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Entretien avec Michèle Renaux-Lauden, professeur-documentaliste

Par Carole Detain,
CRDP de l'académie d'Amiens [juin 2003]

Mots clés : atelier d'écriture , incitation à la lecture , secondaire second cycle , secondaire premier cycle

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Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?

Michèle Renaux-Lauden : Documentaliste, je suis en poste au lycée Pierre d'Ailly (Compiègne) depuis quatre ans après avoir exercé pendant 17 ans au CDI du collège André Malraux à Compiègne également. Auparavant, j'ai enseigné pendant plusieurs années le français. Je me suis orientée vers la documentation pensant que c'était la fonction idéale pour effectuer de l'animation culturelle à partir de tout ce qui me passionne, les livres et les écrivains, le cinéma, les arts, la nature.

Pouvez-vous nous recenser les expériences d'écriture les plus marquantes que vous avez pu mener ?

Michèle Renaux-Lauden : Je vais d'abord évoquer deux ateliers d'écriture menés sur la base du volontariat :

- le premier a eu lieu au collège Malraux suite à un projet presse qui a consisté à réaliser le Cahier central du Parisien en collaboration avec le journal cité et l'inspection académique. Roger Wallet nous a proposé de faire écrire des nouvelles à des élèves volontaires de la classe presse, sous la houlette de l'écrivain Michel Leydier. L'atelier se déroula en dehors des cours, avec l'aide du professeur de lettres et de la mienne, à raison de 5 ou 6 séances réparties sur 4 semaines environ. Objectif : festival de la nouvelle de Saint-Quentin. Très vite, le groupe d'élèves inscrits s'est réduit comme peau de chagrin ! Sur une quinzaine, deux (des filles) ont tenu jusqu'au bout et ont pu envoyer chacune une nouvelle achevée.

- le deuxième a eu lieu au Lycée Pierre d'Ailly en 2001/2002. Il s'agissait d'un atelier artistique de lycée. 72 heures, dont 36 avec un écrivain, José Féron Romano. Deux professeurs (portugais et anglais) et moi pour assurer l'encadrement en dehors de nos heures de travail. Le lundi de 15h15 à 18h15. Aucun élève inscrit n'était disponible plus d'une heure. Même chose pour les professeurs. Le professeur de lettres intéressé n'a jamais pu se libérer pour des raisons d'emploi du temps. Conditions de départ difficiles, alors que le projet avait été clairement élaboré en juin. Là encore, le groupe d'élèves s'est peu à peu évaporé, passant de 20 à 2 ! Et il n'y a eu aucune production !

Les ateliers d'écriture organisés au niveau de classes entières ont un profil bien différent :

- Au collège André Malraux, un professeur de lettres et moi, nous avons mené un atelier d'écriture avec une classe de 4e très difficile, au CDI, sur des séquences de deux heures, à raison de dix au total, avec José Féron Romano. Certains élèves ont joué le jeu, ont créé des textes personnels en obéissant à des consignes. Ils ont échangé avec l'écrivain, ont suivi ses conseils. Toutefois, l'atelier n'a pas eu l'effet d'un coup de baguette magique face aux quelques irréductibles perturbateurs.

- Au lycée, j'ai proposé et organisé des mini ateliers d'écriture (trois séances). Six classes, trois auteurs de personnalité différente, Pascale Roze, Alain Absire et José Féron Romano. Six ateliers qui ont très bien fonctionné comme déclencheurs d'écriture, comme lieu d'échange entre un écrivain et des jeunes, comme source de mise en confiance, comme éveil de la motivation.

C'est pourquoi, à l'issue de cette expérience positive, nous avons envisagé la création de l'atelier artistique de lycée, dominante, l'écriture, évoqué ci-dessus, et qui, par contre, a été un échec prodigieux...
Je crois que la contrainte est bénéfique et que le groupe classe peut créer une émulation autour d'un pivot, le professeur impliqué dans le projet, le plus souvent le professeur de lettres.

Pouvez-vous nous exposer un peu plus en détail le(s) projet(s) que vous avez pu mener avec Roger Wallet ?

Michèle Renaux-Lauden : Il y a eu, au collège Malraux, une projet presse mené dans une classe de 4ème, puis de 3ème pendant deux ans. Roger Wallet a rencontré l'équipe pédagogique au collège, pour un stage presse d'une journée : présentation d'activités à faire faire aux élèves pour les sensibiliser à l'univers d'un journal. Les professeurs ont travaillé ensuite avec la classe autour de deux projets, le second découlant du premier :

- la première année, écriture d'articles avec un journaliste, sur trois semaines pour réaliser le Cahier central du Parisien.

