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Canopé-académie de Toulouse a mené un entretien à distance avec Denis Weiss (professeur-documentaliste, CDI des lycées Leconte de Lisle et Lislet Geoffroy, La Réunion) qui est avec Alexandra Maurer (responsable du département ressources documentaires, médiathèque, ressources numériques, Canopé-académie de La Réunion) à l’initiative du projet de B2i.mooc lancé en juin 2014.

Pour consulter B2i.mooc : http://lisletdelisle.fr/moocs/mediateks/

Pouvez­-vous nous présenter votre projet B2I.MOOC ?

Denis Weiss : B2i.mooc est destiné à aider les élèves à valider certaines compétences du B2i lycée. Les élèves sont invités, après une première évaluation sous forme de QCM, à parcourir librement 6 modules principaux, puis à répondre à des questions, produire des documents, participer à un forum, commenter des documents en ligne... L'ensemble des activités du parcours est consigné dans une fiche de position qui permet le dialogue avec les enseignants susceptibles de valider les compétences du B2i. Il s’agit avant tout d’un prototype, en constante évolution, et pensé d’emblée comme modulable.

Comment vous est venue l'idée de recourir à ce dispositif ?

Denis Weiss : Depuis mon inscription à Compuserve (1994), j'avais réalisé de nombreuses fiches et outils, essentiellement en direction des professeurs documentalistes, sous forme de support de cours, ou d'activités à visée d'autonomie. Et, comme tous les “anciens“du WEB, j'ai commencé par faire des pages au blocnotes. Mon premier guide date de 1997-1998 si ma mémoire est bonne, un ligne à ligne sur BCDI : Comment faire un prêt, une saisie, une recherche, etc. Déjà, il s'agissait, en plus de quelques éléments théoriques, le plus souvent réduits à minima, d'engager une pratique, de faire, expérimenter… Mais c'était en mode ligne à ligne… Un peu plus tard, vers 1999, avec notamment l'utilisation du logiciel Flash (Macromedia à l'époque) pour réaliser une carte interactive du CDI, la notion de temps dans la page Web, et donc de parcours qui peuvent être différents selon des critères programmés, ajoutait une dimension forte aux pages. Les parcours pouvaient désormais être différents et ce Graal d'une visite non seulement totalement personnalisée mais interactive et dynamique, qui hante sans doute tout producteur de documents en ligne, semblait un peu plus atteignable. Comment rassembler tous ces documents ? Comment les exploiter en dehors des traditionnelles séances au CDI ? Comment rendre des contenus interactifs ? Et, surtout, comment créer des parcours individualisés ? Le B2i lycée était ainsi l'occasion et le prétexte pour répondre à ces questions, des enseignants et des élèves en matière de formation à la recherche, aux médias, à l'informatique, bref à l'EMI, et d'unifier en un seul parcours un certain nombre de documents, de tutoriels et d'activités disparates. Alexandra Maurer a un diplôme en ingénierie de formation d'adultes. C'est elle qui m'a parlé en tout premier des MOOCs. Et c'est donc sur l'organisation générale, la mécanique même du MOOC, la notion de parcours qu'elle est intervenue. Plus particulièrement elle m'a proposé et propose encore en permanence des approches différentes, une spécification plus nette des finalités, des possibilités de parcours que j'essaye ensuite de traduire en code.

Quel délai vous a été nécessaire entre l'idée de ce MOOC et sa mise en oeuvre pédagogique concrète ?

Denis Weiss : La partie corpus existait déjà sous diverses formes. Il a fallu construire des types d'activités (par glissé/déposé, QCM, annotations…), ajouter la gestion des comptes et le stockage des parcours.
Ce ne sont pas les informations textuelles qui sont les plus longues à rassembler ou produire, mais le travail et la réflexion sur “l'expérience utilisateur”, le travail sur la forme, la généralisation du “one clic”, la programmation.
Je ne voulais recourir ni à un CMS, ni par exemple à un "bootstrap" mais rester entièrement libre du code. Un code HTML le plus pur possible (en ligne de mire une version EPUB automatisée), des feuilles de styles, Javascript côté client, PHP côté serveur, une articulation entre contenu, présentation, comportement avec une dégradation acceptable selon les terminaux tout en restant facilement maintenable : voilà le cahier des charges.
Cette approche présente l'avantage du fait maison et la possibilité de gagner beaucoup de temps s'il faut adapter les pages, même s'il est nettement moins débogué qu'un outil clé en main. Accessoirement, maîtriser le code permet aussi de l'enseigner…
Du coup l'interface utilisateur a déjà changé pour essayer de s'adapter au mieux aux différents “medias queries” :

