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Marie-Hélène Marcoux est l'auteure de l’ouvrage La BD au secondaire paru chez Chenelière Éducation, Montréal, Québec en novembre 2015.

Pouvez en quelques mots vous présenter et préciser quel a été votre parcours professionnel ?

Marie-Hélène Marcoux: Je suis conseillère pédagogique en français à la commission scolaire des Navigateurs à Lévis, du côté sud du fleuve St-Laurent devant la ville de Québec, au Québec bien évidemment ! Je détiens une maîtrise de l'Université de Sherbrooke et j'ai entamé des études doctorales à l'Université de Liège il y a quelques années déjà. J'ai enseigné au primaire, au secondaire et j'ai été chargée de cours pour le réseau de l'Université du Québec (UQAM et UQTR). Je suis actuellement vice-présidente à la pédagogie de l'Association québécoise des professeurs de français (AQPF) qui regroupe plus de 700 membres. Je serai d'ailleurs à Liège en juillet prochain pour le congrès international de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF). Comme pédagogue, la lecture est au cœur de mes préoccupations et comme littéraire, la BD est l'une de mes grandes passions que je souhaite mettre au service de la réussite des adolescents.

Vous avez publié un ouvrage didactique La BD au secondaire : des ateliers motivants pour développer la compétence en lecture, d'où vient votre intérêt pour la bande dessinée ?

Marie-Hélène Marcoux : Lorsque j'étais élève, je lisais beaucoup. Parmi mes lectures, il y avait,bien entendu, des bandes dessinées (désormais BD), mais je les lisais à la maison, sachant qu'elles n'étaient pas nécessairement les bienvenues à l'école. On en lisait chez soi, pour s'amuser, se divertir. J'ai commencé à enseigner au Québec. J'ai fait quelques timides tentatives d'utilisation de la BD en classe, mais surtout en considérant la BD comme un élément déclencheur utile à quelques reprises au cours d'une année.À cette époque, j'avais encore du mal à la considérer comme une œuvre intégrale à lire avec mes élèves.Puis, je suis partie vivre en Belgique en 1996 où la production de BD avait déjà acquis ses lettres de noblesse et je me suis rendu compte que dans les classes du primaire où j'enseignais, la BD avait sa place. De retour au Québec, j'ai eu envie de faciliter l'intégration de la BD dans les classes d'ici en proposant une démarche novatrice. Après avoir élaboré un atelier littéraire en collaboration avec Jérôme Poisson, un enseignant au secondaire, à partir de la BD de Michel Rabagliati Paul au parc, j'ai eu le coup de foudre.

Vous avez coutume de parler de la BD comme d'un médium et non comme un genre, pouvez-vous nous dire plus ?

Marie-Hélène Marcoux : Effectivement, tout comme de nombreux spécialistes l'ont affirmé avec moi, je considère avec eux que la BD n'est pas un genre comme tel, mais bien un médium dans lequel vont s'inscrire des genres : BD d'aventure, historique, biographique, d'adaptation de classiques, de poésie, de chanson, etc. On a donc le choix parmi ces grandes familles de BD que je présente dans l'ouvrage pour travailler le genre prescrit dans le programme officiel québécois, le Programme de formation de l'école québécoise, par l'entremise d'une BD. Par exemple, un enseignant de 2e secondaire pourra choisir de travailler le genre de la biographie à partir de BD biographiques.

Quelles compétences peuvent être développées en étudiant ou en lisant une Bande dessinée ?

