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L'éveil au désir et à la sexualité sont le terreau de nombreux romans pour les adolescents à travers, notamment, la thématique de la première fois. Les ouvrages de Judy Plume, « Pour toujours », Gudule, « L'amour en chaussettes » ou « Star crossed Lovers » de Mikaël Ollivier en sont des exemples parmi tant d'autres [34].

Le sujet est tellement vaste qu'il nous a semblé intéressant, ici, d'aborder plus particulièrement le thème de l'homosexualité dans une actualité qui invite largement à ouvrir le débat avec les élèves.

Il s'agit d'une thématique abordée récemment à travers la littérature de jeunesse pour des raisons notamment d'identification puisque ce processus, comme le montre Thomas Chaimbault dans son mémoire intitulé « L'homosexualité dans la littérature de jeunesse » [35], devient moins évident quand il s'agit de l'utiliser avec des personnages homosexuels « et ce aussi bien au niveau du lecteur qui reçoit, en premier lieu, des représentations sociales parfois rédhibitoires qu'à celui des éditeurs soucieux de plaire à leur lectorat pour des raisons commerciales ».

Apparue dans la littérature de jeunesse dans les années 80, l'homosexualité a d'abord été évoquée par le biais d'amitiés particulières entre jeunes gens. Sarah Cohen Scali, dans « Vue sur Crime » [36], illustre ainsi la rencontre entre Pascal, jeune homme de 19 ans qui sort de prison et son chef boucher :

« Mon nouveau chef est homosexuel. Il ne manquait plus que ça. Je n'ai absolument rien contre les homos, loin de là. Ils ont droit à tous les droits. Seulement voyez, en tant que bon ours qui se respecte, j'aurais plutôt tendance à rechercher la femelle en période de rut. Autrement dit, j'espère qu'il me fichera la paix ».

Le lecteur devra également combler les non-dits dans l'ouvrage de Virginie Lou, « Un papillon dans la peau » [37] où la seule scène d'amour se révèle un combat amical entre les deux garçons : « de retrouver le corps d'Alexandre dans le jeu me comblait (…). Je me suis penché vers lui, et j'ai posé mon front contre le sien ».

Outre un amour impossible, le thème du SIDA est également au cœur de nombreux romans pour la jeunesse évoquant le thème de l'homosexualité et notamment « Le cahier rouge » de Claire Mazard [38] ou « Le cerf-volant brisé » de Paula Fox [39]. Les personnages homosexuels évoluent donc dans un univers dramatique d'autant plus qu'ils doivent lutter contre l'homophobie. L'insulte y est monnaie courante : Vincent, protagoniste du roman de Thomas Gornet, « Qui suis-je ? », peu sportif, s'entend dire : « Allez va t'asseoir avec tes copines (…). Pfff, cette femmelette. N'importe quelle andouille y arrive » [40].

A travers son analyse de cinq romans ayant pour thème l'homosexualité, Philippe Clermont, dans son chapitre consacré à « Identité de sexe, identité de genre : le roman pour adolescent-e-s est-il engagé ? » a bien démontré la violence sous-jacente et les rapports de domination illustrés à travers l'ouvrage de Dirk Kurbjuweit, « Deux sans barreur », où l'amitié fusionnelle se termine tragiquement [41]. Seules les héroïnes du roman de Claire Mazard, « Macaron citron » évoluent dans un climat plus apaisé. Les jeunes filles ont des doutes et se posent des questions mais comme dans n'importe quel amour naissant [42]

Les mangas dans la catégorie « yaoi » mettent également en scène des héros homosexuels dans des histoires qu'on pourrait qualifier « d'ordinaire ». Sébastien François livre une étude parue dans Lecture Jeune sur ce thème : « Slash, Yaoi, Boy's Love : subversion ou renouveau de romantisme chez les adolescentes ? » [43]. Leur succès auprès du lectorat féminin en est encore à l'état d'hypothèses entre la possibilité, pour elles, de s'identifier selon leur personnalité à un personnage masculin ou féminin ou une vision plus féministe qui voit ce succès comme « une véritable subversion des identités sexuelles avec un rejet des normes hétérosexuelles classiques ». Mais c'est bien, en tout cas, les sentiments qui dominent, dans ce type de publications, et non la nature du couple.

Le manga nous semble susceptible, d'ailleurs, de susciter de fructueux échanges avec les élèves notamment autour du thème de l'identité sexuelle. L'ouvrage de la psychologue clinicienne et psychanalyste, Joëlle Nouhet Roseman, « Les mangas pour jeunes filles, figures du sexuel à l'adolescence » [44] s'intéresse à cette publication qui s'adresse directement aux affects du lecteur avec des personnages particulièrement expressifs. Certains sont « SD » (pour super deformed) ou « CB » pour « Chibi » (Child Body) : personnages déformés à la tête énorme, aux yeux immenses et d'une grande expressivité. Le manga, grâce à un système d'éléments visuels ou narratifs très variés, permet également d'exprimer « les émotions, des sensations et des sons très subtils : le silence, les variations d'intensité du souffle, le plissement d'un clin d'œil, le rythme d'ondulation d'une vague…» [45].

Dans ce cadre, les mangas shôjo évoquent largement la vie affective, voire sexuelle des personnages et permettent, pour certains lecteurs adolescents, de s'identifier plus facilement : Lesline, un garçon de 23 ans, témoigne ainsi de son intérêt : « dans un vrai livre, la vie du personnage est trop construite. Dans les mangas, le personnage a des sentiments si vagues qu'on peut s'y apparenter. La personnalité des personnages est plus floue, si floue que n'importe qui peut s'y projeter » [46].

