Les potentialités du corps
Le corps humain semble doué d’une possibilité infinie de métamorphoses : invention de gestes techniques sophistiqués, d’attitudes sportives ou de postures artistiques. Cette créativité corporelle constitue peut-être même l’une des différences entre l’homme et l’animal. C’est en tout cas ce que met en évidence le philosophe Michel Serres…
compléments pédagogiques
Le philosophe Michel Serres se demande ce qui distingue le corps animal du corps humain. Pour lui, le corps humain se caractérise par sa capacité à « se transformer », « se métamorphoser ». Il analyse le cas des sportifs (différentes façons de sauter en hauteur), de certains métiers (menuisier par exemple), qui requièrent une forte capacité à produire des gestes différenciés, précis et distinct, pour atteindre leurs objectifs. Il en va de même des artistes (comme le pianiste), et à plus forte raison du danseur qui crée des positions extraordinaires. L’être humain peut modifier son corps, ce qui n’est pas le cas du crabe ou de la pieuvre. On peut comparer le corps humain à un Arlequin, composé de mille couleurs possibles. Le corps humain se caractérise donc par la possibilité de changement indéfinie.
Mais cette possibilité nous permet de mettre en évidence une autre caractéristique : celle de l’inventivité. Pour sauter en hauteur, il existe plusieurs techniques.
Entretien avec Michel Serres.
Le corps et ses pouvoirs ; l’homme et l’animal ; la matière et l’esprit.
Quel regard est habituellement porté sur le corps ? En quoi ce regard est-il à l’opposé de celui que propose Michel Serres, qui bouscule ici une longue tradition religieuse d’un côté et philosophique de l’autre ?
Du côté de la religion, le corps est traditionnellement regardé comme source de plaisir, et donc de péché, devant affronter la peine pour sa rédemption et purifier ainsi l’âme, qui doit être tournée uniquement vers Dieu (religion judéo-chrétienne notamment). L’âme méprise le corps. Du côté de la philosophie, le corps est dangereux pour l’esprit, sur lequel il exerce son pouvoir (attrait du plaisir ou force de la douleur). Il nous éloigne de l’exercice serein de la raison (chez Platon par exemple ; Phédon 66a-67a). Dans cette double tradition, seule la force de l’âme ou de la raison, peut, en se méfiant du corps, indiquer la voie de la sagesse.
Au contraire, Michel Serres ne juge pas le corps comme une menace pour l’esprit (âme ou raison), mais il le considère en lui-même, avec des pouvoirs propres, qui sont positifs et créatifs (adaptation et souplesse, inventivité, pouvoir de transformation). On ne peut pas séparer le corps et l’esprit qui coopèrent, puisque les projets de l’individu (artisan, sportif, artiste) s’incarnent dans une certaine maîtrise de son propre corps. Par le corps, l’être humain se construit lui-même et exprime qui il est.
Une utilisation en classe nécessitera d’amener les élèves à se questionner sur la place de l’être humain parmi les animaux, Michel Serres séparant nettement l’homme et l’animal.