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Le 14 Juillet, naissance d’une fête nationale

Le 14 Juillet au prisme de la succession de régimes au XIXe siècle

Une célébration fluctuante au XIXe siècle

Immédiatement après 1792, la célébration passe souvent après d’autres dates devenues porteuses comme le 10 août, le 9 thermidor. En 1792, la fête est célébrée mais la patrie vient d’être déclarée en danger, l’éclat en est absent. En 1793, seule l’Assemblée commémore, la mort de Marat, la veille, est à peine compensée par celle de Cathelineau le jour même. Mais la foule ce jour-là saccage la nécropole de Saint-Denis. C’est en 1797 que la première cérémonie militaire a lieu, puis en 1799 la fête célèbre la Concorde et non la Liberté. Sous le Consulat, des défilés militaires ont lieu mais, à partir de 1805, c’est le 15 août, date anniversaire de l’empereur, qui est fêté.

Sous la Restauration, le 5 août, jour de la Saint-Louis, devient le repère festif du pays. Après la révolution de juillet 1830, le nouveau souverain associe la glorieuse journée de 1789 à celles qui lui offrent le trône : il pose en janvier 1831 de façon solennelle la première pierre de la colonne de la Bastille associant les morts des deux événements. Chaque année ont lieu les fêtes de juillet.

La deuxième République choisit de ne pas fêter le 14 Juillet. Indécise entre la République sociale du printemps 1848 et la République conservatrice, elle décide de commémorer le 22 septembre mais sans grande publicité. Sous le second Empire, l’empereur décide de faire du 15 août la fête nationale, même si les républicains parviennent à fêter le 14 Juillet de manière un peu clandestine. Ils continuent après 1870 à honorer cette journée dans une France conservatrice (voir le discours de La Ferté-sous-Jouarre). À partir de 1877, les républicains voient leurs conceptions du pouvoir choisies durablement par le suffrage universel dans le règlement de la crise du 16 mai. En 1878, le débat reprend.

Dans un recueil paru en 1865 intitulés Les Chansons des rues et des bois, le livre deux intitulé « Sagesse » contient dans une partie III, elle-même rangée sous le titre « Liberté, égalité, fraternité », un poème « Célébration du 14 juillet dans la forêt ». Victor Hugo, le poète en exil, commémore seul le jour où « la liberté s’éveillait », les vers sont rédigés en 1859.

Célébration du 14 juillet dans la forêt

Dans la forêt

Qu’il est joyeux aujourd’hui
Le chêne aux rameaux sans nombre,
Mystérieux point d’appui
De toute la forêt sombre !

Comme quand nous triomphons,
Il frémit, l’arbre civique ;
Il répand à plis profonds
Sa grande ombre magnifique.

D’où lui vient cette gaieté ?
D’où vient qu’il vibre et se dresse,
Et semble faire à l’été
Une plus fière caresse ?

C’est le quatorze juillet.
À pareil jour, sur la terre
La liberté s’éveillait
Et riait dans le tonnerre.

Peuple, à pareil jour râlait
Le passé, ce noir pirate ;
Paris prenait au collet
La Bastille scélérate.

À pareil jour, un décret
Chassait la nuit de la France,
Et l’infini s’éclairait
Du côté de l’espérance.

Tous les ans, à pareil jour,
Le chêne au Dieu qui nous crée
Envoie un frisson d’amour,
Et rit à l’aube sacrée.

Il se souvient, tout joyeux,
Comme on lui prenait ses branches !
L’âme humaine dans les cieux,
Fière, ouvrait ses ailes blanches.

Car le vieux chêne est gaulois :
Il hait la nuit et le cloître ;
Il ne sait pas d’autres lois
Que d’être grand et de croître.

Il est grec, il est romain ;
Sa cime monte, âpre et noire,
Au-dessus du genre humain
Dans une lueur de gloire.

Sa feuille, chère aux soldats,
Va, sans peur et sans reproche,
Du front d’Epaminondas
À l’uniforme de Hoche.

Il est le vieillard des bois ;
Il a, richesse de l’âge,
Dans sa racine Autrefois,
Et Demain dans son feuillage.

Les rayons, les vents, les eaux,
Tremblent dans toutes ses fibres ;
Comme il a besoin d’oiseaux,
Il aime les peuples libres.

C’est son jour. Il est content.
C’est l’immense anniversaire.
Paris était haletant.
La lumière était sincère.

Au loin roulait le tambour... -
Jour béni ? jour populaire,
Où l’on vit un chant d’amour
Sortir d’un cri de colère !

Il tressaille, aux vents bercé,
Colosse où dans l’ombre austère
L’avenir et le passé
Mêlent leur double mystère.

Les éclipses, s’il en est,
Ce vieux naïf les ignore.
Il sait que tout ce qui naît,
L’œuf muet, le vent sonore,

Le nid rempli de bonheur,
La fleur sortant des décombres,
Est la parole d’honneur
Que Dieu donne aux vivants sombres.

Il sait, calme et souriant,
Sérénité formidable !
Qu’un peuple est un orient,
Et que l’astre est imperdable.

