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Par Marie-Hélène Pillon,
[novembre 2004]
Mots clés : écrivain ,
Fred Vargas : Euh… c’est toute ma vie ça ! Pour faire vite, je deviens docteur en archéologie en 83, chercheur au CNRS en 88. Premier roman en 1986. J'ai choisi un nom de plume pour ne pas compliquer les choses alors que je présentais ma candidature au CNRS. Et je l'ai choisi à cause de ma jumelle, qui avait déjà choisi le nom de Jo Vargas pour peindre. Je ne pouvais pas choisir un autre faux nom que le faux nom de ma jumelle ! et je pensais ne signer qu'un seul livre, pour jouer.
Fred Vargas : Le goût de la recherche de la vérité enfouie, de l'enquête, des petites choses modestes sur lesquelles reposent le récit des vies, et enfin, l'importance de la trace, de l'empreinte, laissée par tout passage d'homme (je crois). j'en suis venue à la littérature policière pour contrer l'austérité scientifique du métier d'archéologue. Et parce que je n'étais pas assez bonne pour continuer dans la voie de l'accordéon. Trop d'auteurs pour que je les cite tous. Au panthéon de l'adolescence, et aux deux extrêmes, Marcel Proust et Hemingway.
Fred Vargas : N'importe, tant qu'il y a une chaise et une prise pour brancher l'ordi. Je ne suis pas fétichiste des lieux. Le bruit des enfants ne me gêne pas, ni l'environnement, quel qu'il soit. J'écris aussi bien dans le silence que dans les cris des jeux ou le bavardage des autres. Seule constante : tendance à écrire, une fois lancée, 15 à 16 heures par jour, en prolongeant vers 5 ou 6 heures du matin.
Fred Vargas : Raison majeure : L'enfouissement volontaire de la vérité, sur l'homme, sur l'histoire. Ce n'est pas tolérable pour une archéologue ! Ce qui me choque le plus ? Que l'on vende des hommes et des femmes. Le trafic. L'accord négocié inter-états, au détriment de vies humaines. Le cynisme absolu de cette affaire. les mensonges, la manipulation du droit, la création de la propagande pour abuser l'opinion publique, la diabolisation orchestrée contre un homme pour pouvoir le brûler, comme au moyen âge, l'innocence de Cesare Battisti, que personne n'arrive plus à entendre.
Fred Vargas : Ce n'est pas que la violence ne m'intéresse pas, c'est que je la fuis carrément ! Je ne peux voir que des films interdits aux moins de dix ans, vulnérabilité excessive qui amuse beaucoup mon fils. L'histoire, le récit, m'intéresse bien plus que le principe de l'énigme. et dans le récit, la mise en scène de la peur. Parallèlement, ce sont les gens que j'aime, donc, les personnages, y compris les personnages secondaires. Je ne fais pas exprès de les "décaler", comme je l'ai souvent lu. Cela se fait tout seul, par tendresse envers eux. Je ne cherche pas leur réalisme, mais leur réalité, et c'est peut-être cela qui les "décale" par rapport au quotidien immédiat. Enfin, ce qui m'intéresse le plus est la musique des mots. Ce que je n'ai pas pu faire avec un instrument, je tente de le faire avec les mots. Je suis à la recherche d'un son précis, que je suis incapable de définir, et incapable d'atteindre. Il y a des moments où il me semble que je l'effleure et alors, oui, c'est un authentique plaisir. L'humour fait aussi partie des choses que je ne peux pas m'empêcher de mettre en scène. J'y suis profondément attachée, même quand je suis triste, justement.
Adamsberg s'est construit sur sa lenteur, ses capacités de contemplation, d'analyse inobjective des éléments, sa nonchalance, son absence d'inquiétude, d'anxiété : Bref, exactement l'inverse de moi. je m'énerve moi-même et je crois que j'ai ôté à Adamsberg tout ce qui m'agace en moi, le bavardage, l'esprit scientifique analytique, la vitesse, le speed, même, l'action, la peur. Avec Adamsberg, peu à peu construit à l'inverse de moi-même, je me repose (même si, du coup, et souvent, sa lenteur m'énerve, et son indifférence aux autres me crispe !!).
