Introduction
L’année 1960 a été « l’année de l’Afrique » (sous-entendu : de l’Afrique noire) car elle a vu, au milieu de la surprise et de l’incrédulité des autres continents, 18 colonies de l’Europe accéder en quelques mois à la souveraineté et à la reconnaissance internationale en tant qu’États. Cette vague triomphale, inaugurée en 1957 par l’ancienne Gold Coast, devenue Ghana, marquait une troisième phase de la décolonisation, après l’Asie et l’Afrique du Nord. Beaucoup plus précoce et rapide que ce que les gouvernements et les opinions publiques avaient pu prévoir, cette émancipation, par son caractère négocié et pacifique, est volontiers citée comme modèle de réussite. Dans le cas français en particulier, elle s’oppose avec éclat aux décolonisations violentes et douloureuses de l’Indochine et de l’Algérie. Cependant, elle fut aussitôt mise à l’épreuve. D’abord, le processus d’émancipation était loin d’être achevé. En 1960, vingt-sept colonies africaines étaient encore soumises à la domination européenne, et nombre de crises accompagnèrent les indépendances, certaines confirmant la détermination des anciennes puissances coloniales à tout mettre en œuvre pour défendre leurs intérêts dans leurs anciennes colonies. Par ailleurs, les jeunes États, et leurs dirigeants, furent amenés à devoir répondre aux immenses aspirations de peuples longtemps opprimés par la domination coloniale tout en gérant l’héritage qui en découle, qu’il s’agisse des frontières ou des économies. Enfin, ces États devaient se positionner dans un monde nouveau pour eux, celui des relations interafricaines, des rapports avec les anciennes métropoles, mais aussi de la guerre froide puis de la mondialisation. En donnant brusquement satisfaction aux luttes pour l’émancipation des peuples africains, les indépendances de 1960 levèrent de profondes espérances, et donc de possibles désillusions. Nombre de questions qui sont apparues dans les années 1960, comme celles de la démocratie, du développement, des rapports Nord-Sud, ont nourri la thèse de « l’afro-pessimisme ».
50 ans après, ces États commémorent leur indépendance et l’on célèbre, surtout dans le monde francophone – premier concerné par cette vague d’émancipation – le « cinquantenaire des indépendances africaines » (on notera que le monde anglophone n’a pas érigé l’année 1960 en date emblématique, et qu’il tend même à associer cette date à la décolonisation française). À l’heure des commémorations, quel bilan peut-on dresser de ce demi-siècle d’indépendance ? 2010 est-elle celle de la « renaissance africaine » ?
Si l’année 1960 peut sembler pouvoir résumer l’émancipation de l’Afrique subsaharienne, braquer de la sorte le projecteur sur cet épisode, présente cependant toute une série de biais et peut conduire à certaines illusions rétrospectives. Le risque est de déformer la réalité de la décolonisation en occultant, en amont, les luttes des peuples colonisés et les réponses apportées par les métropoles ; et, en aval, les difficultés des lendemains des indépendances et la perpétuation, sous d’autres formes, de la domination occidentale, objet des études postcoloniales. Ce choix privilégie également le cas français, puisque 15 des indépendances de 1960 concernent des colonies ou des territoires sous tutelle française, au risque de mettre dans l’ombre le rôle et la place d’autres territoires, notamment d’Afrique australe marqués par l’apartheid. Il met enfin en valeur une décolonisation négociée, donnant ainsi une vision optimiste du processus, au détriment des indépendances arrachées ou des indépendances immédiatement suivies de crises violentes.
L’année 1960 mérite donc un examen à une double échelle. Il s’agit d’abord de la replacer dans le temps moyen de la décolonisation, des contestations du système colonial au lendemain des indépendances et jusqu’à aujourd’hui. Nombre de questions restent posées. Comment expliquer « l’accélération » des indépendances en Afrique autour de 1960 ? Cette année est-elle représentative du processus d’émancipation de l’Afrique subsaharienne, qui se poursuit bien au-delà ? Et que reste-t-il aujourd’hui des rêves et des espoirs de 1960 ? Cette émancipation apparemment complète du continent – à la différence par exemple des Antilles où d’anciennes colonies ont, non sans heurts, choisi la voie de l’assimilation et de la départementalisation – est-elle pour autant parfaitement achevée ? Y a-t-il aujourd’hui des formes de domination post ou néocoloniales ? Dans quelle mesure les difficultés actuelles de l’Afrique sont-elles imputables à la colonisation ?
Il s’agit aussi d’examiner de plus près les événements afin de dresser un tableau plus nuancé de l’année 1960 qui permettra de réviser la traditionnelle opposition entre un modèle britannique et un modèle français ainsi que de relativiser l’image d’une décolonisation « douce ».
Pour répondre à ces questions, le choix a été fait de privilégier les archives de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) sans exclure d’autres sources ou documents. L’intérêt est multiple : constituer une sorte de fil rouge à l’étude, problématiser l’approche (ici : comment les actualités ou la télévision française rendent-elles compte de l’émancipation des colonies africaines ?), faire appel à l’esprit critique des élèves, notamment face aux images d’actualités et à leur commentaire…
Ce choix axe l’étude sur le cas français, et le point de vue de la métropole. Ces aspects ne sont pas à cacher, au contraire : on amènera les élèves à saisir ce double biais et on les invitera à chercher des points de vue alternatifs autres que ceux qui sont déjà fournis dans ce dossier.
Conception et réalisation du dossier
Auteur : Olivier Dautresme
Chargée de mission : Marie-Christine Bonneau-Darmagnac
Chef de projet éditorial : Bernard Clouteau
Iconographe : Laurence Geslin
Graphiste : Julien Lassort
Intégration technique : François Thibaud
Intégration éditoriale : Fanny Dieumegard
Secrétaires de rédaction : Sophie Roué, Julie Desliers-Larralde