Marie-Hélène Marcoux : Tout d'abord, il faut rappeler qu'une enquête récente de l'OCDE sur les habitudes de lecture des adolescents place la BD au deuxième rang des préférences de lecture des garçons – la première étant le journal. De plus, la BD est de plus en plus appréciée par les filles. Donc, travailler avec la BD en classe au secondaire, c'est d'abord répondre aux préférences de lecture des ados. L'intérêt premier de la BD est qu'elle demande une double lecture ; celle du texte bien sûr, mais aussi celle de l'image. Elle apparaît donc comme ce que Tauveron [1] appelle un texte réticent, c'est-à-dire qui propose des défis de compréhension, et un texte proliférant, qui offre de nombreuses possibilités d'interpréter l'œuvre. La double lecture imposée par la BD cible ce travail d'interprétation. Pour cette raison, il devient impératif d'ouvrir la voie à la BD et de lui donner la place qui lui revient, c'est-à-dire une classe d'élèves motivés pour découvrir l'univers particulier que représente le monde du neuvième art et un enseignant qui devient un véritable passeur culturel. Avec la BD, développer les trois compétences du programme de français — la lecture, l'écriture et la communication orale — est possible, mais rappelons que mon ouvrage cible la lecture et la communication orale puisque les élèves seront invités à discuter en cours de lecture.

Pourquoi, connait-elle un tel engouement auprès des élèves, en particulier des garçons ?

Marie-Hélène Marcoux : Si les garçons aiment (et de nombreuses filles) lire des BD, c'est parce qu'ils s'y reconnaissent. Ils apprécient également la double lecture qu'elle impose même si cela est exigeant. Les jeunes comprennent qu'on peut lire une BD très rapidement si on le souhaite, mais que le plaisir de lire une BD s'installe dans la lenteur et l'observation, dans l'exploration des images qu'on leur propose. La BD apparaît donc comme une plaque tournante importante de l'environnement multimédiatique dans lequel vivent les adolescents. Quand on propose un défi de lecture collaborative aux élèves en leur expliquant que ce travail se basera sur le respect des interprétations des autres, sur des échanges de qualité, sur des valeurs de partage, ils acceptent ce défi. Presque toutes les activités et tous les parcours proposés dans mon ouvrage ont été testés en classe avec des « vrais » profs et de vrais adolescents. Quand on s'aperçoit, à la sonnerie annonçant le début d'un cours, que certains élèves disent avoir envie d'aller chercher leur BD au bureau de l'enseignant parce qu'ils souhaitent poursuivre leur lecture pour savoir ce qui arrivera au personnage principal, on se dit que c'est gagné !

Pourquoi les enseignants sont ils si réticents à intégrer la BD dans les apprentissages ?

Marie-Hélène Marcoux : Je crois qu'il y a trois raisons principales. La première : c'est peut-être parce qu'ils ont encore en mémoire la BD de leur adolescence qui est bien différente de celle d'aujourd'hui. La BD est encore souvent associée à une lecture rapide, où le texte n'est pas très présent, où les onomatopées sont parfois plus importantes que l'histoire, bref, la BD est perçue comme une lecture où l'on rit, une lecture facile. Or au cours des dernières années, la BD nous a montré un autre visage. Elle s'est diversifiée. Avec l'arrivée d'une BD plus « littéraire » comme nous le proposent plusieurs bédéistes (Michel Rabagliati, Zviane, Fanny Britt, Isabelle Arsenault, Philippe Girard, etc. au Québec et plusieurs en Europe), la BD québécoise est devenue un objet littéraire à part entière où l'on peut encore rire certes, mais aussi où l'on est ému et touché par des histoires tout aussi complètes, complexes et envoutantes que celles des romans. La deuxième raison concerne l'appropriation du langage graphique. Les enseignants se demandant parfois comment faire pour s'approprier rapidement les notions de base pour lire efficacement une BD avec leurs élèves. S'ils doivent effectuer ce travail seuls… c'est beaucoup. La tâche étant déjà bien lourde… en ajouter n'est pas toujours évident. Dans mon ouvrage, je propose une exploration des principales notions des langages graphique et narratif par l'observation de cases qui s'avère une façon efficace de s'approprier ce langage. Les enseignants seront invités à refaire le même type d'exploration avec leurs élèves soit par le questionnement.