- l'année suivante, réalisation d'une exposition Découvrir la presse : recherche d'informations, écriture de textes documentaires. (cette exposition plastifiée par la Bibliothèque départementale de l'Oise à Senlis s'y trouve toujours et peut être empruntée gratuitement).

Au lycée Pierre d'Ailly, Roger Wallet est venu au cours de cette année scolaire en tant qu'auteur de romans. Il a rencontré trois classes autour du thème, "la part d'autobiographie dans un roman". Rencontres réussies, à partir de la lecture de Portraits d'automne (Gallimard, folio).
Les visites d'auteurs sont très importantes à mon avis. Ce sont des ouvertures extraordinaires sur des univers littéraires et humains et des invitations à la lecture. Bien sûr, elles ne réussissent pas à 100%, mais je suis convaincue qu'elles sont un élément moteur. En collège comme en lycée, j'ai toujours privilégié les rencontres avec des auteurs.

Qui est en général à l'origine de la collaboration (le/la documentaliste, un(e) enseignant(e) de discipline...) ?

Michèle Renaux-Lauden : La/le documentaliste ou un(e) enseignant(e) peut être à l'origine de la collaboration. Il se trouve que j'ai souvent fait des propositions, rencontres avec des auteurs, ateliers d'écriture, réalisation d'expositions, journal. En retour, ces propositions inspirent parfois des demandes, puis des implications véritables dans des projets. Je suis d'accord avec Roger Wallet quand il écrit que la/le documentaliste s'implique plutôt dans des actions brèves et que les actions de plus grande ampleur sont lancées par des enseignants. Je pense même qu'une action de longue haleine telle qu'un atelier d'écriture sur une dizaine de séances ou sur une année (atelier artistique de lycée), doit être prise en main par un enseignant pour assurer ses chances de réussite. Ainsi, je crois que notre atelier artistique de lycée fut un échec parce qu'aucun professeur de lettres ne l'avait pris en charge vraiment. Un professeur a cette force de voir régulièrement les élèves de ses trois ou quatre classes et de pouvoir en fidéliser quelques-uns. Au CDI, en lycée, les élèves passent...

Comment concevez-vous le bon déroulement d'un atelier d'écriture en CDI ?

Michèle Renaux-Lauden : Bien sûr, le CDI peut sembler être le lieu idéal pour mener un atelier d'écriture. Ce n'est pas la salle de cours, donc cela situe bien l'atelier d'écriture en marge du travail scolaire. Au collège Malraux, atelier d'écriture, travail journalistique, conception d'expositions, avaient lieu au CDI. Je pouvais fermer le CDI pour des activités pédagogiques différentes et m'impliquer dans celles-ci. Au lycée, il est impossible et impensable de fermer le CDI pour ce type d'interventions. Il y a beaucoup de demandes diverses qui concernent un grand nombre d'élèves. Au cours des trois dernières années, les ateliers d'écriture eurent lieu dans les salles de cours habituelles, les visites d'auteur dans une salle de réunion ou à la cafétéria. C'est finalement la salle de cours que nous préférons, parce que lieu investi par les élèves. Et la présence de l'écrivain provoque une rupture avec le côté scolaire.

Quels sont les objectifs d'un tel travail ?

Michèle Renaux-Lauden : Les objectifs d'un tel travail ? Mettre les élèves en confiance, les réconcilier avec l'écriture pour ceux qui ont des difficultés, faire plaisir à ceux qui aiment écrire en leur ouvrant des horizons. Là où le malentendu émerge, c'est quand les attentes du professeur sont différentes, par exemple quand il espère que l'écrivain va lui montrer comment corriger les erreurs d'écriture de ses élèves.

Comment mettez-vous en place les différentes séances de travail ?

Michèle Renaux-Lauden : En tant que documentaliste, je fais la coordination. Ainsi, j'établis un planning en fonction des vœux et impératifs des uns et des autres, écrivains, professeurs. Je fais le lien entre les enseignants et les intervenants.

En quoi cela contribue-t-il à une augmentation des pratiques de lecture des élèves ?

Michèle Renaux-Lauden : Il est évident que la rencontre avec un écrivain, qu'il vienne discuter d'un de ses livres ou animer un atelier d'écriture, amène un certain nombre de jeunes à la lecture. Bien sûr, l'aboutissement n'est jamais un succès à 100%. Pour certains il faudra du temps, il faudra renouveler les expériences. Mais j'observe que pour beaucoup d'entre eux, la curiosité a été mise en éveil.

Quel(s) texte(s) proposez-vous au début pour accrocher les élèves ?

Michèle Renaux-Lauden : Quand la visite d'un auteur est arrêtée, la première démarche est de le faire connaître aux jeunes par ses écrits.