Fred Vargas : Oui, autant que je peux avec mon foutu emploi du temps de fou. Les collégiens offrent encore une magnifique sincérité, qu'on ne peut pas beaucoup trouver ailleurs.
Je suis incapable de comprendre pourquoi ces livres plaisent, que ce soit aux jeunes gens ou à d' autres; je ne m'y attendais pas et je suis la dernière à pouvoir l'analyser…je n'en ai pas envie non plus..
Non je n'y pense pas. Je pense juste à une histoire que j'ai envie d'entendre, que j'ai envie qu'on me raconte. Alors, je me la raconte à moi-même, un peu, certes, comme à un enfant qui s'endort. Je ne crois pas que j'ai réussi à devenir vraiment "adulte", au sens solide du terme. Il y a là un monde de certitudes (apparentes ?) et d'ambitions pragmatiques qui m'échappe totalement. Comme à bien des adultes, je crois.
Fred Vargas
Oui, mais je suis incapable d'écrire sur commande. Le résultat est toujours nul. En outre, sauf au petit âge, je ne crois pas trop à une littérature spécifiquement construite pour les enfants, selon les thèmes que les adultes s'imaginent être les leurs. C'est un peu les enfermer. Je préfère qu'ils trouvent eux-mêmes dans les livres des "grands"ce qui leur plaît et ils le trouvent sans aucun problème.
Fred Vargas : Je ne voulais pas pour ce projet lui passer une histoire déjà écrite qu'il "illustrerait". J'ai donc écrit un texte adapté à ce que je savais de son dessin et de ses thèmes. Ainsi, je ne pouvais pas, pour Baudoin, créer une vraie énigme, un vrai "who done it?". Ce n'est pas du tout son genre. J'ai mis aussi des personnages en mouvement (rollers) en raison de sa manière de dessiner les gestes, les courses, la danse, etc. bref, une histoire où son dessin et son imaginaire puissent s'intégrer au mieux, pour qu'on ne ressente pas trop le "collage" entre récit et image. Voilà. Je lui ai envoyé le texte et il m'adressait par fax les pages les unes après les autres. Je n'ai rectifié que quelques images, pas plus.
Non, c'était juste un ovni pour les dix ans de la maison Viviane Hamy. Pourtant, j'adore la bd. Avant le premier roman policier, j'ai dessiné une planche de bd, je voulais tenter la chose. Mais ma sœur jumelle -qui est peintre- m'a confirmé ce que je voyais moi-même très bien : je n'étais pas assez bonne en dessin pour m'en sortir. J'ai donc laissé tomber.
Fred Vargas : Sensible au sens où un prix représente toujours un encouragement pour poursuivre. Comme j'ai très peu confiance en moi, ces prix m'aident indiscutablement. Mais, pourtant -comment dire ?- je n'y suis pas sensible au plan de la "distinction" que cela représente. Un prix, cela veut dire que c'est le "meilleur polar de l'année" ???? Eh bien, je n'y crois pas, je n'y crois jamais. Je n'ai jamais la sensation de réussir mes livres, jamais. C'est pourquoi je recommence toujours, dans le doute sans fin. à cela, les prix ne changent rien.
Simple, très simple, puisque je ne sais pas faire mille choses : d'abord, aller jusqu'au bout de l'affaire Battisti pour tenter de sauver sa vie. Je n'entreprendrai rien d'autre avant cela, rien qui prenne de l'énergie sur celle que réclame cette bataille. Tant qu'une vie est en jeu, ce n'est pas le moment de s'arrêter et de se dire" tiens, et si je me racontais une bonne petite histoire ??" Ensuite, et si on y parvient, faire la fête, plein de fêtes, et se reposer de ce lourd combat. Et puis, me mettre a un nouveau livre. J'y pense chaque soir en m'endormant, sans être sûre d'y parvenir. Cette incertitude, elle est là à chaque livre. Je ne suis jamais sûre d'y arriver. Mais tel est le projet, il est tout bête.