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Les jeux olympiques : des enjeux multiples

Mexico, 1968, la question des droits civiques s’invite aux Jeux olympiques

Le printemps 1968 est marqué dans le monde entier par des mouvements de revendication, des manifestations de jeunesse, des remises en cause d’un ordre jugé ancien. Aux États-Unis, la communauté noire lutte depuis de longues années pour l’obtention et l’application de droits civiques égaux à ceux de la communauté blanche. Le 4 avril 1968, Martin Luther King est assassiné à Memphis. Militant pacifiste, prix Nobel de la paix en 1964, adepte de la non-violence et de la désobéissance civile, l’un des meneurs de la communauté noire disparaît. Cet événement libère des tensions en un printemps particulièrement violent en Californie et en Caroline du Sud. Les groupes politiques comme les Black Panthers, affirmant le black power, entrés en lutte pour l’affirmation des droits civiques, affrontent le pouvoir, notamment le FBI. La lutte des Noirs américains pour atteindre leurs objectifs doit remplacer l’attente de l’application des lois, et ne pas se contenter de la promotion de quelques sportifs, intellectuels, artistes noirs devenus porte-parole dans la société blanche dominante.

Ainsi les sportifs noirs américains ont-ils conscience d’être au premier plan de la lutte. Les athlètes les plus importants, présents sur les campus californiens, côtoient des mouvements appelant au boycott des Jeux prévus pour octobre 1968. En fait, les sportifs noirs étaient divisés sur la question, car le sport permettait l’intégration de nombre d’entre eux ou offrait une visibilité au mouvement. C’est cette stratégie de la vitrine qui va être retenue. Parmi les grands champions, Lee Evans, John Carlos sont plutôt favorables au boycott. D’autres, comme Charly Greene, préconisent des manifestations sur place. De fait, l’opinion publique américaine informée par des médias sait qu’un mouvement s’organise pour utiliser sous une forme ou une autre les Jeux afin de manifester contre le traitement de la communauté noire par la communauté blanche. Un défilé à part lors de l’ouverture, un maillot noir pour concourir, un refus d’écouter l’hymne américain en cas de victoire, voire un refus de monter sur le podium en association avec le drapeau, de nombreuses possibilités sont discutées par les athlètes. Le 19 juillet, après les sélections américaines, Lee Evans déclare que les athlètes, par un vote, ont décidé « presque à l’unanimité d’aller à Mexico. Mais il y a également unanimité pour protester d’une manière ou d’une autre à ces Jeux. Ce que sera cette protestation, je ne le sais pas encore » (propos rapportés par le journal L’Équipe).

Totalement incapable de mesurer la situation le directeur du comité olympique américain, Everett Barnes menace d’exclusion tout fauteur de troubles, relayé par Avery Brundage, président du CIO. Les athlètes noirs américains en appellent à la démission de Brundage. Pendant les Jeux, des rapprochements quelque peu artificiels ont lieu entre athlètes américains et africains. En désaccord sur les formes d’action, les athlètes décident d’agir comme ils le sentent. Le podium de la course du 100 m, avec pourtant Greene à la troisième place, ne donne lieu à aucune manifestation.

Dans la course du 200 m, Tommie Smith bat le record du monde, devant l’Australien Peter Norman et John Carlos. La démonstration politique se concentre sur la cérémonie protocolaire de remise des médailles. Brundage, que les athlètes noirs considèrent comme le porte-parole du racisme blanc américain, est absent de la cérémonie. Les deux athlètes retirent leurs chaussures pour souligner la pauvreté de la communauté noire, Carlos, survêtement ouvert montre un maillot noir, il porte un collier de perles noires, ils affichent de longues chaussettes noires, les associant au Black Power. Au moment où l’hymne américain retentit, ils lèvent un poing ganté de noir (anecdote vraisemblable, le bras droit pour l’un, gauche pour l’autre, car Carlos ayant oublié sa paire de gants ils ont dû partager celle de Smith !) et baissent la tête.

Le podium du 200 mètres masculin lors des Jeux olympiques de Mexico

Le podium du 200 mètres masculin lors des Jeux olympiques de Mexico le 16 octobre 1968. De gauche à droite : Peter Norman (Australie) 2e, Tommie Smith (États-Unis) 1er, John Carlos (États-Unis) 3e. Smith et Carlos font le signe du « Black Power » (© Topfoto/Roger-Viollet).

La course et les images du podium sur le site de l’INA.

Bien qu’il fût passé sous contrôle policier dix jours avant l’ouverture des Jeux, suite aux événements de la place des Trois Cultures, le public dans le stade siffle, ne comprenant pas le contenu revendicatif de l’attitude des athlètes américains. Les autorités sportives américaines présentes à Mexico suspendent rapidement les deux protestataires qui ont expliqué en conférence de presse l’enjeu de leur combat. Brundage accroché à la conviction que des problèmes politiques ne se règlent pas aux Jeux olympiques, exige davantage et menace même de suspendre l’ensemble de l’équipe américaine. Smith et Carlos sont exclus des Jeux. Peter Norman, par solidarité, a porté sur le podium un badge de l’Olympic project for human rights proposé par ses deux compères. Il est lui aussi sanctionné par l’équipe australienne.

Nous pourrions clore ici ce commentaire en rappelant combien pour les deux athlètes la vie fut ensuite compliquée. Mais les Jeux continuent et d’autres Noirs américains entrent en action. Lee Evans, en améliorant le record du monde, remporte le 400 m devant Larry James et Ronald Freeman. L’extraordinaire triplé lors de la course la plus rapide jusqu’alors se traduit par une montée sur le podium avec le béret des Black Panthers sur la tête de chacun d’eux et le poing levé au moment de l’hymne. Aucune sanction n’est prononcée contre ceux dont il est attendu qu’ils pulvérisent le record du monde du relais 4 fois 400 m quelques jours plus tard. Le sauteur en longueur Bob Beamon leva lui aussi le poing sur le podium dont il occupait la plus haute marche.

Le geste de Smith et Carlos fit avancer la cause des Noirs aux États-Unis d’Amérique comme du reste le refus de Cassius Clay de servir au Vietnam, en la médiatisant.