L'atelier philosophique : une école du questionnement ?

Par Marie-Hélène Pillon et Yves Picard, CRDP de Bretagne,
[avril 2000]

Mots clés : construction des savoirs, problématique

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Entretien avec Oscar Brenifier, Docteur en Philosophie, Président de l’Association « Cercle de réflexion et débats philosophiques ».
On valorise aujourd’hui des formes d’enseignement moins magistrales afin de développer chez l’élève une appropriation plus directe du savoir. Le questionnement, le débat, la critique des sources, tout cela n’est pas sans rappeler le "penser par soi-même" cher aux philosophes.
Oscar Brenifier anime depuis 1994 des ateliers philosophiques où le dialogue, à la suite de Socrate, est promu comme mode d’apprentissage.
Nous avons voulu savoir si son expérience de ces ateliers était susceptible de donner des pistes ou des réflexions utiles dans le cadre des nouveaux dispositifs, par exemple l’enseignement civique, juridique et social.

Qu’est-ce qui différencie une discussion philosophique d’une discussion ordinaire ?

Oscar Brenifier : Tout d’abord, il est important de préciser que chacun peut prétendre à la discussion philosophique. Bien entendu il ne s’agit plus ici d’un exercice d’érudition. Je me réfère à Socrate, qui nous parle de " l’étincelle divine ", cette étincelle du feu originel, substance originaire qui se trouve en chaque être humain, ce qui d’après lui constitue l’âme individuelle. Par définition ou en essence, tout être humain peut philosopher. Il ne philosophe pas a priori, il lui reste quand même un travail à accomplir, mais il peut philosopher. Personnellement, j’anime par exemple des ateliers philosophiques aussi bien en école maternelle qu’au lycée.

Ensuite, il me semble que trois ingrédients essentiels composent la discussion philosophique.

Le premier est d’identifier la perspective, les présupposés, la position existentielle à partir desquels le sujet parle. Dans la discussion ordinaire, je dis " Je pense que ", mais je ne me demande pas à partir de quoi je dis " Je pense que ". Je crois à ce que je dis, j’ai la conviction de mon discours, mais je ne me demande pas ce qui autorise mon discours : "Qu’est-ce qui le légitime et à partir de quoi il est énoncé ?".

Le deuxième élément est la position critique : "Est-ce que je peux un instant envisager ce qui ne va pas dans ce que je dis, quelle est la limite de mon discours, limite au-delà de laquelle il est invalidé ou devient réducteur ?" Ici, ce qui va distinguer la discussion philosophique du simple échange d’opinions, c’est que l’orateur va tenter d’aller jusqu’au bout des objections qui lui sont faites, ou qu’il va concevoir lui-même, pour voir en quoi elles sont capables d’invalider sa proposition, sa propre position.

Le troisième élément essentiel à la discussion philosophique, est la conceptualisation. Ce que l’on appelle en philosophie l’élaboration d’une problématique, c’est-à-dire être capable de saisir un concept dans sa multiplicité de lectures, dans sa diversité de sens, avec toute la tension conflictuelle que peut comporter cette multiplicité.

Ces trois éléments, identification, position critique et conceptualisation, constituent finalement un schéma d’inspiration classique : thèse, antithèse, synthèse.

À partir de là, comment sortir de la simple discussion à laquelle nous sommes habitués, à la maison, au café, ou même des discussions entre collègues enseignants ? Comment créer un contexte, comment formaliser une discussion qui permettra qu’un philosopher émerge ? Là encore, je m’inspire de la conception socratique : mettre en place des situations qui tentent de recréer cette atmosphère, cet état d’esprit, ce mode d’interrogation. C’est le cas par exemple de l’exercice du questionnement mutuel.

Le débat qui est demandé dans le cadre de l’enseignement citoyen, juridique et social semble répondre à votre description…

Oscar Brenifier : Effectivement, il y a là une dimension citoyenne du discours philosophique qui me semble essentielle. Le rapport à l’autre n’est plus le même. À partir du moment où je conçois que l’autre me permet de constituer ma pensée, puisque grâce à lui je deviens conscient de mes présupposés, grâce à lui je peux m’engager dans une critique constructive. Le rapport à l’autre n’est plus un rapport de simple opposition, de confrontation ou de concurrence, mais un rapport citoyen, dans la mesure où le citoyen est l’individu qui se constitue au travers de la cité, donc au travers de la communauté.

