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Les fusillés de la Grande Guerre

Les exécutions sommaires

Inchiffrables, mais surement nombreuses, invérifiables mais avérées, souvent tues mais forcément présentes dans des sources encore inexploitées, les exécutions sommaires ont touché l’armée française sans qu’il soit encore possible d’en établir véritablement l’histoire. Des officiers sur les champs de bataille, des troupes confrontées à des populations hostiles, ont usé de leur position de force pour exécuter sans autre forme de procès des soldats, des civils. Sans pouvoir proposer une approche véritablement scientifique de la question nous livrons quelques documents à une lecture attentive qui risque d’être édifiante. Les fiches d’identité militaire des soldats sont, à ce titre, révélatrices notamment celle présentant le « genre de mort » du soldat Augustin Bacalou.

Exécutions sommaires

« J’ai tué de ma main douze fuyards, écrit le général Blanc, et ces exemples n’ont pas suffi à faire cesser l’abandon du champ de bataille. Pendant la bataille de l’Yser, le général de Bazelaire fit fusiller six tirailleurs tirés au sort dans une compagnie qui avait refusé de marcher »1. Du côté de Quennevières, le 23 septembre 1914, le commandement de la brigade s’oppose aussi par les armes à la débandade du 6e Tirailleurs : « Les tirailleurs du 6e régiment qui comprennent de nombreux jeunes soldats reçus quelques jours avant se débandent et lâchent pied, [...I le général de brigade et son état-major mettent révolver au poing et forcent leur obéissance ; mais les indigènes n’écoutant plus que leur instinct de conservation, pareils à des bêtes forcées, s’empressent de fuir dès que les officiers s’écartent pour rejoindre d’autres groupes2. » On ignore le nombre de soldats, et aussi peut-être de civils, fusillés furtivement au bord d’un fossé ou dans un pré3. C’était la loi d’airain, pensait l’état-major, pour ressaisir une armée qui battait en retraite.

1. Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine. Vendôme, 1979, p. 256.

2. Service historique de l’armée de terre 26 N 517, J.M.O. 73‘ brigade.

3. M. Gérard Lachaud nous a communiqué un témoignage portant ce titre « Récit de M. Protin marchand de cycles avenue de Laon à Reims, ancien du tour de France des années 1925. Ancien combattant de la guerre de 1914-1918 demeurant à Chavonne (Aisne) ». Bien que devant être pris avec précaution, il est suffisamment précis pour pouvoir être cité ici.

« Gochenée, Belgique, à 8 km de Givet, le 24 aout 1914, c’est la retraite dite de Charleroi. Les troupes françaises qui se sont battues sur la position Dinant-Givet battent en retraite en masse compacte. Ce sont surtout des hommes des 43e, 45e et 2e Zouaves qui ont été massacrés surtout à Onhaye, ils étaient commandés par le colonel Pétain. Le général commandant le corps d‘armée était Mangin, tous deux bien connus. Ces deux officiers se trouvaient donc sur les marches, lorsque Mangin me dit : « Va plus loin » ; à ce moment-là une patrouille surgit, amenant un soldat français. Mangin demande : « Qu’est-ce que c’est ? » Le soldat répondit : « C’est un soldat qui se cachait derrière une haie à la sortie du village, sans arme. » Sans poser de question, Mangin dit : « Fusillez-le de suite.» Le soldat voulut parler mais fut emmené derrière la maison et 30 secondes après, une salve. Je suis allé voir le mort, il était couché au pied d’un pommier. Voici donc aussi un crime ; on ne lui a pas demandé son nom, ni posé de questions. Après cette opération, j’ai revu le sergent et je lui ai demandé ce qu’il en pensait, il m’a répondu que le fait d’avoir abandonné son arme en présence de l’ennemi et de se cacher était assez pour être fusillé. Il est vrai que les hommes étaient lassés ; la moitié de leur régiment gisait dans la plaine entre Onhaye et Morville aux environs de la ferme Lepagnol. Il y eut là un cimetière de 20 000 Français et Allemands dont un quart de Français. Les Allemands ayant traversé la Meuse à Waulsort ont attaqué en masses compactes dans la nuit du 23 au 24. Le village de Onhaye fut repris 7 fois à la baïonnette et au son du clairon et à la lueur des incendies. Par la suite, Mangin et Pétain sont devenus de hauts personnages. Le même jour vers 18 heures sur la route en direction de Treignes, à 7-8 km de Gochenée, un paysan appuyé sur sa fourche dit à un officier français : « Alors on fout le camp, on a peur des boches. » L‘officier lance un ordre : « Sergent prenez 6 hommes et fusillez-moi ce type-là. Le paysan, 50 ans environ, fut fusillé immédiatement. »

Source : Robert Attal et Denis Rolland, « La Justice militaire en 1914 et 1915 : le cas de la 6e armée  », in Fédération des Sociétés d'histoire et d'archéologie de l'Aisne, Mémoires, t. XLI, 1996.

Les certificats de décès des soldats Bacalou, Cordier et Granier exécutés en 1915

certificats de décès des soldats Bacalou

certificats de décès des soldats Bacalou

certificats de décès des soldats Bacalou

Source : Ministère de la Défense/DMPA