documentaire, informationnelle et communicationnelle, se rapprochant, quoique sous un angle légèrement différent, de la notion de politique documentaire intégrant la dimension numérique. Dans cette démarche, le documentaliste a des atouts : sa connaissance des besoins et des attentes d’une part, et la solidité de son domaine d’expertise d’autre part.
 
 Il a aussi un handicap, celui d’une tradition professionnelle qui ferme souvent son horizon à celui d’une clôture documentaire, clôture de l’espace du CDI au sein de l’établissement, mais aussi clôture de l’établissement lui-même comme un espace de gestion de l’information au service de l’action d’éducation[8].
Le rapprochement entre TIC et documentation ne doit pas être subi, mais au contraire vu comme le signe d’une maturité technologique, la technique s’effaçant enfin quelque peu devant son objet, l’information. La réflexion documentaire aujourd’hui doit s’inscrire clairement dans une dimension de sciences de l’information et de la communication, et prendre pleinement en compte les nouvelles logiques d’espace/temps induites par la généralisation des réseaux.

4.2.   Espaces numériques d’éducation : la relation à l’usage

Si on accepte l’idée que l’espace numérique d’éducation, tel qu’il est défini plus haut, se comporte comme une innovation technologique, sa diffusion s’inscrit alors dans une relation à l’usage qui doit être l’objet de toutes les attentions.

ENT, canaux de ressources, fonds locaux… Autant d’objets informationnels et documentaires qui s’intègrent dans l’espace numérique d’éducation, nouveau terrain de jeu des acteurs scolaires en général et du professeur-documentaliste en particulier. Ensemble de «ressources» sélectionnées, «environnementées», choisies et assumées, à divers niveaux, par l’institution, les espaces numériques d’éducation remettent en cause les modèles antérieurs.

Les processus d’acquisition, ou même la décision de faire entrer une ressource dans le fonds de l’établissement (par exemple via une mise en ligne sur l’Intranet) valent validation institutionnelle, en particulier pour les usagers que sont les parents. Mais le contexte informationnel n’a pas cette seule dimension, puisqu’il intègre aussi, de fait, l’ensemble des ressources d’Internet, ou au moins celle qui ne sont pas frappées d’interdit par nos passerelles de sécurité. L’espace numérique d’éducation s’installe donc dans une dualité entre deux univers de ressources, l’un validé positivement par l’achat ou la décision d’importation de ressource, l’autre validé soustractivement par l’interdiction de certaines ressources considérées comme illicites ou inadaptées. Les chaînes de responsabilités se complexifient, les logiques qui les sous-tendent ne sont pas toujours complètement explicitées.

4.3.   Usages éducatifs, usages scolaires, rôles des acteurs

Le développement de l’usage s’inscrit dans cette dualité entre ressources choisies et ressources non interdites, et chacun des usagers doit se forger sa propre représentation de cet ensemble pour s’y orienter de façon responsable. On sait que, dans les logiques d’innovation technique, le développement des usages s’inscrit dans une indispensable logique d’appropriation, souvent fondée sur le détournement. On ne saurait donc dans ce cas définir a priori, dans un environnement technologique émergeant, des comportements adaptés ou déviants pouvant servir de cadre à la définition de «bons usages».
 
 La notion même de «bons usages» suppose la stabilisation d’une grille de référence, et donc l’énoncé d’objectifs. Une telle approche relève de l’élaboration de pratiques, notamment professionnelles, mais cette étape ne peut intervenir que dans le cadre d’une stabilisation des usages non encore acquise. Les jeunes générations ayant développé une connivence spécifique avec les environnements technologiques, le documentaliste doit prendre en compte cette situation et se placer en situation d’observation bienveillante et attentive davantage qu’en prescripteur d’activités trop restrictives. Les usages personnels des élèves dans et hors le temps scolaire, prennent bien trop d’importance dans leur vie pour que l’on puisse les balayer d’un revers de main.

Dès lors, le débat sur le(s) rôle(s) apparaît sans doute plus vain. Le documentaliste est-il et doit-il être un médiateur technologique ? Un médiateur informationnel ? Un offreur de services ? Un offreur de contenus ? Un prestataire d’ingénierie de services ? Un prestataire d’ingénierie de ressources ? Toutes ces approches sont au cœur des débats de la profession, mais bien souvent présentés davantage comme des alternatives, des positions exclusives. Le positionnement ne peut être que multiple, ce qui impose une réflexion sur les compatibilités/incompatibilités entre les rôles plutôt que l’adoption de l’un d’entre eux a priori. Les travaux sur la politique documentaire doivent être le moyen d’engager la réflexion et de construire une cohérence dans la durée.

