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Une expérimentation académique : entretien avec Anne Wix

Par Karen Chabriac,
[septembre 2013]

Mots clés : méthode pédagogique, jeu (loisirs)

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Anne Wix est professeur documentaliste dans l'académie d'Aix-Marseille depuis 20 ans et a été correspondante TICE en collège après une carrière dans l'informatique. Depuis 2007, elle est chargée de mission pour les ressources numériques à la Délégation Académique au Numérique (DAN) et animatrice de point ac@r. Elle conçoit également des parcours Pairformance depuis 2010.

Bonjour, pouvez-vous nous dire pourquoi les jeux sérieux ?

Anne Wix : Mon intérêt pour les jeux sérieux date de la parution de la thèse de Julian Alvarez en 2007. J'ai alors perçu les jeux sérieux comme une ressource innovante dotée d'un fort potentiel, en phase avec les problématiques actuelles (prendre en compte un nouveau rapport au savoir induit par le numérique, intéresser et motiver les élèves, individualiser les apprentissages,…)

Comment percevez-vous l'arrivée des jeux sérieux en pédagogie ?

Anne Wix : De mon point de vue, les jeux sérieux sont une ressource, un outil parmi d'autres à la disposition de l'enseignant qui veut diversifier sa pédagogie – qui le doit même et de plus en plus s'il veut intéresser ses élèves. C'est pour moi une ressource qui a des spécificités particulières : simulation, interactivité, immersion, feedback et statut de l'erreur notamment. Cela la positionne comme ayant un vrai potentiel pour répondre aux problématiques actuelles, à condition bien sûr que le jeu soit compatible à des usages adaptés à une organisation scolaire contraignante (heure de cours, disciplines séparées) ou que l'organisation scolaire évolue ! Il faut également qu'il soit compatible avec les exigences des enseignants : traces pour évaluation notamment, paramétrage, rejouabilité…

Cela répond à une prise de conscience des enseignants qui ont envie de sortir du cadre encore très répandu du cours magistral qui, lorsqu'il est systématique, ennuie les élèves d'aujourd'hui et aussi certainement pas mal d'enseignants !

Utiliser les jeux sérieux c'est mettre l'accent sur le plaisir d'apprendre dans le cadre d'une pratique qui diversifie les approches, pour un plaisir renouvelé d'enseigner…

De septembre 2010 à juin 2012, vous avez coordonné une expérimentation d'usages de jeux sérieux dans votre académie, pouvez-vous nous décrire les objectifs de ce projet ?

Anne Wix : Tout d'abord, il convient de préciser que la question n'était pas d'ériger les jeux sérieux au rang de ressources idéales. Il s'agissait plutôt de montrer, en s'appuyant sur des données quantitatives, qualitatives notamment via des entretiens, l'intérêt de l'entrée des jeux sérieux dans la panoplie des ressources et des outils utilisables pour les enseignants et les élèves

Nous souhaitions analyser un certain nombre d'éléments. Tout d'abord, les apports et les limites des jeux sérieux dans les apprentissages mais également repérer les dispositifs pédagogiques pertinents pour leurs usages.

De manière plus générale, nous voulions aussi contribuer à la réflexion au plan national en faisant remonter des retours d'usages.

Quels enseignants expérimentateurs étaient concernés ?

Anne Wix : Il s'agissait d'enseignants de discipline et de professeurs documentalistes de collèges, lycées et lycées professionnels.

Afin de mieux organiser le dispositif, le lien entre l'équipe pédagogique expérimentatrice et le dispositif académique était assuré par un enseignant référent.

Naturellement, un dispositif de formation a été mis en place : tous les enseignants ont été formés par un IANTE et/ou un enseignant du dispositif connaissant les jeux utilisés, voire même les concepteurs du jeu quand c'était possible (ça a été le cas par exemple pour 2025 ExMachina)

Quels jeux avez-vous utilisés pour cette expérimentation ?

Anne Wix : Ce sont les interlocuteurs académiques TICE qui ont été sollicités pour proposer des jeux sérieux potentiellement intéressants. En voici la liste :

Quels sont les apports du point de vue des enseignants que vous avez pu observer au cours de cette expérimentation ?

Anne Wix : D'un point de vue général, 86% des enseignants ayant eu des usages dans le cadre de cette expérimentation estiment que les jeux sérieux ont apporté une plus value à l'enseignement de leur discipline.