Les étapes classiques d’une recherche documentaire sont : problématiser un sujet, repérer des sources, citer des sources, confronter les sources. Les mots que vous venez d’employer comme conceptualisation, questionnement, critique semblent assez proches. Que diriez-vous du rapport entre la démarche philosophique et la démarche d’appropriation de contenus de documents dans un projet de recherche d’information ?

Oscar Brenifier : Bien sûr qu’il y en a un. Vous parliez de lecture critique, c’est un des éléments fondamentaux du rapport au document écrit que l’on tente d’induire dans une démarche de type philosophique. Je voudrais vous donner un exemple : un élève apporte un texte trouvé sur l’Internet et la documentaliste lui demande où il l’a trouvé "J’ai trouvé ça dans quelque chose qui s’appelle L’humanité. – Mais, est-ce que tu sais ce qu’est L’Humanité ?" L’élève ne sait pas. C’est typique : parce que c’est écrit, parce que c’est dans l’Internet, on ne pense pas à partir de quoi c’est écrit, on ne se pose pas la question d’où émerge l’idée. Il faut tenter de sortir le texte d’un cadre purement objectif.

La difficulté de la critique aujourd’hui est que nous assistons à une confusion des genres en ce qui concerne subjectivité et objectivité. Le monde se divise entre d’une part une sphère privée où rien n’est à mettre en question parce qu’il y est uniquement question de choix personnels et de sensibilité, et d’autre part la sphère publique, objective, où règnent, incontestables, les sondages et les experts. Prenez cette phrase que l’on entend sans cesse : " Je ne juge pas, je constate". La dimension du jugement, source de mauvaise conscience, est extirpée, et à partir du moment où il s’agit exclusivement d’un constat, toute dimension de subjectivité et donc de partialité est totalement gommée ; c’est là que l’on perd la perspective sur un discours ou sur un texte, sa réalité intrinsèque.

La première question que je pose à l’élève après lecture d’un texte, que ce soit La Fontaine, Platon ou même la Chèvre de monsieur Seguin, est : "Dis-moi, ça t’a intéressé ce texte ? Es-tu es d’accord avec l’auteur ?" Généralement l’élève est surpris, parce que d’habitude on lui demande de découper le texte en ses différentes parties ou d’analyser le champ lexical ; on ne lui demande pas ce qu’il en pense. Demander à un élève s’il est d’accord avec Platon paraît une hérésie, ou alors c’est un truc, un piège ; que se passe-t-il ? Identifier la subjectivité qui est la nôtre et identifier la subjectivité du texte que nous avons en face de nous, c’est exactement la même chose, l’exercice part du même principe : aller chercher les présupposés, en identifier les implications et les conséquences afin de pouvoir entrer dans une réelle position critique. Le travail du documentaliste, que ce soit celui d’analyser un document ou d’en confronter plusieurs entre eux, rejoint ici la démarche philosophique au sens large.

Dans un atelier, quel est le rôle de l’animateur ? Comment un enseignant doit-il s’y prendre ?

Oscar Brenifier : Dans un atelier, l’enseignant est là pour que s’installe un questionnement, un dialogue philosophique plutôt qu’une simple discussion. Il est présent afin de maintenir une exigence, non pas une exigence de contenu mais une exigence de forme, qui assure qu’un contenu surgira. Il ne s’agit pas de téléguider des réponses attendues, mais d’installer une pratique. C’est lent, parfois très lent. Alors les participants expriment leur frustration : "On n’a pas émis beaucoup d’idées." Mais l’important n’est pas d’émettre beaucoup d’idées, c’est de travailler une idée, d’éviter l’ennuyeuse suite d’opinions. C’est là qu’il y a exigence philosophique. Le jour d’une dissertation, ce n’est pas tout d’avoir une idée : comment la pétrir, voilà la question. Donc l’enseignant ne vient pas à l’atelier avec un contenu tout fait. Il questionne, et au fur et à mesure, les élèves apprennent à se questionner entre eux, en grand groupe ou en petits groupes. Le défi ultime pour le professeur-animateur, c’est de pouvoir ne rien faire. Il doit avoir l’ambition d’être paresseux.

