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Par Anne Welker, documentaliste du CDDP du Haut-Rhin,
[mars 2011]
Mots clés : incitation à la lecture , prix littéraire , auteur
Entretien avec Jean Michel Hiou, professeur de lettres au Lycée Roosevelt de Mulhouse, fondateur du Prix littéraire des lycées professionnels du Haut-Rhin et Cyril Blanc, documentaliste au Lycée Roosevelt de Mulhouse, membre du groupe de pilotage du Prix littéraire des lycées professionnels du Haut-Rhin
Jean Michel Hiou : Le principe est très simple. Quatre livres sont sélectionnés au moment de la rentrée littéraire. Les élèves doivent les lire et en élire un. L’une des sources de motivation est la rencontre avec les auteurs. L’objectif est que la littérature soit vivante et humaine. C’est un moment important pour les élèves car il se sentent écoutés, pris au sérieux. Ils ont réponse à leurs questions et se sentent valorisés. Ce n’est pas un discours, mais un échange. Ils sont au même niveau que l’auteur. Ces rencontres sont essentielles tout au long du projet car elles relancent la lecture. Les auteurs vont apporter des éléments qui vont donner aux élèves envie de poursuivre leur lecture ou de la revoir. En mai, tous les élèves sont réunis, un jury est mis en place, et après débat, nous procédons au vote.
Jean Michel Hiou : Les élèves qui participent font des études du CAP au Bac pro. Il y a aussi bien des lycées industriels que tertiaires, des garçons que des filles. La diversité du public fait la richesse de ce projet car ils ont des visions et des discussions différentes. Certains sont en couture, en mécanique automobile, en comptabilité, en sanitaire et social, en coiffure, en chaudronnerie…Ce prix a été créé pour montrer qu’on n’a pas besoin d’être en section littéraire pour parler littérature.
Jean Michel Hiou : Le prix existe depuis 17 ans. Au départ, j’ai commencé dans ma classe, j’avais intitulé l’opération « Prix littéraire du lycée Roosevelt de Mulhouse » ; des collègues ont en eu échos, et ont souhaité s’y joindre, ce fut alors le « Prix littéraire des lycées professionnels de Mulhouse » ; puis, toujours par le bouche à oreille, le prix s’est étendu au secteur de Haute-Alsace pour finir départemental. Le réseau des documentalistes a été essentiel dans ce développement. Michèle Ménière, documentaliste pendant de nombreuses années au lycée professionnel Roosevelt, a un rôle déterminant dans cette dynamique d’extension du prix par son rôle auprès des documentalistes du département.
Jean Michel Hiou : 23 lycées participent, ce qui représente environ 60 enseignants. Nous avons mis en place un groupe de pilotage composé de 10 enseignants, chacun a des tâches précises en fonction de ses compétences. Hors établissements, nous avons des partenaires financiers : la MJC de Wittenheim, la librairie Bisey, Chapitre et le Liseron à Mulhouse. Les librairies nous offrent des livres que nous donnons ensuite aux élèves, en échange, nous passons nos commandes chez eux. Elles sont également conseillères, elles nous suggèrent des nouveautés à la rentrée littéraire qui servent de base à notre sélection. Nous avons une subvention ACMISA, des fonds de la Région Alsace, de la ville de Mulhouse, de la Fondation du Crédit Mutuel pour la lecture et du Crédit mutuel enseignant de Mulhouse. La Filature (salle de spectacle) nous reçoit gracieusement. Les subventions couvrent l’ensemble des frais pour la venue des auteurs et les commandes des livres. (Voir document budget)
Cyril Blanc : Je commande les livres pour tous les établissements, nous les distribuons par la suite. Ce prix est l’occasion pour les CDI d’alimenter leurs fonds en achetant d’autres ouvrages des auteurs participants. Chaque CDI fait ensuite en fonction de ces moyens.
Jean Michel Hiou : J’ai contacté les auteurs directement, on trouve de plus en plus leurs coordonnées sur Internet, je passe également par les éditeurs.
Jean Michel Hiou : Nous passons par la MJC de Wittenheim. On conventionne avec elle et ensuite, elle établit un contrat avec l’auteur. Nous établissons également une convention entre le lycée Roosevelt, organisateur du Prix et les lycées participants. Nous y spécifions notamment que si les subventions ne couvrent pas l’ensemble des frais, le déficit sera réparti entre les établissements participants. Nous expliquons que c’est le lycée Roosevelt qui touche la subvention pour l’achat des livres et que ceux-ci sont ensuite répartis entre les établissements. L’achat d’autres livres dans le cadre de la sélection se fait sur budget propre de chaque établissement. Les questions juridiques sont de plus en plus complexes, nous avons revu plusieurs fois nos modèles de conventions en fonction des difficultés auxquelles nous n’avions pas pensé, notamment pour le droit à l’image. Nous avons récemment ajouté un paragraphe dans lequel nous demandons à l’auteur d’accepter de se faire photographier par la presse et pour nos activités de compte rendu à nos partenaires financiers.
Jean Michel Hiou : Nous sommes très organisés, étant donné que l’auteur vient plusieurs jours et rencontre dans la mesure du possible tous les lycées participants du département. Certains établissements proches regroupent leurs élèves, l’auteur peut voir des groupes de 15 à 60 élèves. Nous fonctionnons beaucoup en réseau, sans quoi, le projet ne pourrait exister. Un planning est établi, en général, l’auteur fait 2 établissements le matin et 2 l’après-midi ; chaque collègue est chargé de l’emmener d’un établissement à un autre, puis le ramène à son hôtel ou à la gare. Les enseignants évaluent aussi les rencontres ; nous restons en contact avec l’auteur pour avoir ces retours. En général, ça se passe bien. Les échanges durent en moyenne 1h15.