 

Les processus technologiques, de la technique à l’usage

Dans une logique éducative, la fonction documentaire est directement liée aux rôles et fonctions des contenus et des ressources, avec toute l’ambiguïté véhiculée par ces termes. Si on se fonde davantage sur les conceptions informationnelles et sur le vocabulaire utilisé dans le monde de l’Internet, le document est vu comme support de l’information, alors que la ressource en est une instance. Le contenu est alors ce qui est transporté par le document et instancié par la ressource.

On mesure ici la distance entre les valeurs sémantiques données à ces termes et les confusions associées ! Si la généralisation des réseaux entraîne la disponibilité la plus large d’un accès immédiat à une information non organisée et hétéroclite, la construction de  «nouvelles habiletés d’information» constitue un préalable à l’établissement d’un nouveau rapport à la connaissance et au savoir, comme base de l’environnement culturel et économique de demain. Faute d’une construction planifiée de ces habiletés dans un curriculum, chacun se doit de prendre en compte les compétences développées par les autres pour ne pas plaquer ses propres angoisses sur son action auprès d’eux.

5.1.   Relation à l’usage et approche sociotechnique

 La relation à l’usage doit être au cœur des préoccupations, avec comme domaine l’ensemble des contenus numériques et des outils associés, celui des TIC. Mais les TIC ne sont pas nativement des outils éducatifs : ils se posent bien davantage comme des objets transposés, créés dans d’autres contextes et importés dans le cadre éducatif. La sociologie de l’usage fait référence à ce propos à la notion de «traduction»[9], au sens de l’adaptation à un nouveau contexte d’usage qui ne peut se conduire sans rétroaction sur la technique préexistante. D’autres regards peuvent aussi être posés sur ce passage à l’usage, comme les logiques d’appropriation par le détournement mises en évidence par Jacques Perriault ou encore l’approche de la constitution de cadres de référence, notamment déterminés par le cadre d’usage, selon l’approche de Patrice Flichy.

 Dans tous les cas, le passage à l’usage s’inscrit dans un processus collectif, processus qui réserve une place à la prescription institutionnelle, mais une place seulement, dans quelques déterminants des cadres fonctionnels et d’usage. La mise en usage réelle des objets techniques, et encore plus celle du réseau et de ses fonctions d’information et de communication, relève au moins autant du sociogramme et de son évolution que de l’organigramme. Négociation, stratégies d’enrôlement, constitution de réseaux d’acteurs, alignement sont les maîtres mots d’un processus qui concerne avant tout les individus eux-mêmes.

Il en est évidemment tout autrement de pratiques professionnelles - et pédagogiques - qui restent à construire, pratiques qui s’organisent dans des processus de modélisation et d’installation de références.

Dans un tel contexte, par essence évolutif, quelle peut être la valeur ajoutée documentaire ?

5.2.   Points de vue : l’enseignant, l’usager

Le professeur-documentaliste occupe d’abord un statut d’expert en matière d’information / communication dans l’établissement : il est le seul personnel dont le domaine professionnel est focalisé sur ces aspects . Même si ses connaissances sur le sujet ne sont pas optimales à un moment donné, il est celui qui peut remettre en perspective le rôle de l’information et du document dans les processus éducatifs, et faciliter ainsi la prise de distance indispensable pour dégager un projet, une approche au-delà du très court terme. Au-delà des points de vue disciplinaires ou sectoriels, il est le seul à même de porter les impératifs documentaires et informationnels de façon transversale.

D’une manière générale, compte tenu de l’évolutivité des contextes liés à l’information, la communication et la documentation, il ne saurait être question de définir une approche des services rendus à l’usager sans une indispensable réflexion sur les rôles et fonctions : rôles du documentaliste,  acteur  du projet   d’établissement et de son articulation  avec le projet documentaire et du système d’information ; rôles du CDI comme lieu, ressources et organisation ; rôles de la fonction documentaire au service de l’action d’éducation.

Comment prendre en compte ces contextes, et notamment leur caractères multiples et évolutifs ? L’élaboration d’une réponse développée et aboutie relève sans doute d’un idéal qui reste hors de portée, mais on peut néanmoins installer quelques principes et quelques questionnements :

  • Par une démarche de politique documentaire intégrant la dimension de système d’information à l’échelle de l’établissement ;
  • En essayant d’inscrire les stratégies d’évolution TICE et documentation en articulation  dans cette perspective ;
  • En intégrant à cette réflexion le nouveau contexte espace / temps dans la conception du rôle du documentaliste ;
  •  En s’appuyant à la fois sur les contextes pédagogiques et sur le domaine «vie de l’élève – vie de l’établissement» [10]).