Finalement, dans ce genre de schéma, l’élève devient enseignant. Il va s’apprendre à lui-même et il va apprendre aux autres. Il y a rupture avec le schéma classique où d’un côté se trouve l’enseignant et de l’autre l’élève. Dans cette perspective, rien n’est plus extérieur à l’exercice. Un exemple : dans un atelier, des terminales devaient corriger mutuellement leurs dissertations. Il y eut des réactions très violentes : "De quel droit vais-je juger l’autre? ", "Nous ne sommes pas formés à la correction de copie !". À travers l’exercice, ils ont finalement été amenés à comprendre comment un jugement s’effectue sur une dissertation. Ils sont devenus conscients par eux-mêmes de leurs propres difficultés. Ils se sont aperçus que leurs propres pairs ne comprenaient pas toujours ce qu’ils disaient. Ils ont commencé à émerger d’une vision infantile et arbitraire de l’exercice et de sa correction, où seule compte la note. Le schéma d’autorité ne disparaît pas, les élèves reconnaissent que l’animateur a un rôle spécifique, mais ils apprennent en eux-mêmes à réintégrer cette autorité. Après tout, normalement, au cours de l’éducation, ne doit-on pas peu à peu transférer l’autorité de l’enseignant à l’élève ? Sinon, on ne fait que reproduire des schémas qui nous ramènent à l’impuissance du sujet, ce sentiment qui est la source de l’amertume et du ressentiment, à l’origine de l’incompréhension entre l’enseignant et l’élève.

L’enseignant jouerait le rôle d’un modérateur ?

Oscar Brenifier : J’utilise peu, voire pas du tout le terme modérateur pour la raison suivante : j’appelle au contraire à la confrontation. L’idée que finalement, à l’école ou ailleurs, il n’y aurait pas d’enjeu existentiel dans une discussion me chagrine assez. Je voudrais vous donner un exemple qui me tient à cœur : j’ai eu une discussion avec des enseignantes parce que j’ai proposé en maternelle une histoire que tout le monde connaît, La Chèvre de monsieur Seguin. "Oui, me dit-on, mais il y a quand même mort, meurtre, c’est assez violent." Elles m’ont donc proposé l’histoire d’un petit chaton qui a perdu ses mitaines. Eh bien, la discussion a été impossible, elle n’a jamais démarré. Alors qu’avec la Chèvre de monsieur Seguin, au contraire, des idées ont pu surgir. Pourquoi ? Il y a souvent une erreur qui peut être faite : ce n’est pas nécessairement en banalisant le contenu, en minimisant la charge ou en la rendant objective, quelle qu’elle soit, que l’on va arriver à créer une discussion. Je suis convaincu d’une chose : pour que l’enfant, l’adolescent ou l’adulte se risque dans une prise de discours, il doit y avoir des enjeux. Aussi suis-je plutôt un dramatiseur qu’un modérateur.

Quel rôle donnez-vous précisément à l’atelier par rapport à d’autres formes d’enseignement ?

Oscar Brenifier : Le cours magistral a son rôle, je ne suis pas du tout pour l’abandon de la leçon. Tout comme en physique ou en chimie, il y a le jour de la leçon et le jour de l’exercice pratique : le laboratoire. La pratique ne s’oppose pas à la leçon, c’est un complément à la leçon, la mise à l’épreuve de la leçon, l’appropriation de la leçon. Le problème que nous avons en lettres et en philosophie, c’est qu’il n’y a pas d’exercice collectif, il n’y a pas de moment où l’on va patauger ensemble, où l’on va faire des bêtises, où l’on va casser des éprouvettes, et ce moment-là me semble important. Parce que sinon, s’installe une rigidité morbide et de fait une coupure radicale entre l’autorité et celui qui subit l’autorité.

Là où je voudrais faire une opposition, c’est entre la pensée qui a encore à se faire, à s’élaborer, à se construire, et la pensée toute faite. Le problème, c’est comment faire que quelque chose s’élabore dans le lieu même de l’enseignement qui est la classe, et pas uniquement le jour de l’examen ! Qu’il n’y ait pas d’opposition formelle entre la transmission d’une pensée qui est déjà élaborée, et l’instauration d’une pensée qui a encore à s’élaborer. Je dirais que l’atelier est un exercice intermédiaire entre la dissertation du professeur, celle qu’il fait pendant le cours, et la dissertation de l’élève, le jour de l’examen. Il faut qu’il y ait une dissertation collective, c’est-à-dire qu’il y ait une confrontation vivante, sous des modes différents, entre l’enseignant et les élèves.