Jean Michel Hiou : Jusqu’à présent, nous avons toujours eu des retours positifs. Ils sont impressionnés par ces adolescents capables de discussions profondes et passeurs d’émotions. Beaucoup nous ont fait parvenir des encouragements et leurs témoignages.
Cyril Blanc : Non, ce n’est pas l’esprit du Prix. La préparation pédagogique est libre. Le principe commun est la discussion autour du livre. Le but est de donner envie de lire et les rencontres avec les écrivains sont des moments forts qui permettent de relancer la dynamique de lecture, ce n’est pas un exercice scolaire. On ne veut pas retomber dans la fiche de lecture et l’analyse. La rencontre est un moment de plaisir, un échange libre, on ne veut pas la brider, la corseter structurer par des fiches. C’est un moment magique. Je dirais même, que ces rencontres ont pour but de sortir de l’établissement et de la salle de classe. Nous souhaitons dégager la lecture des pesanteurs scolaires, nous ne voulons pas formater la discussion avec l’auteur.
Jean Michel Hiou : L’enjeu pour les élèves est de défendre leur opinion qui concrètement et réellement va avoir un poids : le choix d’un livre. Décerner un prix parle aux élèves, ce n’est pas déconnecté du monde, comme ils peuvent en avoir l’impression avec des exercices scolaires.
Jean Michel Hiou : C’est plutôt le thème du livre qui importe. Les élèves ne jugent pas l’écrivain, la personne, mais bien le livre. Ils font la distinction.
Cyril Blanc : Pour ma part, j’ai l’impression que lorsque le contact s’est bien passé, les élèves réévaluent leur jugement. En dernier lieu, la finale et le jury permettent de clarifier les différentes opinions.
Jean Michel Hiou : Le prix a du succès car le principe est basé sur une participation et une organisation hors scolaire. C’est une approche différente de la lecture et du monde littéraire : accès à l’émotion, au ressentis, partage et socialisation. C’est un moment commun à des élèves de différents niveaux et d’établissements différents, c’est l’occasion de se rencontrer, d’échanger des avis, ils sont en demande de socialisation à cet âge. Ils sont dans un cadre où il leur est possible de parler, sans être jugé car il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, il n’y a pas des avis d’adultes ou des avis de jeunes. Tout le monde est au même niveau et se respecte.
Cyril Blanc : Les élèves en parlent entre eux. C’est l’avantage de faire participer des élèves de différents niveaux et de différents établissements. Le Prix bénéficie d’une certaine réputation. Les choses se déroulent facilement, par le bouche à oreille.
Jean Michel Hiou : Environ 300 élèves sont réunis à la Filature. C’est déjà un cadre prestigieux ; pour un vote qui a de l’importance. Nous leur donnons un bulletin de vote et un stylo à l’effigie du logo du Prix. Chaque lycée est représenté à la tribune par un délégué qui vient développer son point de vue à la tribune sur scène. Jacques Lindecker, chroniqueur littéraire, connu dans la région, anime le débat. Il gère la répartition de la prise de parole. En général, un élève fait un résumé du livre, puis la discussion est lancée. Le talent de Jacques Lindecker réside dans le fait qu’il sait poser la bonne question pour confronter les points de vue et relancer le débat. Cette partie dure 20 minutes, puis la salle réagit. La Filature nous offre un cadre privilégié : une grande salle, des micros, des techniciens qui gèrent la mise en scène et l’éclairage des élèves prenant la parole.
Les élèves votent, et dépouillent. A leur sortie, on leur remet un livre.
Les enjeux dépassent largement le monde littéraire. Ces activités déclenchent quelque chose qui réconcilie les élèves avec le monde scolaire en général. D’abord, nous luttons contres les idées reçues selon laquelle la littérature est un domaine inaccessibles aux élèves de LP. Nous leur proposons une activité d’excellence pour les valoriser et leur permettre de montrer leurs capacités. Ensuite, nous créons une dynamique de lecture, ponctuées par les rencontres d’écrivains. Nous leur offrons la possibilité de s’exprimer sur leur lecture. Ils sont amenés à prendre la parole devant 360 personnes et doivent être convaincants. Ils vivent et partagent le plaisir et les émotions qu’ils ont ressenties lors de leurs lectures. Enfin, débattre, c’est se mettre au contact d’idées différentes des siennes, c’est savoir confronter et respecter, c’est devenir futur citoyen. Les élèves nous font beaucoup de retour dans ce sens : le Prix a un impact sur leur relation à la lecture mais aussi sur toute leur personnalité. Nous avons vu des élèves changer, poursuivre des études, prendre confiance en eux et oser venir prendre la parole à la tribune ou dans la salle alors qu’ils n’arrivaient pas initialement à s’exprimer.
Voici le témoignage d’un élève, ce sont les propos qu’il a tenus à Jacques Lindecker :
« Vous ne vous souvenez pas de moi, mais au jury du Prix littéraire, j’ai défendu un livre à la tribune. Le Prix littéraire a changé ma vie. Avant, je me sentais exclu de la culture et de la lecture ; je pensais que l’univers de la Filature, ce n’était pas pour moi. Depuis le Prix littéraire, je lis et j’ai pris la décision de continuer les études, et actuellement, je prépare un BTS »