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Pourquoi pratiquer la lecture à voix haute avec des élèves ?

Par Marie-Hélène Pillon,
SavoirsCDI [avril 2005]

Mots clés : lecture

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Marylène Conan
Marylène Conan

Interview de Marylène Conan, conseillère relais aux bibliothèques de Rennes

Pouvez-vous vous présenter et nous préciser en quoi consiste votre mission de conseillère relais aux bibliothèques de Rennes ?

Marylène Conan : Je suis professeur de lettres au lycée Ile-de-France et conseillère relais à la délégation académique aux arts et à la culture (Daac) pour la lecture. Je travaille en partenariat avec la bibliothèque municipale (et donc toutes les bibliothèques de quartier de Rennes), il s’agit de développer les relations entre cette bibliothèque et les lycées et collèges de Rennes.

Vous vous intéressez tout particulièrement à la lecture à haute voix...

Marylène Conan : Il s’agit donc de mettre en relation la bibliothèque municipale, les documentalistes et les professeurs pour  accroître la fréquentation des bibliothèques par les jeunes, particulièrement ceux qui sont en fin de collège et au lycée car c’est l’âge où se manifeste le plus un certain désintérêt pour la lecture. A cette fin, la lecture à haute voix nous semble être une activité à développer.

La lecture à voix haute en classe n’a-t-elle pas toujours existé ? L’enseignant de lettres ne demande-t-il pas souvent à ses élèves de lire dans la classe des extraits de pièces de théâtre, des poèmes ?

Marylène Conan : Bien sûr, nous pratiquons tous la lecture à haute voix avec nos élèves. Mais bien souvent, elle est seulement le support de l’explication de texte à faire. Entre cette simple lecture et la lecture à haute voix conçue comme une activité à part entière, il y a une grande différence.

Qu'y a t-il de différent, de nouveau dans votre démarche ? Je vous ai entendue parler de la « mise en voix d’un texte ». Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par cette expression ? Quels en sont les objectifs ? En quoi sont-ils différents de ceux qu’un enseignant se fixait (se fixe encore) quand il demande à des élèves de lire, successivement, à voix haute tel ou tel passage d’une œuvre en classe ?

Marylène Conan : Cela consiste à faire vivre un texte devant des auditeurs (qui n’ont pas forcément celui-ci sous les yeux), à faire de la lecture une véritable activité qui demande du travail et une très bonne connaissance du texte puisqu’on en fait émerger un sens. C’est aussi une manière de faire surgir des images dans la conscience des auditeurs, de montrer combien notre imagination peut travailler à partir de l’écriture, de l’univers d’un auteur, de mettre aussi en évidence un style, un rythme, une respiration.

Quels projets de lecture à voix haute avez-vous menés avec vos élèves ?

Marylène Conan : J'en mène depuis longtemps, mais particulièrement depuis que j’ai découvert le concours national de lecture organisé par Les Livreurs, auquel ont participé certains de mes élèves de seconde et de première. La documentaliste Bernadette Bréchot, qui avait suivi une formation à cette fin, les avait initiés à une technique de mise en bouche, puis de lecture qui servait de base à notre travail. Nous avons ensuite lu des textes dans un café devant un public ordinaire et participé aux Scriludes, manifestation organisée par Isabelle Le Tiec sur la correspondance. C'est un genre qui se prête particulièrement bien à cela. Les élèves avaient été, à cette occasion, entraînés par la comédienne Lilette Ferré. Avec la même équipe nous avons participé au Goncourt des lycéens, il y a quatre ans. Les élèves ont lu des extraits de textes lors des journées de rencontres avec les écrivains. L’année précédente, nous avions aussi enregistré un CD de lecture pour Etonnants Voyageurs avec une classe de seconde.
Cette année nous sommes allés lire des textes dans une bibliothèque, la bibliothèque Nord Saint-Martin où nous avions mis au point ce projet avec Maryse Loison.
Au mois de juin, nous nous rendrons dans une maison de retraite où Marie-Annick Marion, qui s’occupe des prêts aux collectivités, nous accueillera.

