Vous êtes ici :

Entretien avec Delphine Roux-Bellicaud

Par Anne-Sophie Le Vincent, Myriam Botino,
[mai 2017]

Mots clés : smartphone, tablette numérique, expérimentation pédagogique

  • Google+
  • Imprimer

Delphine Roux-Bellicaud est principale adjointe au Collège Henry IV de Poitiers.

Bonjour, pouvez-vous nous présenter votre parcours professionnel ?

Delphine Roux-Bellicaud : J'ai été tout d'abord formatrice de français et histoire-géo dans un CFA pendant 3 ans avant de passer le PLP en lettres-histoire.

Au bout de 12 d'enseignement, je commençais à rêver d'autre chose, je voulais avoir un rôle différent auprès des élèves et des collègues enseignants. Je voulais impulser des projets, faire évoluer la pédagogie et le système.

J'ai passé le concours de chef d'établissement en 2015, l'ai obtenu et suis en poste au collège Henri IV à Poitiers.

En tant qu'enseignante de lettres-histoire en lycée professionnel, vous avez mis en place un projet pédagogique relevant d'une démarche BYOD. Qu'est-ce qui vous a motivé dans cette démarche ?

Delphine Roux-Bellicaud : Ce qui m'a motivé d'abord, c'était les carences du système. J'étais dans un lycée professionnel de milieu rural dans lequel il y avait peu de pratique du numérique. De plus, des salles informatiques qui ne fonctionnaient pas et des soucis de maintenance m'ont conduite à trouver une alternative pour pouvoir faire travailler mes élèves avec le numérique.

Ce sont des lectures d'articles sur la démarche BYOD au Canada et aux Etats-Unis qui m'ont convaincues.

Quelles ont été les étapes de mise en œuvre de ce projet ?

Delphine Roux-Bellicaud : Les élèves ont été enthousiastes rapidement, ma hiérarchie également. Les freins ont été du côté des enseignants. J'ai essuyé beaucoup de critiques, j'ai même reçu des mails d'insultes.

J'ai d'abord travaillé avec ma chef d'établissement et le DAN de l'Académie de Poitiers, le CARDIE aussi, pour fixer le cadre institutionnel et juridique de l'action.

Nous avons rédigé un avenant au règlement intérieur que nous avons fait voter au CA.

Puis, j'ai fait construire une charte d'utilisation (carte mentale) des BYOD à mes élèves concernés. Cette charte a été co-signée par divers acteurs : les élèves, leurs familles, moi et la chef d'établissement. J'ai rédigé un courrier aux familles pour expliquer le projet.

A la fin, j'ai fait une évaluation de ce dispositif qui s'est révélée très positive.

Quels enjeux et limites identifiez-vous dans l'utilisation des outils mobiles des élèves en contexte pédagogique ?

Delphine Roux-Bellicaud : Les enjeux sont nombreux et très importants. Pour ma part, je considère que savoir utiliser à bon escient ses objets personnels connectés est une nécessité à l'heure actuelle. Nous préparons des jeunes gens à entrer dans leurs vies universitaires ou professionnelles dans lesquelles les compétences numériques vont être essentielles.

Une des difficultés qui se pose est la capacité de mémoire des appareils. Certains élèves ne veulent par exemple pas enlever leurs jeux de leur smartphone pour y mettre des applications pédagogiques.

Le travail préparatoire des enseignants peut également être un vrai casse-tête avec tous ces différents outils à prendre en compte. Il faut impérativement les former et les accompagner quand on entreprend une telle démarche. Là, le rôle des partenaires est capital : CARDIE, DANE, CANOPE….

Actuellement principale adjointe, le BYOD est-il autorisé dans votre établissement et utilisé par l'équipe enseignante ?

Delphine Roux-Bellicaud : Cette année nous sommes dans une expérimentation BYOD pour une classe de 4ème. Seulement 4 professeurs jouent réellement le jeu mais cela fonctionne très bien. Les élèves sont ravis. Ils sont de fait plus créatifs et travaillent de façon plus collaborative.

Et puis nous assistons à un début d'essaimage dans le collège. Certains professeurs s'y mettent aussi. Des élèves à besoin particulier (allophones, EIP, Dys…) ont bien compris les avantages de travailler ainsi et nous demandent l'autorisation d'apporter leurs appareils connectés personnels en classe.

Pensez-vous que cette démarche pédagogique puisse modifier les rapports entretenus entre enseignants et élèves ?

Delphine Roux-Bellicaud : Cette démarche pédagogique est basée sur le travail collectif et l'horizontalité des rôles de chacun. Le professeur n'est plus seulement le « sachant » qui se place « au-dessus » mais bien « à côté » pour guider l'élève dans ses apprentissages. Pour l'avoir expérimenté moi-même en tant que professeure, les relations avec les élèves basculent légèrement vers quelque chose de plus fraternel. Une complicité s'instaure, l'échange de pratiques, quel que soit l'âge ou la fonction, fait naître un nouveau respect.

En quoi la pratique du BYOD dans les établissements scolaires interroge et concerne la communauté éducative dans son acception la plus large ?

Delphine Roux-Bellicaud : La démarche BYOD n'est pas seulement le fait d'utiliser un smartphone en classe, c'est un changement de culture. L'école est un lieu de partage, d'apprentissage et d'ouverture sur le monde. Le numérique est un des outils pour véhiculer cela.

Travailler avec cet objet « doudou » qu'est le smartphone permet à chacun d'acquérir une pratique raisonnée et citoyenne d'internet. Nous avons aujourd'hui, tous, des micro-ordinateurs en poche, il faut savoir les utiliser car cela permet un autre rapport au temps et à l'espace. Toute la communauté éducative doit être impliquée car il s'agit d'un changement sociétal qui s'opère et l'Education Nationale ne doit pas « rater le train » qui est en marche.