5.3.   Approche des cadres de références

L’élaboration d’une approche stratégique s’inscrit donc comme sans doute la seule approche permettant de construire non pas une construction pérenne, mais un schéma d’analyse ouvert qu’il conviendra d’actualiser régulièrement.

Pour l’heure, la situation au sein des établissements est souvent largement éloignée de ces approches, en butte à une saturation du temps disponible par des tâches diverses laissant peu de place à des fonctions d’information et d’organisation avancées. La réalité actuelle de l’environnement documentaire est celle du CDI, le plus souvent clair, spacieux et bien équipé (il y a des exceptions), et de son fonds traditionnel, souvent vivant et utilisé même s’il n’est pas toujours géré dans les canons de l’orthodoxie documentaire. L’intrusion d’Internet est venue bousculer ce bel équilibre, en offrant un accès instantané à une information diverse, ouverte et apparaissant comme à peu près sans limite. En revanche, le contexte documentaire ainsi créé est celui d’une organisation faible ou inexistante, non unique puisque d’autres foyers d’utilisation existent hors de la sphère du CDI, et avec des approches éclatées, matérialisées notamment par des chartes et règles d’usage propres à chacun des lieux, souvent sans concertation.

Cette situation n’est d’ailleurs pas liée uniquement à l’arrivée d’Internet, qui en révèle plutôt l’existence de façon plus criante. Souvent, trop souvent, les pôles d’usage de l’établissement conduisent chacun sa propre politique d’acquisition, sans gestion globalisée, sans unicité d’approche en matière de responsabilité éducative. L’exploitation des ressources externes ne vient qu’ajouter à une situation antérieure, en en révélant l’étendue.

Comment concilier la nécessité d’unité d’approche documentaire avec la dispersion et l’hétérogénéité des ressources ? Les travaux du schéma stratégique S3IT (schéma stratégique du système d’information et de télécommunications) proposent, dans le cadre des recommandations S2I2E (services Internet Intranet pour les établissements et les écoles), l’élaboration de chartes d’usage fondées sur la définition des services que l’établissement assure à ses usagers. Si une définition de l’offre de services et de ses modalités est évidemment souhaitable, on peut considérer que ce devrait être là le fruit d’un projet et d’une politique documentaires, ce qui n’est évidemment que rarement le cas.
 
 Mais ces constats ne permettent de réaliser l’esquisse que de façon pointilliste, sans appréhender de façon globale l’ensemble des aspects qui doivent définir la politique documentaire. Celle-ci s’inscrit évidemment dans le respect des textes officiels concernant le CDI et les professeurs-documentalistes, mais aussi dans les programmes et textes disciplinaires qui, de plus en plus nombreux, font référence aux usages documentaires ; elle présente une forte liaison avec les dispositifs transversaux, centrés sur l’activité personnelle de l’élève et sa capacité à produire ; elle est liée aux pratiques en matière d’usage des ressources, dans tous les domaines pédagogiques, éducatifs et de vie scolaire ; elle doit tenir compte des aspects d’information et de communication et des nécessaires organisations qui y sont liées, et en particulier les orientations TICE qui définissent les modalités de leurs formes médiatisées.

5.4.   Quelle distance pour une approche critique ?

 Dans chacun des cas, la question de la distance à adopter se pose ; dans chacun des cas, l’approche d’une sphère disciplinaire ou par domaine d’activité se révèle trop fermée pour permettre le développement d’orientations dépassant le très court terme.

On l’aura compris, la juxtaposition de points de vue, qui sont pourtant tous nécessaires dans l’élaboration finale, ne permet pas d’adopter une distance critique suffisante pour des constructions stratégiques susceptibles d’obtenir une adhésion à l’échelle de l’établissement. Pour pallier cette difficulté, on peut tenter de définir de nouveaux cadres de référence, permettant d’appréhender cette politique documentaire à construire dans une globalité suffisante.

Selon un schéma très classique pour les professionnels de l’information, on peut approcher le modèle d’organisation en trois couches : l’infrastructure, l’infostructure et les services.