- S'il s'agit d'un auteur qui vient rencontrer une classe, - ou plusieurs -, pour un débat, les professeurs de lettres concernés et moi, nous choisissons un de ses livres en fonction du thème et de la difficulté, et chaque enseignant s'efforce de le faire lire à tous les élèves. Le choix du livre, en dehors du contenu, peut être déterminé par son coût. Souvent j'en fais acheter plusieurs exemplaires pour le CDI, voire une série. Avec leur professeur, les élèves préparent la rencontre, élabore des questions inspirées par la lecture.

- S'il s'agit d'un atelier d'écriture, la lecture d'un roman de l'écrivain invité est moins systématisée. Mais il est souhaitable que les élèves connaissent un peu son univers littéraire par le biais d'une bibliographie que je leur remets. Un atelier d'écriture commence souvent par un échange qui a toutes les chances de se référer à un moment ou à un autre à ce que l'intervenant a écrit.

Ce travail exige-t-il et/ou développe-t-il des compétences documentaires spécifiques chez les élèves ?

Michèle Renaux-Lauden : Ce travail n'exige pas de compétences documentaires particulières, mais les élèves sont amenés à pratiquer la recherche documentaire la plus simple. La rencontre avec un auteur invite à chercher si certains de ses livres sont au CDI, ou s'il est possible de trouver des informations bio-bibliographiques dans des revues. Par ailleurs, quelques écrivains utilisent des dictionnaires de toutes sortes au cours des séances, ou nous demandent de faire chercher aux élèves, avant la rencontre, des textes d'un genre ou d'un autre. Bien sûr, il faut savoir manipuler les dictionnaires et avoir su collecter les textes requis. Michelle Grangaud, du mouvement OULIPO, fait travailler ainsi.

Dans quel contexte pédagogique s'inscrit votre action ?

Michèle Renaux-Lauden : Ce travail s'inscrit dans un Projet Educatif Culturel (PEC) dont le thème majeur est la lecture et l'écriture, et qui est renouvelé chaque année depuis trois ans parce que ses effets sont positifs, nous semble-t-il.

Pouvez-vous nous signaler quelques titres d'ouvrages pédagogiques dont vous inspirez ?

Michèle Renaux-Lauden : J'ai envie de citer, en écho à Roger Wallet l'ouvrage d'Hubert Haddad (Editions Dumerchez) sur les ateliers d'écriture, et une publication récente, Apprivoiser l'imaginaire, de José Féron Romano qui a une grande pratique des ateliers d'écriture (Editions du Jasmin).

Quelle(s) difficulté(s) avez-vous rencontrées ?

Michèle Renaux-Lauden : En collège, j'ai rencontré des difficultés financières très paralysantes et démoralisantes.
En lycée, après des années collège, c'est le rêve ! Les projets acceptés sont réalisables ! Parmi les difficultés, je peux citer le poids des programmes, en particulier en 1ère et terminale, avec en filigrane toujours la perspective du baccalauréat. Ainsi, autant les visites d'auteurs sont bienvenues car elles s'inscrivent dans le cadre du programme de lettres, autant les ateliers d'écriture ne sont envisageables qu'en 2nde. Autre difficulté que je rencontre plus au lycée qu'au collège, c'est la gestion du temps de travail : le CDI du lycée Pierre d'Ailly est grand et fonctionnel. On peut y accueillir de nombreux élèves ayant des attentes diverses, travail autonome, groupes en ECJS, groupes en TPE. La documentaliste présente est beaucoup sollicitée. Par ailleurs, la gestion du fonds documentaire est énorme et ne peut être laissée de côté. Enfin, dernière difficulté rencontrée, les impératifs de l'emploi du temps global d'un établissement : cela m'amène à évoquer à nouveau l'atelier artistique de lycée (dominante écriture) pour dire qu'une deuxième raison de son échec, c'est qu'il n'a pas été possible de banaliser deux heures scolaires chaque lundi dans l'emploi du temps d'un maximum de classes, en particulier des 2ndes et des 1ères et terminales littéraires.

Pouvez-vous nous décrire une anecdote émouvante ou amusante qui vous revient à l'esprit ?

Michèle Renaux-Lauden : Les ateliers d'écriture peuvent offrir aux élèves la possibilité de s'ouvrir en libérant leurs blessures intérieures. Tout dépend du type d'exercices proposés. Il y en a qui le permettent. Il nous est donc arrivé de lire des textes bouleversants de douleur. L'adulte, écrivain, professeur, documentaliste, ne peut pas rester silencieux, comme s'il avait lu des choses anodines.