Plusieurs enseignants interrogés soulignent le comportement des élèves, leur motivation et leur implication :

  • « Le jeu ne couvre pas l'essentiel des prescriptions par contre il a le mérite de motiver les élèves et de les rendre autonomes »
  • « J'ai été surpris par le comportement positif des élèves et leur implication sur l'analyse de leurs résultats. »
  • « Beaucoup d'implication, et une tendance à la formation volontaire et indépendante de groupes pour résoudre les difficultés. »
  • « Beaucoup d'intérêt et de curiosité, ambiance calme et détendue »
  • « Classe très focalisée sur l'activité, grande concentration des élèves, beaucoup d'implication »

Par ailleurs le jeu sérieux est vu comme un moyen de varier les situations pédagogiques pour un certain nombre d'enseignants, changeant parfois le rapport de l'élève à la tâche :

  • « Découverte ludique d'un contexte que l'on n'aurait pas pu aborder sans un tel support. La nature du support fait que l'acquisition des connaissances en aura peut-être été facilitée »
  • « L'autre classe de 5ème avec laquelle j'ai fait le même cours, mais sans utiliser le jeu, n'a pas eu les mêmes raisonnements par la suite, et certaines notions, certaines interactions leur paraissaient moins évidentes. »
  • « Cela sort du cadre d'un cours classique, les étudiants ont apprécié cette nouvelle forme d'apprentissage (forte émulation). Les étudiants étaient très attentifs et motivés. Ils y trouvent un intérêt majeur sur une nouvelle façon d'apprendre. »

L'usage des jeux sérieux a-t-il transformé la posture des enseignants ?

Anne Wix : Les enseignants ont considéré que leur rôle restait prépondérant auprès des élèves. Pendant l'activité de jeu, la posture adoptée le plus souvent par les enseignants a été celle d'accompagnateur, puis, à égalité, en retrait et frontal et enfin, joueur [1]. 46% d'entre eux estiment qu'ils n'auraient pas tenu la même posture sans le jeu.

Nous avons noté que les enseignants considéraient que leur rôle restait fondamental pour accompagner leurs élèves. C'est par un travail en amont et/ou après le jeu avec les élèves que le jeu peut permettre des apprentissages :

  • « La condition indispensable c'est l'accompagnement du jeu. »
  • « En introduisant les notions, il faut l'intégrer à notre progression annuelle, et il faut réutiliser les notions par la suite. »
  • « Le jeu doit être lié aux apprentissage de l'élève pour que ce dernier lui donne un sens et comprenne l'intérêt de son activité. »
  • « Il faut que l'enseignant arrive à bien faire comprendre le lien entre le jeu et les contenus du cours. Cela demande un travail en amont, mais surtout après l'utilisation du jeu pour transférer les éléments abordés dans le jeu »

Les enseignants utilisateurs vous ont-ils fait part de limites particulières ?

Anne Wix : Tout d'abord les enseignants soulignent les contraintes de l'organisation scolaire.

Une liaison avec les programmes et les contenus est naturellement souhaitée par les enseignants. De fait, les jeux doivent être conçus pour pouvoir être utilisés avec les élèves (aspects organisationnels, pédagogiques et didactiques). Les modalités du jeu et le contexte scolaire doivent être compatibles.

Nous avons pu remarquer une insatisfaction relativement importante sur l'obtention des traces de l'activité de l'élève et celle de l'impossibilité d'arrêter /reprendre le jeu. Ceci pèse bien évidemment sur l'organisation de la séance pédagogique.

Nous avons pu également interroger les enseignants sur leurs craintes à l'égard de l'usage des jeux sérieux en classe d'où il ressort qu'ils redoutent une activité superficielle de leurs élèves : on relève ainsi des craintes concernant l'absence de réflexion, le zapping et la prédominance du ludique sur les apprentissages.

Et du côté des élèves, qu'en est-il sorti ?

Anne Wix : Les élèves [2] ont, pour environ 70% d'entre eux, indiqué que le cours était plus intéressant lorsque les jeux sérieux étaient utilisés. Est souvent soulignée la variété qu'apportent les jeux par rapport au cours “traditionnel”.