  • Les infrastructures concernent les éléments architecturaux(caractéristiques du CDI, circulations dans l’établissement, répartition des locaux, mais aussi par exemple proximité avec une bibliothèque, des lieux culturels, etc.), les composantes d’infrastructure TIC (câblages, dispositifs de connexion, nombre et disposition des postes , etc.).
  •  Les infostructures concernent davantage les modes d’organisation de l’information, qui ne font généralement l’objet que de peu de débats et d’analyse. C’est généralement le choix du logiciel qui impose l’organisation de l’infostructure, avec ses possibilités et ses limites. La question réside moins ici dans l’adoption d’une infostructure importée que dans l’absence de choix à ce sujet, les critères de sélection d’un logiciel n’y laissant aucune place.
  • La question des services aux usagers est souvent plus visible, et débattue : elle est au moins partiellement présente dans le choix des outils, croisée avec des éléments économiques et des contraintes techniques. Cependant, une fois l’outil choisi, elle reste dans la très grande majorité des cas le fruit de choix binaires, de type activation ou non activation de tel ou tel service, sans construction réelle.

Dans la très grande majorité des cas, l’analyse infrastructure / infostructure / services met en évidence des choix réalisés dans cet ordre, et sans que les enjeux aient véritablement été analysés. Les choix sont effectués par défaut, en fonction des cadres de contraintes hérités des niveaux précédents qui restreignent chacun les possibles de l’autre. La politique documentaire ne peut résider dans quelques orientations de mise en œuvre, aussi pertinentes soient-elles. Elle doit s’appuyer sur une vision de la fonction documentaire, fondée sur une conception du rôle des ressources dans les processus éducatifs. Elle doit tendre, même si c’est souvent difficile, à construire une vision stratégique, fondée sur une conception des services que l’établissement souhaite offrir à ses usagers, en fonction des objectifs à atteindre et des moyens mobilisés pour ce faire.

Choix des outils documentaires

Dans cette perspective, on doit aussi s’intéresser aux outils actuels, comme BCDI et les autres logiciels documentaires. Les structures, les données et les services y sont étroitement liés, dans une approche verticale qui ne facilite pas une organisation évoluant vers plus de souplesse. Les compatibilités avec XML (et les divers dispositifs de métadonnées) existent (au moins pour BCDI), mais uniquement en import/export, sous réserve de réaliser les modèles adaptés, et pas pour une gestion en temps réel. L’intégration dans un système d’information global et cohérent butte sur ce constat simple : les logiciels documentaires sont marqués par la conception de la clôture documentaire antérieure, ce qui est dedans est dedans, ce qui est dehors est dehors. Dès lors la seule manière de disposer d’un système d’information cohérent et global est de tout placer «dedans». Les bénéfices en seraient sans doute importants, mais il reste difficile de le vérifier, une telle organisation relevant à ce jour davantage de la projection théorique que de la réalisation effective. Les dangers potentiels, d’ailleurs, en sont aussi nombreux que les avantages : risque d’un travail de Titan, ou plutôt de Sisyphe, sans doute hors de portée de nombreux établissements ; adoption implicite et généralisé d’un modèle d’organisation non choisi ; interrogations sur la capacité à terme à mieux intégrer l’avenir, etc.

6.1.   Au-delà des différences…

Cette situation, d’ailleurs, est liée à l’ensemble des conceptions des logiciels documentaires en usage dans l’éducation, ou même potentiellement disponibles pour elle. Tous sont marqués par l’incorporation de conceptions portées par leurs auteurs, sans doute souvent pertinentes, mais qui privent l’établissement de la liberté de choix, et surtout de réflexion, à ce niveau. Il est frappant, et désolant, de constater à quel point les débats actuels sur le choix des logiciels, au-delà de leurs aspects de querelles de clochers, n’échappent pas à la logique instrumentale, sans que les enjeux soient à l’origine d’une construction collective. La nature «libre» de tel ou tel produit, souvent mise en avant, lui confère-t-elle, de  façon intrinsèque, une quelconque qualité (sinon d’être «libre» justement) ? Les aspects économiques sont évidemment essentiels, mais l’analyse ne peut se contenter d’un manichéisme qui pare le gratuit de toutes les qualités. On sait bien, ce n’est pas nouveau, que le coût global d’exploitation d’un produit logiciel, quel qu’il soit, est considérablement plus important que son seul coût d’acquisition, et les avantages de la gratuité initiale seront rapidement balayés par quelques journées passées à acquérir l’expertise et la maîtrise nécessaire, sans parler le difficultés d’exploitation, pertes de données, etc. Non décidément, le débat sur les outils documentaires mérite mieux. Il ne s’agit pas de simples logiciels, mais d’environnements assurant, plus ou moins bien, plus ou moins mal, un ensemble de fonctions de catalogage, recherche, gestion, prêt, etc. Les éléments les plus déterminants ne résident pas dans la gratuité ou la liberté, ni même dans les éléments de définition des fonctions documentaires, mais bien davantage dans la capacité d’ouverture et d’adaptation aux organisations et projets locaux, dans la possibilité de répondre à une diversité de situations. Car chacun de ces logiciels est fondé sur une logique propre, une vision du CDI et de la fonction documentaire qu’il transporte avec lui, comme un ensemble de connaissances incorporées.