Il me salue en passant,
L’arbre auguste et centenaire ;
Et dans le bois innocent
Qui chante et que je vénère,

Étalant mille couleurs,
Autour du chêne superbe
Toutes les petites fleurs
Font leur toilette dans l’herbe.

L’aurore aux pavots dormants
Verse sa coupe enchantée ;
Le lys met ses diamants ;
La rose est décolletée.

Aux chenilles de velours
Le jasmin tend ses aiguières ;
L’arum conte ses amours,
Et la garance ses guerres.

Le moineau-franc, gai, taquin,
Dans le houx qui se pavoise,
D’un refrain républicain
Orne sa chanson grivoise.

L’ajonc rit près du chemin ;
Tous les buissons des ravines
Ont leur bouquet à la main ;
L’air est plein de voix divines.

Et ce doux monde charmant,
Heureux sous le ciel prospère,
Épanoui, dit gaiement :
C’est la fête du grand-père.

Le 30 juin 1878

La rue de Montorgueil à Paris fête du 30 juin 1878

Claude Monet (1840-1926), La rue de Montorgueil à Paris fête du 30 juin 1878, huile sur toile peinte en 1878, 0,810m x 0,505m, Paris, musée d’Orsay, © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Source : http://www.monet2010.com/fr#/galerie/34/ commentaire court et travail en zoom possible sur la toile.

L’année 1878 est marquée par le débat sur la commémoration du centenaire de la mort du philosophe Voltaire. Le gouvernement réplique en organisant une fête non commémorative mais célébrant la Paix et le Travail, la concorde nationale. Une loi institue la fête du 30 juin. Le gouvernement est particulièrement attentif à ne pas froisser, à ne pas multiplier les signes ostentatoires d’une République victorieuse. Une République casquée (sans bonnet phrygien interdit comme subversif) appuyée que les tables de la Constitution est placée au Champ-de-Mars (O. Ihl). Les musiques de rue furent interdites, comme les banquets de tradition républicaine. Mais cette fête n’a pas de véritable organisation nationale, elle relève des quartiers de Paris, avec une retraite aux flambeaux des gardes républicains à cheval. Olivier Ihl rappelle que si la mémoire de la révolution est volontairement absente de cette date, les trois couleurs du drapeau national sont présentes partout. Rappelons que l’intransigeance du comte de Chambord en juillet 1871 avait conduit Falloux à faire voter par l’Assemblée, pourtant à majorité monarchiste, le maintien du drapeau tricolore contre le drapeau blanc revendiqué par le manifeste du 5 juillet. 

La fête couronne aussi l’Exposition universelle de 1878. La France vaincue en 1870, touchée par la Commune, mise à l’écart du concert des nations, entend retrouver un rang. Le suffrage universel, par les élections législatives de l’automne 1877, a résolu la crise politique de l’année précédente en orientant le régime vers une parlementarisation attendue. La fête du 30 juin vient donc à point nommé. Claude Monet s’en empare non dans un but politique, mais parce que le spectacle de la rue interpelle le peintre impressionniste.

De retour à Paris au début de l’année, dans une situation matérielle difficile, à la tête d’une famille élargie par la naissance de son fils, il cherche dans les rues de Paris des thèmes de peinture que la journée du 30 juin lui offre. Une foule bigarrée dans les rues de Paris, les drapeaux nombreux d’une ville qui pavoise comme peut-être jamais auparavant, aux fenêtres, aux poteaux urbains. Un balcon sollicité, un angle de vue en perspective et en plongée, approche chère aux impressionnistes, permet à Monet, dans une approche distanciée, de proposer ce qui reste comme l’un des seuls souvenirs de cette journée que la postérité n’a pas reproduit tant sans doute manquait-elle de légitimité politique, tant elle semblait artificielle, mais que le peintre lui-même nomme « fête nationale ». Le style impressionniste inventé quelques années plus tôt (Impression, soleil levant date de 1872) se plaît à ces marées de couleurs, de mouvements, renforcés par le format de la toile : une série de touches colorées fait apparaître les mouvements de la foule et des drapeaux sous l’effet supposé du vent. Il rappelle aussi le caractère spontané de l’approche. Même si les toiles sont retravaillées en ateliers, le premier jet permet de capter « l’instant républicain » s’emparant de l’espace public.

Cette date du 30 juin n’a pas connu de deuxième célébration. Si, en 1878, elle possède l’avantage de ne froisser aucune susceptibilité politique, de fait elle ne représente rien et n’a pas d’appartenance, ce qui lui interdit de « s’adosser à une mémoire politique » (O. Ihl) et de trouver une postérité. Cependant, la nécessité de fêter la Nation s’impose de toute évidence, la relier à l’héritage révolutionnaire aussi.

La peinture française des XIXe et XXsiècles offre de nombreuses œuvres pouvant devenir le support d’apprentissage sur la fête nationale. Par exemple, Raoul Dufy, La Fanfare du 14 juillet (1951).

D’autres documents sont disponibles comme le discours de Léon Gambetta, le 14 juillet 1872, à La Ferté-sous-Jouarre. Depuis 1872, les républicains commémorent la date en privé.