Quelles ont été leurs réactions ? Quelles sont les compétences spécifiques acquises dans cette activité ?

Marylène Conan : Il est rare que les élèves résistent à cette activité qui les séduit très vite. Je les fais souvent lire à plusieurs voix, ce qui les rassure, ils apprennent à travailler ensemble, à s’adapter les uns aux autres car il faut tenir compte des différences de timbre et de hauteur de voix. Nous avons toujours l’impression de faire un véritable travail de groupe qu’il faut mener jusqu’au bout afin de présenter une lecture affinée et aboutie. C’est très agréable aussi de partager la saveur d’un texte qu’on aime, et dans lequel on entre à force de le travailler, de le dire. Je suis vraiment persuadée que c’est une manière d’aborder l’esthétique d’un auteur, de comprendre finement le texte tout en participant à la mise en évidence de son sens. Par ailleurs, cela permet souvent de sortir du cadre du lycée et de participer à d’autres manifestations.

Comment choisissez-vous les auteurs, les textes lus à haute voix ? Y a-t-il des écritures qui se prêtent particulièrement bien à cette mise en voix d’un texte ?

Marylène Conan : Parfois, les élèves choisissent eux-mêmes s’il s’agit de poésie, mais sinon il faut essayer de travailler les textes que nous étudions en cours, ce qui n’exclut pas le reste. En fait, nous nous adaptons à l’activité servant de support à cet exercice, comme au public ou au lieu. Il est difficile de répondre précisément sur le choix des textes car il faut essayer la lecture et c’est ainsi que l’on voit si cela fonctionne : c’est souvent une question de rythme, donc de style propre à créer ou non une atmosphère qui, elle aussi, sera fonction du cadre et du public.

Pouvez-vous nous décrire une action particulièrement réussie de lecture à voix haute que vous avez menée ?

Marylène Conan : Toutes les expériences ont été agréables, cependant, la plus enthousiasmante a été celle qui a eu lieu au café Elsa Popping car les élèves se sont trouvés face à un public qui ne les attendait pas forcément qui, cependant, les a écoutés avec intérêt. Il s’agissait de lire des extraits des Liaisons dangereuses, qui avaient été très travaillés auparavant. La langue du XVIII siècle, et particulièrement de ce roman est riche et pleine de sous-entendus et de méandres que la lecture à haute voix met bien en évidence, c’était un vrai plaisir partagé. Un véritable travail de compréhension est également nécessaire pour lire ce genre de littérature en raison du vocabulaire, de la complexité des phrases, des tournures anciennes, des doubles sens. Le jeu avec le destinataire est fondamental et se joue dans l’écriture même, aussi il faut réellement entrer dans cet univers, dans les relations compliquées entre les personnages, pour pouvoir exprimer tout cela à travers la lecture. C’est pourquoi je pense que c’est pratiquement aussi efficace qu’une explication de texte classique et beaucoup plus séduisant et attrayant.

Auriez-vous quelques conseils à donner à des enseignants qui voudraient se lancer dans ce type d’activité ?

Marylène Conan : Je n’ai pas vraiment de conseils à donner car mes collègues connaissent certainement ce genre d’activités mais je souhaiterais faire savoir qu’il est possible de pratiquer ce genre de travail en partenariat avec les bibliothèques qui sont des lieux qui nous reçoivent volontiers. En outre, toutes les idées sont les bienvenues, il est certainement possible d’imaginer des manières de faire se rencontrer des classes qui pourraient se présenter mutuellement des livres et des lectures. Nous organisons en outre, depuis deux ans, un stage de lecture à voix haute qui paraît dans le programme académique de formation, animé par les Livreurs et que je recommande à tous ceux que cela intéresse. J’aimerais à long terme que nous puissions organiser, sur Rennes, quelque chose comme un petit festival ou quelques journées de lecture à haute voix. Mais pour cela, il nous faut des gens qui auraient envie de se lancer dans ce projet. Je propose donc à ceux qui le souhaitent de me contacter à l’adresse suivante : maryleneconan@wanadoo.fr