  • le menu a été détaché du texte,
  • les exercices interactifs ont été séparés de la page et peuvent donc être réutilisés ailleurs via une iframe etc.
  • des boutons ont été agrandis pour que l'on puisse les actionner facilement au doigt
  • une version EPUB a été proposée.

De même la programmation de la gestion des comptes a été perfectionnée :

  • cassification [1] dans l'ENT utilisé à la Réunion ce qui permet à tout élève de s'identifier avec son compte ENT
  • génération des QCM au hasard
  • optimisation des tables de base de données.

Bref c'est surtout la partie programmation qui a été la plus longue à créer, par intermittence pendant environ 8-9 mois et cela n'a été possible que parce que notre CDI était en réhabilitation donc en fonctionnement réduit.
Mais si je n'ai pas recours au CMS, j'utilise largement les API (Application Programming Interface). Par exemple un simple champ texte de saisie peut être transformé en quasi traitement de texte avec quelques lignes de code et l'API tinymce (http://www.tinymce.com/presentation/index.html).
Je rêve d'ailleurs d'une API LDAP Education nationale depuis une bonne douzaine d'années. Plutôt que de gérer des comptes elle consisterait à gérer des identités. Chaque élève (et ancien élève) aurait ainsi un compte (à minima, identifiant et mot de passe) dont il pourrait administrer la part publique et privée :

  • privée, ses données chiffrées avec un petit espace de stockage ;
  • publique, ce qu'il souhaite rendre public. Sa classe, mais aussi pourquoi pas ses passions, ses anciennes écoles etc.

L'API permettrait d'accéder à priori à des informations rendues publiques (ou pas), de proposer des services différenciés sans ces processus lourds que sont les intégrations à l'ENT. Par exemple un enseignant pourrait proposer des cours aux élèves inscrits dans son établissement mais aussi aux lycées d'à côté, par simple glissé déposé de document.
Bref, il s'agit de faire une révolution copernicienne. En plus des contenus validés par l'institution par exemple pour leur intérêt pédagogique, ouvrir la porte pour la réception de contenus ciblés : par exemple un élève envoie un lien à tous les élèves d'une académie de sa filière, un enseignant partage une fiche pédagogique avec des élèves d'un autre établissement par simple glissé déposé.

Quel retour d'utilisation en avez-vous aujourd'hui (autant sur le plan quantitatif que qualitatif) ?

Denis Weiss : Nous n'avons ni le temps ni les moyens de concurrencer des “professionnels” (pas d'équipe technique pour nous seconder, le MOOC est sur un serveur partagé….). Mais le “fait main” et les petits projets adaptables ont aussi leur charme. Nous avons environ 400 inscrits essentiellement hors établissement. Notre volonté n'est pas d 'en faire une trop rapide montée en puissance mais d'accompagner les projets. C'est d'ailleurs pour cette raison que dans mon établissement je limite volontairement le MOOC à des collaborations choisies. Au quotidien je m'en sers directement dans le cadre des échanges avec mes élèves : “tiens si 'tu as besoin d'en savoir plus je te conseille de faire cette partie là”. Cela peut aussi prendre la forme d'interventions ponctuelles dans un cours. Un enseignant vient pour un travail je sélectionne par exemple une capsule vidéo (par exemple l'une de celles, excellentes, produites par les bibliothèques de l'Université de Montréal : http://www.unil.ch/magellan/fr/home/menuinst/cultureinformationnelle/preparersarecherche.html ) ou un plan interactif que je vais présenter.

Plus rarement cela prend la forme d'un cours. D'abord parce que mon intention pédagogique est d'abord différenciée, individualisée et hors temporalité stricte et prédéterminée. Nous voyons passer environ 360 élèves par jours, tous différents, que nous finissons par connaître un peu et pour lesquels nous adaptons en permanence nos réponses.