6.2.   Organisations et services documentaires scolaires et non scolaires

Il existe, bien sûr, un consensus professionnel sur les organisations documentaires à adopter, et les outils les plus diffusés y répondent tous dans une large mesure. Mais cela ne saurait cacher les fortes différences qui subsistent. L’indexation, d’abord, doit s’appuyer sur la capacité à récupérer et intégrer des notices, qu’elles proviennent de productions éducatives (Mémonotices et autres, mutualisation) ou d’autres sources (BNF, bibliothèques publiques, banques de données bibliographiques, métadonnées). Elle doit aussi favoriser les échanges, en particulier en se fondant sur des modes de descriptions systématiques et analytiques collectivement adoptés. La recherche, ensuite, doit s’appuyer sur des modes d’interrogation les plus ouverts possibles, avec notamment la capacité à s’intégrer à des dispositifs de recherche à présent standardisés sur le web. La gestion des exemplaires, du prêt, des statistiques, des rappels, etc. est davantage liée aux logiques internes de gestion ; la revendication d’ouverture y est moins criante. Mais c’est en revanche dans cette classe fonctionnelle que l’on retrouve le maximum de connaissances incorporées en matière d’organisation.

On souhaiterait, bien sûr, que les services documentaires soient offerts sur l’ensemble des ressources, numériques ou non, mais cela suppose la constitution de l’infrastructure correspondante, et donc la réalisation de choix à cet effet. Choix d’outils, bien sûr, dans une perspective véritablement technologique des acteurs-réseaux[11], en recherche d’enrôlement, d’alignement de composantes jusqu’alors diverses, mettant en réseau notamment les documentalistes, les ressources, les acteurs-usagers, les systèmes, les fonds. Choix de modes d’exploitation ensuite, et on ne peut qu’être frappé sur ce point de l’absence de prise en compte des besoins documentaires par les projets ENT actuels, qui les affichent dans leurs attendus mais pas dans leurs menus.

Nonobstant la difficile question des environnements de services, la question de l’indexation se pose aussi cruellement. Faut-il indexer, indexer quoi, indexer comment, indexer pour quoi faire ? On rappellera que l’indexation, activité documentaire noble, est aussi chronophage ; un développement important est-il réaliste dans la situation actuelle de surcharge des CDI ? Plutôt qu’indexer directement, il est préférable chaque fois que c’est possible de récupérer une indexation faite par d’autres, que ce soit dans des Mémonotices, dans des notices existantes en ligne, dans le cadre d’initiatives académiques de mutualisation, ou encore en récupérant des données issues de métadonnées, lorsqu’elles existent. Si la chose est théoriquement envisageable, voire même aisément réalisable si on dispose du temps nécessaire, comment l’envisager dans la situation actuelle ? Serait-elle réalisée, comment la tenir à jour ? L’idéal documentaire du «tout indexé» restant hors de portée, il faut faire preuve de réalisme, s’engager dans la voie de la mise en cohérence avec les moyens disponibles, engager la négociation avec les autres acteurs avec comme objet le projet documentaire et le système d’information, et rester en éveil en attente de solutions technologiques prenant en charge la nécessaire ouverture. Les exemples de la documentation scientifique tracent ici sans doute la voie, avec notamment les systèmes Open Archive[12]

Politique documentaire et urbanisation numérique

L’enjeu, à moyen terme, réside dans l’urbanisation des différents systèmes d’information, et notamment celui à construire dans le registre documentaire.

L’urbanisation des systèmes, c’est leur capacité à devenir interopérables, avec notamment l’ouverture permettant des interrogations selon des modes standardisés de plusieurs systèmes, mais aussi des modes de présentation aux usagers suffisamment conviviaux pour un usage aisé. C’est en particulier la voie de l’ouverture des usages, par le développement d’une transversalité généralisée.