Le manga shôjo créé également des formes de passerelles entre le masculin et le féminin avec l'émergence de personnages androgynes, les « bishonen, » jeunes hommes aux allures féminines dont le succès fait écho au théâtre traditionnel japonais où les rôles féminins sont tenus par les hommes (le théâtre Kabuki) et le théâtre Takarazuka où les rôles masculins sont tenus par les femmes.

Un nombre important d'ouvrages pour la jeunesse permettent donc d'aborder une réflexion sur la sexualité et l'homosexualité. Certains d'entre eux engagent également un débat plus large sur les notions d'altersexualité comme annoncé sur le site « altersexualité.com » : « les sexualités « non strictement hétérosexuelles », notamment l'homosexualité, la bisexualité et la question de l'identité de genre, y compris la sexualité transgenre » [47]. Les ouvrages recensés sur le site sont enrichis d'une critique et d'une sélection de documents bénéficiant du label « Isidor », distinguant les meilleurs ouvrages pour promouvoir la diversité sexuelle auprès des élèves et sont un outil précieux pour les professionnels du livre.

Pour revenir à la thématique de l'homosexualité analysée par Philippe Clermont, dans « Identités de genre : le roman pour adolescent-e-s est-il engagé ? », l'auteur a bien démontré que tous ces romans mettent en scène des jeux de rapports de dominations. Domination des filles par les garçons avec un échange dans « Sexy » [48] d'hommes qui rabaissent la femme dans l'acte sexuel : « C'est comment de se faire tailler une pipe par une première de la classe brother ? Je suis curieux de le savoir ».

C'est également une domination des garçons par les garçons avec l'exacerbation d'une virilité compétitive. Ainsi, dans l'ouvrage « Point de côté » [49], le héros s'exclame : « l'esprit de compétition, c'est bien le seul esprit qu'ils aient ces cons ! Pourtant j'avais peur de ne pas savoir refuser ».

L'auteur constate enfin une confusion entre homosexualité et féminisation. Il indique que les « deux figures se rejoignent en tant que figures sociales de dominé » et que le système de domination lié au genre est fortement intériorisé. Il l'illustre avec l'exemple de Vincent, dans « Qui suis-je ? » [50] qui banalise, selon l'auteur, la dépréciation du cycle menstruel féminin : « J'ouvre la fenêtre, l'air mauvais. (…). De toute façon, je fais la gueule. J'écoute mais je dis rien (…). Je ne sais pas ce que j'ai. Sans doute mes règles comme dirait Thibault ».

La banalisation du cycle menstruel vu comme « cause de comportements irrationnels » prouve que la problématique du genre demeure un problème d'actualité et un travail sur ce thème semble indispensable avec les élèves pour lutter contre un certain nombre de clichés et de comportements induits par les problématiques de genre.

Notes de bas de page

[31] Sylvain Jaoui et Sibylle Delacroix, « La préférée », Casterman, 2010

[32] « L'académie des spécialites » in Les éditions Rackam [en ligne]. http://www.editions-rackham.com/lacademie-des-specialistes/ (Consulté le 27 mars 2013)

[33] Mark Haddon, « Le bizarre incident du chien pendant la nuit », Pocket, 2006

[34] Judy Blume, « Pour toujours », L'école des loisirs, 1989 ; Gudule, « L'amour en chaussettes », Thierry Magnier, 2006 ; Mikaël Ollivier, « Star crossed Lovers », Thierry Magnier, 2002

[35] Thomas Chaimbault, « L'homosexualité dans la littérature de jeunesse », Mémoire de Master 2, 2002 [En ligne]. http://eprints.rclis.org/3879/1/Memoire2.pdf (Consulté le 12 juin 2013)

[36] Sarah Cohen Scali, « Vue sur crime », Flammarion, 2000

[37] Virginie Lou, « Un papillon dans la peau », Gallimard, 2005

[38] Claire Mazard, « Le cahier rouge », Syros, 2008

[39] Paula Fox, « Le cerf-volant brisé », Ecole des loisirs, 1995

[40] Thomas Gornet, « Qui suis-je ? », Ecole des loisirs, 2006

[41] Ouvrage à mettre entre les mains d'un public averti. Voir la critique sur le site « altersexualité.com » http://www.altersexualite.com/spip.php ?article387 qui propose une sélection tout à fait intéressante sur ce thème

[42] Anne Percin, « Point de coté », Thierry Magnier, 2006 ; Claire Mazard, « Macaron citron », Syros, 2001 ; Dirk Kurbjuweit, « Deux sans barreur », Actes sud, 2006 ; Thomas Gornet, « Qui suis-je ? », Ecole des loisirs, 2006 et Joyce Carol Oates, « Sexy », Gallimard jeunesse, 2007

[43] Sébastien François, « Slash, Yaoï, Boy's Love : subversion ou renouveau du romantisme chez les adolescentes ? » in Lecture Jeune : « L'amour à l'adolescence », n°136, décembre 2010.

[44] Joëlle Nouhet Roseman, « Les mangas pour jeunes filles : figures du sexuel à l'adolescence », Eres, 2011.

[45] Joëlle Nouhet Roseman, op.cit

[46] Joëlle Nouhet Roseman, op.cit

[47] La sélection livres jeunesse altersexualite.com et les « Isidor » In Altersexualite.com [En ligne]. http://www.altersexualite.com/spip.php ?article100 (Consulté le 4 avril 2013)

[48] Op.cit.

[49] Op. cit.

[50] Op. cit