Ensuite, parce que près de 3000 usagers potentiels écartent d'emblée toute possibilité de massification, de systématisation.

Je préfère d'ailleurs largement voir des enseignants s'approprier est réutiliser des parties du MOOC dans leurs cours au meilleur moment.

Par exemple la revue de presse est dans beaucoup de programmes et je suis intervenu ponctuellement l'année dernière (et le plus souvent en venant dans les classes et en m'appuyant sur les utilisations des ordinateurs, tablettes mais aussi téléphones des élèves). Cette année je suis beaucoup moins sollicité parce que les enseignants prennent cette partie en charge et je n'interviens plus que sur les nouveaux aspects des panoramas de presse.

L'idée du MOOC est un peu la même, proposer des parcours différents, des temps qui peuvent être regroupés et d'autres plus libres, des modalités, des vitesses, des approches différentes. C'est en tout cas ce qui est visé.

Plus généralement, personne n'imagine que des élèves vont se mettre tous seuls en activité. Le plus souvent c'est à l'initiative d'un enseignant que le démarrage se fait. Idéalement, j'aurai aimé pourvoir proposer une plateforme qu'un enseignant pourrait s'approprier, que tous puissent ajouter documents et référence, exercices (qui seraient versés dans le pot commun) bref changer de dimension dans les échanges.

Quel avenir envisagez-vous pour ce MOOC ? (en termes de déploiement, de contenus...)

Denis Weiss : Faute de temps, mon CDI fonctionne désormais à nouveau à plein régime, je me concentre essentiellement sur les pratiques dans l'établissement et les collaborations avec les enseignants. A mon grand étonnement, ce sont d'ailleurs eux, les enseignants, qui sont souvent les plus intéressés, et avant tout pour eux-mêmes.
Certaines parties (par exemple réaliser un document multimédia) sont au PAF et je suis ravi d’avoir désormais souvent plus de professeurs de discipline que de
professeurs documentalistes. C’est d’ailleurs cet aspect transversal qui est caractéristique du B2i.

J'ai dans l'idée de développer une appli, qui proposerait des choses du genre : que pourriez- vous faire aujourdhui ? Un tel de la classe de … vous recommande de lire cela. Pour cela je continue la collaboration avec la DSI sur la cassification, mais aussi plus généralement sur la granularité des ressources numériques, et je dois souligner ici la très bonne collaboration avec les services du Rectorat. Le prix des abonnements téléphoniques à la Réunion reste encore un frein.

Créer un petit groupe de pilotage (création d’exercices, repérage des sources, expérimentation) serait également souhaitable.

Mais la peur d’être débordé, finalement du succès ;) est la pire. Passer sa vie à gérer le curseur du “NON” n’est pas si simple.

Quels sont pour vous les avantages et limites de ces cours en ligne dans le cadre d'un parcours d'acquisition de compétences documentaires ?

Denis Weiss : Le principal avantage c'est d'avoir un support de dialogue avec l'élève qui "lui parle". Qu'il soit sur son téléphone, sa tablette ou son ordinateur il dispose d’éléments qui font lien. Ceux-ci visent clairement l'autonomie, c'est à dire le développement de compétences permettant de construire, déconstruire et créer un savoir à partir de pratiques, de recherches et d'échange sachant parfaitement que le cadre scolaire consiste justement à accompagner les parcours. Cette forme d’apprentissage et de formation me semble d’ailleurs correspondre à ce que nos élèves connaîtront dans leurs parcours professionnels.

Il n’en reste pas moins que le travail solitaire est très difficile. Le MOOC développe la dimension collective. Reste l’aspect convivialité. Un CDI de plus de 100 places y remédie partiellement. Peut-être faudrait-il y faire des MOOC parties ?

Notes de bas de page

[1] Dans le jargon informatique, terme qui désigne le "paramétrage d'un serveur de telle façon qu'il utilise CAS (= Central Authentication Service, système de SSO) pour l'authentification de ses utilisateurs"(source : Opens external link in new windowhttp://jargonf.org/wiki/CAS).