En matière d’urbanisation cependant, les approches sont diverses. Pour se limiter à une vision manichéenne, on n’en retiendra que deux la cathédrale et le bazar. Dans le premier cas, la construction est belle et pérenne et la ville s’organise autour, mais elle est difficile et peu évolutive ; de plus, s’engager dans un tel chantier sans connaître toutes les règles d’architecture, c’est évidemment prendre un risque considérable, même si le passé informatique est rempli d’exemples de ce genre. Dans le second, la construction est progressive et ses règles s’établissent en même temps, dans une évolutivité qui peut toujours être maintenue ; mais il est difficile, voire impossible, de réaliser des projections à moyen terme assorties d’objectifs, tous éléments qui occupent une place centrale dans les préoccupations des décideurs en matière de choix d’orientations.

Cathédrale ou bazar, la métaphore a été rendue célèbre par l’ouvrage d’Eric Raymond, qui fait un parallèle entre les développements informatiques du libre et des éditeurs propriétaires. Mais la connexité des domaines de l’informatique et de la documentation ne saurait suffire à en justifier l’emploi. En revanche, la construction de systèmes documentaires peut aussi se décrire dans les mêmes termes, dans une construction architecturale décidée ou dans une élaboration progressive et partagée. Alors, si le CDI doit sortir de ses murs, faut-il construire cette nouvelle épure dans la logique de la cathédrale, ou dans celle du bazar[13] ?

[1] En mode analogique, on connaît la «neige» présente sur les écrans, le souffle des chaînes hi-fi ou les grésillements des téléphones, tous dus à des distorsions de transport. Avec le numérique, les distorsions résiduelles sont celles liées à la qualité des dispositifs de capture/restitution et des paramètres de numérisation choisis. Il est aisé, en fonction de la bande passante disponible, de choisir des paramètres de numérisations plus «fins» que le distorsion maximale des dispositifs d’acquisition/restitution. Ainsi, le facteur de distorsion négligeable hier devient le maillon faible d’aujourd’hui.
[2] (Flichy, 1995)
[3] Les évolutions actuelles, comme par exemple le peer to peer, le chat ou les blogs, nous montrent bien que les informations disponibles ne s’inscrivent plus dans les mêmes échelles de pérennité, et que leur prise en compte conduit à une masse informationnelle potentielle considérable. La simple installation généralisée d’un logiciel comme Kazaa permet par exemple de relier potentiellement tous les répertoires «mes images» et «ma musique» de tous les ordinateurs personnels, dans une sorte de continuum informationnel aux contours si flous que l’on ne sait pas trop comment l’approcher.
[4] Selon le terme utilisé par Michel Callon, «Le réseau comme forme émergente et comme modalité de coordination» pp.19-22, in Réseaux et coordination, sous la direction de M Callon, Economica, Paris, 1999
[5] Voir par exemple la campagne sur le «photocopillage», ou la publicité donnée aux condamnations suite à des duplications non autorisées.
[6] On notera par exemple que les systèmes peer to peer comme Kazaa ne sont pas fondamentalement contraires au droit de copie, puisque c’est toujours l’utilisateur qui effectue celle-ci, qui devient donc une «copie privée à l’usage exclusif du copiste». Kazaa ne figure d’ailleurs pas dans la liste noire des sites filtrés par les systèmes de garde barrières installés dans de nombreux établissements.
[7] On consultera notamment à ce propos Jacques Perriault, «La logique de l’usage, Flammarion (Paris), 1989
[8] De ce dernier point de vue, le CDI pourrait au contraire être vu comme le tour qui ouvre la clôture vers l’extérieur, cette fenêtre jalousement gardée qui permet de filtre tout ce qui entre et sort du monastère.
[9] Cette approche est celle de la théorie de l’acteur réseau, portée notamment par Bruno Latour et Michel Callon au sein de l’École des mines de Paris
[10] [Blanchet, 1998]
[11] Au sens de la théorie de l’acteur-réseau, qui constitue une approche des processus d’innovation technologique. L’innovation y est le fruit d’alignements d’un ensemble d’acteurs, humains et non humains, qui permettent à un usage de s’installer.
[12] OAI-PMH : Open archive initiative – protocol of metadata harvesting. Ouvre ce lien externe dans une nouvelle fenêtrewww.oai.org
[13] « The Cathedral and the Bazaar » d'Eric Steven Raymond, la bible de la programmation en Open-Source.