Inflow : de la construction d'un modèle à l'expérimentation

Il propose une réponse possible à la nécessaire adaptation des « modèles prescriptifs » de la recherche d'information (Dinet & Tricot 2008 ; « prescriptive guidelines », Johnston Webber 2003) au vu des évolutions sociales, technologiques et pédagogiques en cours. En effet, un consensus international se fait jour quant à la nécessaire refonte des standards ou référentiels et, plus profondément, quant à la re-conceptualisation de la notion de maitrise de l'information (Tuominen 2007, Kutner Armstrong 2012, Karsenti et al 2014, McNicol 2014) [1]. Il s'agit de s'adapter aux pratiques effectives d'un usager qui n'est plus seulement chercheur ou récepteur d'informations, mais producteur lui-même d'informations et de « méta » informations (commentaires, licences,…) ; à une information fluctuante ayant vocation à être construite plutôt que seulement trouvée ; à la dimension collaborative des interactions informationnelles (travaux de groupes, réseaux sociaux…). Autant d'éléments qu'ont également essayé de prendre en compte les révisions appliquées à certains standards classiques (ACRL 2005 [2], AASL 2007 [3], Sconul 2011 [4]).

Le modèle InFlow rompt avec les standards existants, en premier lieu de par sa présentation formelle, et de par son caractère non-linéaire. Il propose en effet la mise en œuvre de huit activités pédagogiques scénarisées dans lesquelles les compétences info-documentaires ne sont pas seulement intégrées ou mentionnées, mais réellement mises en œuvre.

Un contexte : le projet iTEC

L'objectif principal du projet iTEC visait à tester en classe et à produire des scénarios pédagogiques dits « innovants ». D'un point de vue pédagogique, ces scénarios se basent sur l'apprentissage par l'enquête (inquiry based learning) et sur le travail coopératif/collaboratif : ils impliquent ainsi le recours aux technologies de l'information et de la communication pour la collecte de données, la recherche d'informations, le partage, le stockage et la communication des éléments collectés ou des productions élaborées. Chacun de ces scénarios amène les élèves à bâtir collectivement un projet, à élaborer des ressources qui sont ensuite mises à la disposition d'autres personnes, essentiellement d'autres élèves (sur le site internet de l'établissement par exemple). Ils sollicitent chez les élèves comme chez leurs enseignants la mise en œuvre de compétences info-documentaires pointues, la prise en compte de différents points de vue exprimés sur le projet en cours et une réflexion permanente sur la démarche du groupe et de chacun de ses membres.

Une méthodologie

Ces scénarios s'appuient sur les principes de la « pensée créatrice » (Design Thinking), popularisée dans au début des années 2000 par l'institut de design de l'université de Stanford et par Tim Brown, fondateur de l'agence IDEO (Brown 2008). Cette méthodologie vise à renouveler les méthodes de conception (design) et à améliorer les processus de l'innovation y intégrant une dimension humaine fondamentale. Il s'agit de ne plus seulement concevoir des produits mais également des services, susceptibles de respecter trois logiques à savoir : désirabilité, viabilité, faisabilité. Cette méthode s'exprime sous la forme d'« espaces » plutôt que d'étapes ou de moments : « « espace de l'inspiration » (caractériser et problématiser la situation), l'espace de « l'idéation » (imaginer, développer et expérimenter des idées), et l'espace de « l'implémentation » (intégrer un projet sur un marché, rencontrer la cible, les utilisateurs) ». Les scénarios iTEC proposent d'appliquer au domaine éducatif, enseignement et apprentissage, ces processus de conception d'un projet, d'une ressource ou d'un objet : identifier une problématique en fonction d'un environnement, d'un contexte, déterminer une ou des idées susceptibles d'y répondre, concevoir la forme qui incarnera ce concept, communiquer son « prototype » aux commentaires d'usagers, pairs ou experts, prendre en compte un certain nombre de données extérieures qui vont orienter cette conception (recherche d'informations, recueil d'avis, analyse comparative, état de l'art ou observation…), documenter son parcours.