Enfin, la troisième raison est peut-être le prix d'une BD qui est souvent plus élevé que celui d'un roman en format poche. Mais il y a différentes façons de travailler avec la BD sans être obligé d'acheter un album par élève. (Cela étant dit, il est vrai qu'un album par élève est la meilleure solution et qu'il ne faut pas hésiter à demander aux directions l'achat de BD). On peut acheter une série classe et la partager entre collègues, on peut travailler avec un album pour deux élèves, on peut travailler à l'aide d'une petite caméra HD et projeter les planches sur grand écran en ayant un album en classe, on peut acheter la version numérique de la BD (de plus en plus de BD sont disponibles dans ce format), etc. Vouloir rapprocher la BD de la classe, c'ests'ouvrir à un grand potentiel pédagogique à exploiter.

En quoi consiste la démarche exposée dans votre ouvrage ?

Marie-Hélène Marcoux : La démarche que je propose dans l'ouvrage est basée sur la lecture collaborative. On est bien loin des activités qui consistent à rester seul avec son texte, le lire et répondre à des questions. Ici, dans la démarche que je propose, l'enseignant va stimuler les échanges par le questionnement à l'oral. C'est en groupe que les élèves vont lire et discuter d'une BD pour former une véritable communauté de lecteurs telle que la conçoit Sabine Vanhulle, [2] c'est-à-dire et je cite : « non pas une collection d'individus qui sont invités de temps à autre à participer et à donner leur avis, mais comme une communauté d'apprenants, en l'occurrence de lecteurs, qui collaborent intensivement dans une dynamique de construction de sens ».

Par la discussion en cours de lecture, les représentations des élèves vont se construire tout en attirant leur attention vers le texte et vers l'image pour faire prendre conscience qu'ils sont au service l'un de l'autre. Trois types d'activités sont possibles (il n'y en a pas cinquante ; seulement trois, mais elles sont tellement efficaces !) : l'activité de questionnement de l'auteur, de questionnement de texte et le raisonnement collaboratif. Je décris et j'explique en détail les trois types d'activités dans l'ouvrage et j'ai conçu des tableaux récapitulatifs pour chaque type d'activité qui démontrent clairement les objectifs du travail et les rôles de chacun ; les enseignants et les élèves. Qui dit discussion libre en classe dit également gestion de cette discussion. Pour nous y aider, je présente des principes fédérateurs pour gérer en classe ces activités afin d'assurer le succès des activités et maintenir l'intérêt pour que les enseignants puissent en vivre de façon régulière avec leurs élèves.

Sur quels critères s'appuyer pour sélectionner une BD à étudier en classe ? Ou à acquérir pour Bibliothèque scolaire ?

Marie-Hélène Marcoux : Choisir une BD comme lecteur et en choisir une comme pédagogue n'est pas la même chose. Comme enseignant, on ne veut pas se tromper ! Je propose donc six repères pour guider l'exploration de BD : 1) le genre, 2) la langue, 3) la thématique, 4) le dessin et la mise en pages, 5) l'organisation du récit et 6) l'effet « série ». Je donne en exemple les repères qui ont guidé mes choix de BD de mon ouvrage : Jane, le renard et moi, de Fanny Britt et Isabelle Arsenault, Paul au parc et Paul a un travail d'été de Michel Rabagliati. 

Reprenons-les. Tout d'abord, le genre. Il existe plusieurs familles de BD qui regroupent plusieurs genres. L'enseignant doit réfléchir au genre qu'il souhaite travailler avec les élèves. Je propose un tableau récapitulatif des genres de BD dans mon ouvrage. Les genres sont nombreux et il peut être intéressant de les varier.

La langue

Elle apparait comme le point d'ancrage d'une BD. Tout est une question de registre. Les registres de langue des BD sont variables d'une BD à l'autre. En raison de la forte prédominance dialogique de la BD, l'enseignant doit accorder une attention particulière au registre de langue choisi le bédéiste. Il doit donc faire un choix éclairé en se demandant entre autres si celui-ci est justifié par les personnages, le contexte de communication ou les lieux où se déroule l'histoire.