Quelles difficultés empêchent selon vous le recours plus fréquent à ces "travaux pratiques" en lettres ou en philosophie ?

Oscar Brenifier : Il y a trois grandes difficultés. La première, c’est la peur de la perte de temps. On perd du temps, voyez-vous ! Déjà en maternelle, il y a l’idée d’une perte de temps. Et plus on avance dans les années, plus cela devient une obsession. Or quand on met en place un atelier de ce genre, on ne sait pas exactement où le mouvement va mener. C’est un peu comme un exercice de gymnastique. Vous n’aurez pas nécessairement appris quelque chose de concret et formalisable, mais vous aurez remué vos muscles, vous aurez travaillé : c’est la notion de pratique.

La deuxième difficulté, c’est la peur de l’erreur. On va dire des bêtises. Dire des bêtises, quelle catastrophe ! Comme si flottait dans les airs une espèce d’inspecteur mythique, présent en permanence, suspendu comme une épée de Damoclès. J’ai rencontré des enseignants qui s’excusent des erreurs de leurs élèves ! Alors que l’erreur, pourquoi ne pas l’assumer ? Pourquoi ne pas en profiter ? Elle est là de toute façon, autant qu’elle serve.

Ensuite, il y a le problème des convictions personnelles de l’enseignant. Je vais vous donner un exemple que j’ai trouvé frappant, en maternelle, lors d’une discussion sur "faut-il rapporter ?" La plupart des élèves, une fois que l’on a bien creusé, une fois passé le discours attendu ("Ah oui, il faut le dire à la maîtresse !"), pensaient en fait qu’il ne faut pas rapporter. Or, la maîtresse m’a avoué par la suite qu’elle bouillait pendant cette discussion, parce que "Vous vous rendez compte, en ZEP, il y a des choses graves qui se passent et nous, nous ne le savons pas, donc nous ne pouvons pas intervenir". Pourtant, il faut bien que s’exprime cette pensée, pour que l’on puisse travailler dessus. Si on ne permet pas qu’elle s’articule, parce qu’il y a des problèmes de convictions propres, eh bien nous nous retrouverons classiquement avec deux discours : le discours attendu, celui que l’on donne à l’enseignant, et puis l’autre, le vrai discours. C’est un problème important en Terminale : dans la dissertation, vous trouvez régulièrement un collage entre les opinions toutes faites des élèves, et les opinions toutes faites des auteurs. Mais le corps à corps, la confrontation de moi avec l’autre, de moi avec les auteurs, de moi à moi, ils n’y sont pas. On a appris simplement à gommer temporairement une pensée singulière et à calquer, à rajouter artificiellement des choses par-dessus. Le mensonge s’est institué.

En ZEP, pour l’enseignant, l’élève est souvent un martien. Et au lieu de tenter de faire que le martien s’exprime, au risque de l’étrangeté du discours, on préfère prétendre et gommer : faire comme si... Certes, sur l’instant c’est moins effrayant, mais à terme, je pense que c’est beaucoup plus effrayant. On confond travailler la pensée, ce qui prend du temps, et imposer une pensée, ce qui ne peut pas vraiment marcher. Pas plus que de faire de la démagogie d’ailleurs.

Vos ateliers sont basés sur le dialogue. Quelles qualités conférez-vous à l’oral ?

Oscar Brenifier : Dans l’oral, ce qu’il faut réhabiliter, c’est la question. La question est trop souvent perçue comme une maladie que l’on entend guérir par une réponse certaine. Une problématique est une question qu’il s’agit d’élaborer. Pourquoi mettre tant d’importance sur les réponses et si peu sur les questions ? Questionner, c’est s’approprier.

