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C'est pourtant une thématique dont la littérature de jeunesse s'est emparée largement. L'attitude de lutte contre toute forme de discriminations est en effet abordée dans de nombreux romans et notamment les ouvrages fantastiques ou de science-fiction puisqu'ils mettent en scène des univers totalement imaginaires qui servent souvent de prétexte à un discours de tolérance vis-à-vis de l'autre. C'est le cas du roman de Lois Lowry, « Le passeur » où le héros vit dans un univers sans mémoire, totalement formaté, où il est mal venu d'attirer l'attention par une attitude ou une caractéristique physique différente, ne serait-ce que de la couleur dans les yeux ou les cheveux. L'univers de la science-fiction ou du fantastique met également en scène des êtres seuls, rescapés, dans un monde en pleine mutation où ils souffrent parce qu'ils sont différents. C'est le cas notamment de la jeune « Nävis », héroïne de la série de bande dessinée « Sillages » [20] seule ambassadrice de l'espèce humaine en proie à un monde hostile tout comme Nihas, dernière représentante d'un peuple victime de génocide dans la série « Chroniques du monde émergé ».

Outre le courant « fantastique » délimité par Josée Lartel-Geffart [21] pour caractériser « le roman pour ados », le courant « réaliste » offre, lui, tout un panel de héros dont les protagonistes souffrent de nombreux problèmes qui sont autant d'invitations à une réflexion sur la différence. Ce courant s'inscrit dans l'univers social et familial de l'adolescent et propose, à travers des héros du même âge, un modèle largement identificatoire. Ces romans « miroirs » permettent d'aborder de nombreuses thématiques liées à l'altérité et l'acceptation de soi – ou des autres – face notamment à des particularités physiques telles que le surpoids [22], la taille [23] ou toutes autres singularités à l'exemple d'August, né avec une malformation faciale qui découvre le monde du collège dans le roman de R.J. Palacio, « Wonder » [24] ou Anton, victime de messages humiliants et dégradants à cause de sa couleur de cheveux (il est roux) dans l'ouvrage de Claire Mazard, « La commissaire Raczinski : mise à mort » [25].

Le thème du handicap s'est également peu à peu invité dans les œuvres de jeunesse. Certains éditeurs en ont fait une spécialité et notamment les éditions « D'un monde à l'autre », créées par un groupe d'amis sensibles à cette question, qui souhaitent offrir des conditions d'édition favorables à des auteurs écrivant sur ce sujet. Leur ligne éditoriale s'inscrit dans une démarche « de lutte globale contre les discriminations en participant au changement de regard porté sur toutes les personnes différentes, singulières, hors-norme, qui est une des conditions majeures pour que le « vivre ensemble soit une réalité » [26] à l'image des héros du livre d'Anne Poiré, Cyan et Volubilis [27], qui entament une relation étroite sur internet sans se voir….

Si le handicap n'est pas toujours au cœur des maisons d'édition, le héros rencontre fréquemment une personne singulière au détour d'une rencontre. C'est le cas de Maxime dans la série d'Anne Percin [28]. Il assure du soutien scolaire auprès d'un enfant souffrant du syndrome d'Asperger et livre son expérience : « Je n'ai pas tardé à m'attacher et, dès le surlendemain, je me jetais avec passion dans une nouvelle activité de précepteur spécialisé, qui devait me rapporter bien plus, en fin de compte, que de l'argent de poche ».

C'est aussi une rencontre qui bouleverse la vie du jeune professeur, héros du manga d'Ossamu Yamamoto, « L'orchestre des doigts » [29]. Il est confronté, à l'école de sourds et muets où il travaille, à l'impossibilité de communiquer avec ses élèves et en particulier un enfant violent, Issaku…

C'est, plus souvent encore, une personne proche du héros (un frère, une sœur, un enfant, un ami…). tel Kléber, héros du roman de Marie-Aude Murail [30] et son frère Barnabé dit « Simple » et ses « simpleries » : le « vérolair », les « beaud'hommes » le « téphélone » dans un ouvrage qui met en scène une famille au-delà des conventions et de la normalité. Les difficultés de construction de chacune des identités sont également au centre du roman de Sylvain Jaoui et Sibylle Delacroix, « La préférée » [31] où Emma, 12 ans, souffre d'être négligée par sa mère qui consacre tout son temps à se petite sœur, Aliénor, une enfant autiste.