La thématique

Chaque œuvre littéraire cible un thème en particulier. La BD n'y fait pas exception. Par ce thème, différentes valeurs seront véhiculées. L'enseignant déterminera dans quelle mesure celui-ci intéressera ses élèves et pourra envisager de quelle façon ce thème pourra enrichir les repères culturels des élèves. En ce qui concerne les valeurs, elles doivent bien évidemment être en cohérence avec les valeurs éducatives et sociales qui guident la vie de la classe.

Le dessin et la mise en page

Certaines compositions de pages sont de véritables œuvres d'art. Pourquoi ne pas les faire découvrir à nos élèves ? Un enseignant pourra choisir de lire une BD en noir et blanc, comme c'est le cas pour la série Paul de Michel Rabagliati, et faire découvrir cet univers particulier à ses élèves qui sont peut-être davantage habitués aux BD très colorées. Par ailleurs, la mise en couleurs de certaines BD projette le lecteur dans des univers parfois envoutants. L'utilisation de l'aquarelle, par exemple, donne des effets saisissants. Rappelons qu'une BD bien conçue incite le lecteur à harmoniser sa lecture du texte à celle de l'image. C'est ce à quoi devrait être attentif l'enseignant qui choisira une BD pour ses élèves.

L'organisation du récit

La double lecture qu'impose la BD permet à l'enseignant de déterminer la cohérence de l'histoire, d'en saisir la progression et de « voir » dans quelle mesure l'organisation du récit imaginée par le bédéiste (les retours en arrière, les différentes ellipses, etc.) aidera à comprendre véritablement l'histoire. Tout simplement fascinant !

L'effet « série »

Enfin, avant de faire un choix définitif, l'enseignant se posera quelques questions sur la place qu'occupe la BD dans le champ littéraire. Est-elle publiée par un éditeur reconnu ? Fait-elle partie d'une série ? Si oui, elle pourra (peut-être) permettre aux élèves qui se seront attachés au personnage de pouvoir le retrouver dans un autre album. Cela étant dit, ce critère n'est pas infaillible et ne doit pas être le critère fondamental d'un choix puisqu'une série ne signifie pas que tous les numéros sont de qualité égale.

Si vous aviez un souhait en proposant votre ouvrage aux professeurs documentalistes, quel serait-il ?

Marie-Hélène Marcoux : J'aimerais que mon livre, La BD au secondaire, incite les enseignants à se lancer, à lire une BD avec leurs élèves. Cela peut être une expérience de lecture riche et agréable parce que quand on y pense, pourquoi lit-on dans la vie  On lit des textes pour entrer en relation avec des personnages, des idées, des univers, des visions du monde et non pour répondre à des questions de repérage. La BD permet ses « rencontres ». C'est le rôle de l'école – et donc notre rôle comme enseignant—de développer la pratique sociale de la lecture pour faire de nos élèves des lecteurs experts et passionnés et non pas seulement des lecteurs opérationnels. La lecture collaborative y contribue grandement. Aussi, nous ne répéterons jamais assez l'importance de lire des œuvres complètes (et non des extraits) et de les lire en groupe classe. Cet espace d'échange, de discussion et de partage que l'enseignant propose par cette façon d'envisager l'enseignement de la lecture permet un véritable travail d'interprétation. Il sera toujours temps de répondre à des questions, seul et par écrit…

En terminant, j'aimerais mentionner à vos lecteurs que mon ouvrage est disponible en Europe. N'hésitez pas à le demander à votre libraire. Aussi, si vos lecteurs ont des questions, des commentaires, des suggestions, une expérience de lecture de BD à partager, ils peuvent me retrouver sur Facebook et sur Twitter (@marcouxmh) ou à l'adresse suivante : marie-helene.marcoux[at]csnavigateurs.qc.ca

Au plaisir de discuter de BD avec vous !

Notes de bas de page

[1] Tauveron, C. (1999). Comprendre et interpréter le littéraire à l’école : du texte réticent au texte proliférant. Repère, 19, 9-38.

[2] Vanhulle, S. (1999). Concevoir des communautés de lecteurs: la gestion de la classe dans une didactique interactionniste.Revue des sciences de l’éducation, 25(3), 651-674.