  • « gratter sur une feuille alors qu'on peut étudier en jouant » 
  • « J'ai trouvé ce jeu très intéressant ! Ça change un peu de tout le temps des cours écrits c'est beaucoup moins ennuyeux et cela attire plus mon attention qu'un cours classique ! Si cela pouvait être utilisé pour d'autres matières ça serait génial ! ».

Les apports soulignés par les enseignants semblent également confirmés par les élèves qui indiquent que la perspective d'une activité menée avec des jeux les motive.

  • « Ça donne plus envie de venir à l'école » 
  • « Ce jeu est très amusant et en même temps très instructif, j'ai appris beaucoup de chose avec ce jeu et il m'a beaucoup plu car c'est amusant. Ce cours change des autres cours où l'on fait que écrire. ».

Il convient de noter aussi que les élèves peuvent avoir apprécié l'activité avec le jeu mais ne pas en avoir tiré profit 

  • « j'ai rien capté » 
  • « Ce jeu m'a l'air pas mal mais ça serait mieux avec un tutoriel de départ » 
  • « je n'ai rien compris »

A noter également que si 71% des élèves ont trouvé que les jeux étaient utiles dans le cadre de l'enseignement, la moitié de ces 71% jugent que les jeux sont utiles seulement pour certaines matières. Ce chiffre montre que les élèves ont un jugement nuancé : des jeux oui, mais pas systématiquement.

Quelles suites ont été données à cette expérimentation ?

Anne Wix : Nous avons mis en place un dispositif d'accompagnement animé par huit enseignants pour assurer deux missions :

  • Tout d'abord une veille informationnelle : suivi de l'actualité (sites dédiés et comptes Twitter pertinents). Les résultats de cette veille sont mutualisés au sein de ce groupe. La diffusion des informations sur les jeux sérieux est effectuée dans un premier temps par le site pédagogique académique à travers une rubrique dans l'espace « numérique en classe » (en cours).
  • Et puis un accompagnement spécifique via une plateforme d'e-learning qui permet de proposer à tous les enseignants de l'académie un espace documentaire, une FAQ et des forums pour poser des questions et échanger...

Par ailleurs, nous mettons en place des formations sous forme de parcours Pairformance [3] : cette année, en Economie-Gestion et en Anglais. En 2013-2014, un parcours en EDD pour les enseignants de technologie et un autre centré sur l' « Education à…» pour les professeurs-documentalistes et les CPE (citoyenneté, discrimination, usages responsables du numérique, …)

L'objectif est de proposer une collection de parcours de formation associée à un accompagnement dans la prise en main et les usages de jeux sérieux avec les élèves puisque nous avons choisi de proposer des formations-actions. Ces parcours sont des formations hybrides (2 jours de présentiel et un accompagnement à distance via la plateforme Opens external link in new windowpairform@nce). Le parcours que nous avons conçu a une structure composée :

  • d'un module commun sur les aspects théoriques et généraux des jeux sérieux (définition, spécificités, potentiel pour les apprentissages, problématiques générales pour l'enseignement).
  • d'une déclinaison disciplinaire ou transversale.

Par ailleurs, l'académie est partie prenante du projet SCOLA [4], plateforme d'e-learning pouvant accueillir des jeux sérieux reliés à une médiathèque, un module d'évaluation et des salles virtuelles. Ce projet est un des lauréats de l'appel à projet e-éducation.

Notes de bas de page

[1] Accompagnateur : vous aidez les élèves lorsqu'ils vous sollicitent, vous circulez parmi eux
Retrait : vous laissez les élèves jouer sans intervenir
Frontal : vous intervenez pendant le jeu, vous interrompez momentanément le jeu pour dispenser des savoir
Joueur : vous jouez également au jeu

1 : Rôle tenu le plus souvent ; 4 : Rôle tenu le moins souvent

[2] enquête menée sur 700 élèves

[3] Pairform@nce est un dispositif national qui permet de produire des parcours de formation et de mettre en œuvre des formations adaptées aux contextes locaux des établissements, des circonscriptions ou des académies.

[4] Plate-forme de e-learning innovante fondée sur l'utilisation des jeux sérieux afin de faciliter l'acquisition et le repérage de compétences pour la personnalisation des parcours des élèves avec la possibilité pour les enseignants de construire leurs scénarios pédagogiques