Famille et autisme sont également au cœur de l'ouvrage de Maria et Miguel Gallardo, « Maria et moi », livre autobiographique et sorte de carnet de voyage superbement illustré qui nous emmène dans le quotidien d'un père et de sa famille où chacun des gestes les plus anodins peut se révéler périlleux. Mélange de tranches de vie quotidienne et de réflexions, ce roman graphique réussit à montrer la réalité telle que la perçoit Maria et nous révéler l'absurdité de notre indifférence et de nos préjugés. Le livre a été porté à l'écran, en Espagne, par Félix Fernandez de Castra, à travers un documentaire (« Maria y yo ») et un court-métrage d'animation sous-titré en français est visible sur le site des Editions Rackam. [32]

Mais c'est parfois le héros lui-même, qui souffre d'un handicap. C'est le cas notamment de « L'élue » de Lois Lowry, dont le personnage, Kira, possède à la fois un don exceptionnel pour la broderie et souffre d'une infirmité à la jambe. Elle se retrouve seule dans un monde où faibles et infirmes sont éliminés, emportés au « Champ » jusqu'à ce que leur esprit s'en soit allé.

La bande dessinée n'est pas en reste avec « La bande à Ed » de Jak et Geg qui met en scène les aventures de Ed, héros en fauteuil roulant et toute sa bande de « bras cassés » qui souffrent chacun d'entre eux d'un handicap : Sam est obèse, Gad est nain, Chang est malvoyant et Tommy « décalé ». On suit les aventures des protagonistes dans un quotidien riche en tracas et frustrations mais également plein de joie de vivre et d'humour.

Toutefois, les héros visibles dans la littérature de jeunesse souffrent majoritairement d'un certain type de handicap (moteur, malvoyance, surdité…). Pour des raisons sans doute liées au processus d'identification, le protagoniste principal souffre rarement de handicap mental. Mark Haddon et Odile Demange comptent parmi les rares auteurs à mettre en scène Christopher, adolescent autiste, qui mène l'enquête pour découvrir l'assassin du chien de sa voisine dans « Le bizarre incident du chien pendant la nuit » [33].

Les personnages de littérature de jeunesse sont donc, on l'a vu à plusieurs reprises, au cœur d'un questionnement lié à la construction de leur identité. S'il s'agit de s'accepter soi-même et d'accepter les autres, dans leurs différences, c'est également un âge où nombre d'entre eux s'interrogent sur leur identité sexuelle.

Notes de bas de page

[20] Série de Jean-David Morvan et Philippe Buchet publiée chez Delcourt

[21] Josée Lartet-Geffard, « Le roman pour ados : une question d'existence », Editions du Sorbier 2005

[22] A titre d'exemples : Mikaël Ollivier, « La vie en gros », Gallimard jeunesse, 2005 ; Jacqueline Wilson, « 3 filles et 10 kilos en trop », Hachette Jeunesse, 2005 ; Sylvaine Jaoui et Frédéric Rébéna, « Julia se trouve trop grosse », Casterman, 2002

[23] A titre d'exemple : Yaël Hassan, « Hé petite ! », de La Martinière, 2003

[24] R.J. Palacio, « Wonder », Pocket jeunesse, 2013

[25] Claire Mazard, « La commissaire Raczinski : mise à mort », Oskar jeunesse, 2012

[26] « Ligne éditoriale » in Editions d'un monde à l'autre [En ligne]. http://www.mondealautre.fr/editions/ligne-editoriale-t31.html (Consulté le 12 juillet 2013)

[27] Anne Poiré, « Cyan@volubilis », Editions d'un monde à l'autre, 2008

[28] Anne Percin, « Comment (bien) rater ses vacances », Rouergue, 2010 ; Anne Percin, « Comment (bien) gérer sa love-story », Rouergue, 2011 ; Anne Percin, « Comment devenir une rock-star ? », Rouergue, 2012

[29] Osamu Yamamoto, « L'orchestre des doigts », Milan, 2007

[30] Marie-Aude Murail, « Simple », Ecole des loisirs, 2004

[31] Sylvain Jaoui et Sibylle Delacroix, « La préférée », Casterman, 2010

[32] « L'académie des spécialites » in Les éditions Rackam [en ligne]. http://www.editions-rackham.com/lacademie-des-specialistes/ (Consulté le 27 mars 2013) 

[33] Mark Haddon, « Le bizarre incident du chien pendant la nuit », Pocket, 2006