Javier Pérez, Virgo Mater
Javier Pérez
Né en 1968 à Bilbao (Espagne), vit et travaille à Barcelone (Espagne)
www.carlestache.com
Résine et boyaux de porc séchés
Dimensions : 167 x 270 x 360 cm
Production Marseille-Provence 2013, en collaboration avec la galerie Carlès Taché, Barcelone
Cette sculpture représente la Vierge enceinte de Jésus, debout les bras ouverts, figure de l’iconographie chrétienne rarement traitée. La Vierge est vêtue d’une tunique qui, tel un drapé mouillé, colle au corps, révélant avec impudeur sa nudité. Un voile, fabriqué à partir de boyaux de porc séchés, la recouvre de la tête aux pieds. La Vierge, paradigme d’une maternité sans tâche, devient ici une figure fantasmagorique, inquiétante, dans laquelle s’opposent, comme souvent dans les œuvres de Javier Pérez, les notions antagonistes du charnel et du spirituel, du laid et du beau, de l’impur et du sacré.
Le corps et la matérialité
Javier Pérez use pour cette sculpture de matériaux organiques, puisqu’il drape sa vierge en résine d’un manteau de boyaux de porc. L’étrangeté du matériau, alliée à la transparence de la résine, confère à l’ensemble un caractère fantomatique, encore renforcé par le choix d’une échelle à taille réelle. Cette Virgo Mater nous « apparait », littéralement.
Références
D’autres artistes ont utilisé des matériaux organiques.
La surréaliste Méret Oppenheim, avec le Déjeuner en fourrure, drape une tasse à thé de fourrure transformant ainsi l’objet en une sorte de nid.
Jan Fabre recouvre des colonnes de jambon, remarquant ainsi que « le bâtiment devient un corps, les colonnes sont les jambes.» Et, quand il réalise des robes avec des coléoptères, l’habit devient une fantomatique chrysalide.
Si ces œuvres offrent une vision qui fait sienne l’étrangeté, d’autres artistes questionnent davantage la matérialité du corps humain. Pour Vanitas – Robe de chair pour albinos anorexique, Jana Sterbak utilise de la viande crue qui peu à peu se tanne, tel un cuir. Évoquant le corps, cette robe est à la fois vêtement et peau, à la fois peau et chair.
Repoussant tous les tabous, Hermann Nitsch éviscère les corps et recycle cette matérialité organique sondant l’inconscient et la part obscure de l’homme.
On pourrait aussi invoquer le thème de l’écorché tel que l’ont montré Jean-Antoine Houdon ou plus près de nous Damien Hirst qui, avec Verity, propose une représentation plus imagée, laissant voir l’intérieur du ventre de la Vierge enceinte, qui se rapproche de Virgo Mater.
Production
« Figures défigurées : une peau recouvre le corps. »
Une œuvre en tension
L’œuvre travaille sur une série de tensions : l’intérieur du corps est dévoilé à l’extérieur, la peau devient manteau, le pur rencontre l’impur, le sale se fait beauté. Cette tension se prolonge dans le corps du spectateur : la sensualité de l’œuvre et la délicatesse du matériau éveillent l’envie de toucher, tout en l’interdisant.
Références
Aux précédentes références évoquant déjà les oppositions extérieur/intérieur, on pourrait ajouter des exemples architecturaux.
Ainsi, le Pavillon noir de Rudy Ricciotti à Aix-en-Provence expose, telle une cathédrale gothique, sa structure en extérieur, mettant à nu le squelette du bâtiment. Et si Jacob + MacFarlane vêtent d’une seconde peau les façades de leur Cube orange à Lyon (quartier Confluence), n’évident-ils pas l’une d’entre elles laissant alors percevoir l’organisation interne du bâti ?
Un certain nombre d’artistes mettent en jeu des tensions entre ce qui est vu et ce qui est connu.
Ainsi, dans ses photographies, Natasha Lesueur opère des déplacements entre l’alimentaire et le corps offrant des images à l’étrangeté fascinante.
De même, Philippe Ramette crée un vertige en faussant tous les repères du spectateur. Ses photographies offrent un regard décalé sur le monde hors de toute règle de la physique (photographies non truquées qui sont le témoignage de performances).
Production
« Choisir un matériau vil et le rendre esthétique. »
« Quelque chose cloche : faîtes douter le spectateur. »
Référence religieuse
Ces tensions interrogent le mystère de l’incarnation. Par cette Vierge enceinte drapée dans des boyaux, Javier Pérez donne à voir la chair avant le divin : c’est « le fruit des entrailles » de Marie, qui l’élève à la divinité. Le sacré est peut-être alors à rechercher dans la fragilité, la légèreté, le caractère périssable du matériau animal.
Références
Cette iconographie de la Vierge enceinte est plutôt rare. Une des représentations les plus connues reste la Madonna del Parto de Piero della Francesca.
Les thèmes de la Vierge à l’enfant ou de la Pietà seront davantage dans les usages. Cette imagerie a d’ailleurs été reprise par Pierre et Gilles ou bien David LaChapelle.
Quelques artistes contemporains posent d’une manière plus cruciale la question du religieux. Dans Sur le concept du visage du fils de Dieu, Romeo Castellucci montre la déchéance du corps vieillissant sous les yeux du Christ d'Antonllo de Messine, rencontre entre trivialité et sublime. Histoire de compassion. Dans La Nona Ora, présentant le pape Jean-Paul II écrasé par une météorite, Maurizio Cattelan fait référence à la IXe heure de la Crucifixion : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Marc, XV, 34).
Dans une œuvre aussi controversée, Andres Serrano présente une photographie d’un crucifix plongé dans l’urine : Piss Christ.
Blasphèmes pour certains, provocation ou regards scrutateurs des artistes pour d’autres, ces œuvres paraissent à l’image de notre société.
Débat
« Notre corps et notre esprit sont-ils irrémédiablement séparés ? »
Vous pouvez ouvrir sur toutes les dichotomies corps / esprit et questionner la façon dont notre société sépare encore ces deux dimensions de l’individu.