Le Design Thinking comporte une dimension de réflexion sur les espaces physiques dans lesquels se déroulent les activités de conception ainsi que sur les modalités de constitution des groupes et les relations comportementales qui s'y jouent. Les scénarios iTEC ont ainsi amené les enseignants qui les ont expérimentés à repenser les espaces d'apprentissages dans lesquels ils évoluent en fonction de leurs pratiques pédagogiques, en premier lieu la salle de classe et ses outils. Ainsi, l'enseignant doit-il pouvoir prendre en compte le rythme de travail et l'organisation de chacun des groupes ainsi que les apprentissages distanciés (en dehors de la classe et du temps scolaire) permis par les dispositifs connectés (récolte de données sur le terrain, lors d'une sortie en famille le week-end par exemple).

Des exemples de réalisations

Concrètement, le projet iTEC a vu 5 séries d'expérimentations, impliquant chacune pendant 3 à 4 mois le test de scénarios pédagogiques. En France, ce projet a vu s'impliquer 85 enseignants volontaires de différents niveaux scolaires à partir du CP et de différentes disciplines (29 professeurs des écoles, 56 professeurs de collège, lycée ou lycée professionnel, répartis sur 13 académies). Tous les scénarios et activités testés et/ou produits dans le cadre d'iTEC sont consultables en ligne :

• Pour la France : http://www.cndp.fr/itec
• Pour le projet global : http://www.itec.eun.org

Pour donner quelques exemples de réalisations, citons le projet d'un enseignant de SVT en collège dont les élèves ont évalué la possibilité de « fabriquer de la terre » et ont mené à bien les différentes étapes de conception d'une « machine », type composteur. Cet objectif les a obligés à comprendre de quoi était constitué le sol en faisant des observations de terrain et des recherches documentaires, à rédiger une notice et des conditions d'utilisation pour leur machine, en cherchant des informations en ligne ou en comparant des notices existantes. Citons également la création d'une carte collaborative en ligne des ressources patrimoniales locales documentée par des élèves de CE2. Ou bien encore la réalisation de tutoriels vidéos (via smartphones) en ligne en cours de chimie par des élèves de première (http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/temoignages/realisation-de-tutoriels-video-en-physique-chimie-a-l-aide-de-smartphones-1210.htm).

« Inflow » (Information Flow)

Les huit modules

Voici en quoi consiste chacun de ces 8 modules pédagogiques, pouvant être mis en œuvre dans n'importe quel ordre, voire répétés autant de fois que nécessaire :

• Demander (Ask) : cette activité consiste à recueillir et prendre en compte le point de vue du public cible de(s) production(s) ;
• Collaborer (collaborate) : cette activité désigne les étapes clés du travail en groupe ;
• Explorer (explore) : cette activité renvoie à la collecte de données ou d'informations ;
• Imaginer (imagine) : il s'agit là pour les élèves de planifier leur projet, de le mettre en perspective en fonction des moyens à disposition ou à prévoir, des difficultés à surmonter etc… ;
• Faire (make) : cette activité désigne la concrétisation de la production visée par les élèves, non seulement sa réalisation finale mais aussi voire surtout ses différents états intermédiaires (« prototypes », brouillons…) ;
• Cartographier (map) : cette activité met en œuvre la réalisation de cartes mentales qui aideront les élèves à organiser leurs idées ou à gérer leur projet. Elle peut se placer à tout moment de sa mise en œuvre ;
• Réfléchir (reflect) : il s'agit pour les élèves de consigner « au jour le jour » l'avancée de leur projet grâce à de courts clips audio ;
• Montrer (show) : les élèves présentent leurs productions, à différents moments de leur réalisation, à d'autres personnes.

L'expérimentation

Ce modèle est actuellement testé en Angleterre. Nous vous proposons de le tester en France et de participer à une enquête à l'issue de cette expérimentation. Ce modèle se veut flexible, adaptable aux situations de terrain et collaboratif : ainsi chaque enseignant intéressé pour le tester en classe peut faire part des résultats de son expérience et ainsi contribuer à aux évolutions du modèle.

InFlow en anglais : http://www.esri.mmu.ac.uk/resstaff/inflowmodel.pdf

InFlow en français : http://www.esri.mmu.ac.uk/resstaff/inflowmodelfrench.pdf

Questionnaire post-test en classe : http://goo.gl/forms/ZGswG7wiXk