Et de manière bizarre, cela va résoudre un problème, sujet on ne peut plus tabou : l’ennui de l’enseignant. Le stoïcisme chez l’enseignant est extrêmement fort ! Pendant de nombreuses années, vous allez donner la même lecture du Mythe de la caverne, la même lecture du texte de Descartes sur la cire, c’est invivable ! Alors abandonnez le texte aux élèves, et voyez ce que cela produit, regardez ce qui pousse, afin de travailler dessus. Tous ces contresens, ces erreurs, ces lectures bizarres, vous ne pouvez pas les inventer, or elles sont extrêmement intéressantes et vous en avez besoin pour orienter votre enseignement. De surcroît vous faites revivre ce texte : il prend à chaque fois une allure qui n’est jamais la même. Le problème, encore une fois, n’est pas l’oral en tant que tel, parce que l’on parle beaucoup à l’école, même trop, mais de découvrir qui parle, pourquoi on parle, comment on parle, quelle est la vie ou le sens que contient cette parole. Une fois que l’on fait ça sur la parole, on peut aussi le faire sur l’écrit, l’esprit restant le même. Je parle de l’esprit de perspective critique et de conceptualisation. Le problème pour moi n’est pas d’opposer l’oral à l’écrit, il est d’opposer un certain rapport à l’oral et à l’écrit à un autre type de rapport à l’oral et à l’écrit, de faire revivre un rapport naturel qui est gommé, parce que l’apprentissage se réduit à induire un rapport contemplatif, face à des connaissances prétendument certaines et objectives.

Intégrez-vous l’outil Internet dans vos ateliers ?

Oscar Brenifier : Je suis en train de patauger avec Internet, c’est nouveau et je n’ai pas beaucoup d’expérience. Il me semble que la démarche philosophique peut apporter un esprit critique bénéfique à ce nouvel instrument de l’écrit. Est-ce que finalement Internet n’est pas trop souvent simplement un outil de documentation sans lecture critique ? On va chercher des documents, on les reproduit, on s’en sert, mais comment faire pour qu’il y ait là aussi un corps à corps ?

Une première solution serait déjà que l’élève écrive sur l’Internet, pour qu’il comprenne que ce n’est pas une machine qui produit des vérités, qu’il y a des individus derrière. En plus, il se verra comme acteur et non plus comme un simple récepteur. Il critiquera beaucoup plus facilement s’il est déjà partie prenante en écrivant dedans. C’est ce que je tente de faire cette année en créant un site de classe, où les élèves écrivent et comparent leurs écrits.

J’ai été surpris par un autre aspect du phénomène, imprévu, lors d’un travail en classe avec des Terminales. Les élèves avaient pris sur Internet des documents tout faits, sans citer les sources : ils avaient copié. Avec le professeur titulaire, nous avons un peu exagéré devant eux les conséquences juridiques possibles de ce geste, et ils se sont tous précipités pour rectifier, concocter leurs propres réponses et se mettre en règle. Un dossier Internet, c’est public, tous peuvent voir que l’on copie sans le dire ! Voilà quelque chose qui me semble extrêmement important : pas seulement le fait de participer à l’élaboration de la vie de la cité, mais de prendre conscience de ce que je fais, de mes idées, qui ont des répercussions sur la cité, et vice-versa.

La philosophie, telle que vous la pratiquez, ne ressemble pas vraiment à la philosophie discipline scolaire, elle a une visée plus générale d’éducation…

Oscar Brenifier : On me dit parfois que ce que je fais n’est pas de la philosophie, que c’est une propédeutique à la philosophie. C’est vrai. Je crois toutefois que la philosophie est principalement une propédeutique, c’est peut-être cela que l’on a oublié. Si elle a quelque chose de spécifique à amener, c’est ce côté propédeutique, valable pour toutes les matières : son esprit. Dans le domaine scientifique aussi, on oublie l’esprit de la matière. La propédeutique, c’est d’arriver à faire passer ce qui est la substance vive d’un enseignement, avant ou en même temps que les données particulières de la matière. On réduit une matière à des connaissances, à des acquis, voire même à des pratiques, mais qu’en est-il de l’esprit de la matière, ce qui fera qu’un scientifique est un scientifique, ce qui fera qu’un philosophe est un philosophe, et pas seulement un enseignant ou un élève ? Lorsque l’on est dans un atelier, tout le monde est philosophe, pas nécessairement très bon, mais tout le monde tente de philosopher, et c’est cet effort qui fait le philosophe. L’état d’esprit, le principal, ce qu’il ne faut jamais oublier.

Pour aller plus loin

Vous pouvez aussi lire des textes de l'auteur dans la revue "Diotime l'Agora" en ligne à l'adresse suivante
http://www.ac-montpellier.fr/crdp/agora/ag_accueil.htm

Oscar Brenifier intervient dans les établissements scolaires à la demande des chefs d'établissements, des enseignants de disciplines et des documentalistes.