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Réalité et fiction : interview de Thierry Jonquet

Par Alain Le Flohic, documentaliste au lycée Henri Avril - Lamballe,
[novembre 2004]

Mots clés : écrivain ,

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L'entretien a été mené par Alain Le Flohic documentaliste au lycée Henri Avril - Lamballe pour Savoirs CDI. Il est membre de l'équipe d'organisation du festival "Noir sur la Ville "qui se déroule chaque année dans cette ville (22) - novembre 2004

Pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Thierry Jonquet : J'ai été ergothérapeute et à l'époque ma vie professionnelle se confondait avec mes lectures. Noir c'était vraiment noir. Je travaillais dans un centre de gériatrie où l'on parquait les petits vieux en attendant qu'ils y meurent. J'ai aussi travaillé dans un service pour bébés amputés congénitaux. Un concentré d'horreur. Je crois que c'était moi qui était attiré par ces endroits maléfiques. J'ai été aussi instituteur en SES. En dix ans, j'ai ainsi parcouru tout l'éventail du travail social, fait le tour des diverses situations de misère, d'exclusion. Aujourd'hui je suis écrivain. C'est mon métier.

Quels ont été les auteurs qui vous ont marqué en tant que lecteur? en tant que romancier ?
Dans le domaine du polar pouvez-vous nous citer deux ou trois auteurs dont vous vous sentez très proches ?
Comment êtes vous venu à l’écriture et à la littérature policière ?

Thierry Jonquet : Je n'ai commencé à lire des romans noirs qu'assez tardivement. Avant l'âge de vingt-cinq ans, je n'avais jamais entendu parler de Chandler, de Dashiell Hammett, de Goodis. Et brusquement en quelques mois , je fis connaissance avec Chester Himes, Pierre Siniac, Peter Loughran, Jim Thompson, Jean Amila, Francis Ryck..
Je pourrais citer beaucoup d'auteurs. Ceux que me viennent en tête en premier : Sébastien Japrisot pour les français. Jim Thompson chez les américains.

Au fil des ans, obsédé par les fous que j'avais côtoyés, poursuivi par les tarés qui m'avaient tenu compagnie, encerclé par les pervers qui s'étaient ingéniés à m'empoisonner l'existence, j'ai donc consacré quelque énergie à tenter d'apprivoiser les "freaks", au travers de mes modestes romans. J'ai travaillé à la manière d'un artisan.

Vous dites souvent que vous avez lu quelque chose dans la presse qui a déclenché l'écriture d'un roman. La lecture des journaux est-elle pour vous nécessaire à l'écriture de fictions? Peut-on dire que vos romans ont partie liée avec la littérature engagée ?

Thierry Jonquet : Je pars toujours de faits réels. En lisant les journaux je suis consterné par la violence qu'ils décrivent, par la barbarie de notre monde. Au lieu de ruminer cela tout seul dans mon coin, j'écris des romans à partir de ce matériau de faits divers Je déteste ce terme. Des fois qu'il y ait un message, rendez-vous compte ! J'ai rédigé tant de tracts, d'appels à la révolte et je ne renie rien. Mais je n'ai aucune envie de me coltiner ce genre d'exercice. Je résiste. Au fil es pages, en effet, le roman noir n'en finit pas de charrier son flot de protestations enflammées, de réquisitoires solennels envers une société condamnée à la déchéance. La militance le guette. Travers fatal, attention danger. Je n'écris pas des tracts. J'écris des romans.

Comment, où, quand dans quel type d'environnement écrivez-vous ? Vous traquez avec un regard impitoyable toutes les noirceurs et les lâchetés des hommes ordinaires, on a dit de vous que vous étiez « un écrivain-légiste du corps social », êtes-vous d’accord avec cette analyse

Thierry Jonquet : J'ai un bureau en dehors de chez moi où je peux m'isoler pour écrire. Oui et non, c'est une formule. Je reste souvent confondu de stupeur à la lecture de certains faits divers qui révèlent l'existence de monstres ordinaires, d'ogres débonnaires, de cinglés parfaitement intégrés socialement mais dont la conduite, en privé, s'abîme dans des gouffres d'ignominie. Mon désir est de comprendre, de mettre toute cette réalité en perspective. Pourquoi, à un moment donné, des vies basculent. Je ne fais ni du journalisme ni de la sociologie. Je raconte une histoire. Je donne chair à des personnages, j’entre dans leur tête, je tente de donner du sens à leur comportement, j’imagine leurs déviances comme leurs souffrances. Et puis je ficelle une intrigue qui tienne en haleine le lecteur. C’est pour lui qu’un auteur se met à la tâche !

Quand et pourquoi vous êtes vous mis à écrire pour la jeunesse ? Qu’est-ce qui change quand vous écrivez pour ce lectorat ?

Thierry Jonquet : Au départ, ce n'était pas une initiative de ma part; les éditions Syros m'ont proposé d'écrire pour la collection "souris noire". Au début, j'étais perplexe. Finalement je crois que j'ai trouvé une forme d'expression qui parle aux jeunes. Il faut s'adapter; il faut trouver des façons d'écrire, écrire de façon non édulcorée

Vous écrivez aussi des scénarii pour la télévision, pour la bd, vous écrivez aussi des pièces de théâtre, est-ce le besoin d’explorer des modes d’écriture différents ? Vous avez animé des ateliers d’écriture, pouvez nous en dire quelques mots ? Qu’en attendez-vous ?

Thierry Jonquet : Je pense qu'il faut varier les modes d'expression. Je n'ai pas écrit pour le théâtre. Certains de mes textes ont été adaptés. En fait, j'en anime assez peu.

Vous avez reçu de nombreux prix. Êtes-vous sensible aux distinctions ? Pouvez-vous, avant de conclure cette interview nous parler rapidement de vos projets ?

Thierry Jonquet : Oui évidemment comme tout le monde Je travaille sur une adaptation pour le cinéma de mon dernier roman "Mon vieux" , je prépare un scénario pour une bande dessinée. On pourra compléter la lecture de cette interview par celle d'un numéro des temps modernes consacrés au roman noir : le numéro 595 d'aout-septembre-octobre 1997.