Intervention de Max Butlen sur Anaïs Vaugelade, le 10 avril 2013 – Partie 1 : La conduite des histoires

Du monde quotidien au monde imaginaire ; l’irruption du fantastique

Par Max Butlen, maître de conférences

Dans la conduite des récits, Anaïs Vaugelade part assez souvent d’une scène de la vie quotidienne :
– Zuza prend son bain, dans la baignoire, elle se savonne un bras[1];
– Zuza dans la cuisine ne veut pas de son dîner[2];
– À la crèche, Amir se prépare à s’endormir après que les dames ont installé les lits et tiré les rideaux[3];
– Dans la grange, Amir aimerait jouer avec deux chatons, il les suit[4];
– À la ferme, Amir admire un tracteur vert[5].

Après ces pages d’ouverture, tout bascule rapidement dans l’imaginaire et le récit se déploie :
– Un crocodile émerge dans la baignoire de Zuza, la petite fille l’expulse fermement, le domestique et finalement l’accueille comme compagnon et auxiliaire de toilette.
– Puisque Zuza ne veut pas manger son dîner, le dîner s’envole par la fenêtre. Zuza le poursuit dans les airs, le dîner atterrit sur la table d’un crocodile avec lequel Zuza se bat en duel ; elle récupère enfin son bien et déclare l’adorer.
– Pendant la sieste, Amir invité par une mouche, grimpe au mur, marche au plafond, s’envole.
– Un jour, le tracteur vert appelle Amir ; Amir monte. Le tracteur roule vers la crèche…

Ainsi, l’imagination prend-elle régulièrement le pouvoir.
Celle de l’enfant qui joue et celle de l’auteur qui le met en scène.
À partir de faits réels plausibles, de situations familières ou en tout cas connues, on bascule dans l’étonnant, l’extraordinaire. Comme chez Lewis Carroll ou à l’instar de certains films d’animation, le glissement de « l’autre côté » du réel se fait tout naturellement au tournant de récits qui embarquent le lecteur dans des aventures insolites :
– une barrière s’enfuit « à toutes pattes[6] » ; une coccinelle donne au petit héros « trois points rouges de magie[7] » ; la forêt devient dévoreuse quand le petit chevalier y entre[8]…

Il arrive aussi que, dans le déroulement du récit, le fantastique fasse irruption et qu’un univers terrifiant surgisse. Le garçon qui ne connaissait pas la peur en offre un bel exemple. Probablement après un accident de voiture, un bébé a été recueilli par une famille adoptive mais elle le chasse durement quand il arrive à l’adolescence. Mis à l’épreuve par une charmante jeune fille, il doit passer la nuit dans une villa hantée pour connaître enfin la peur. Il combat une armée de ouistitis à tête de crane puis il est massacré et démembré par un squelette effrayant. Il est recueilli par un petit homme et une petite femme qui le reconnaissent comme leur fils et qui rassemblent ses membres épars pour le reconstituer mais, lorsque le couple découvre que le garçon a un cœur trop lourd, « un cœur en pierre », il décide de l’abandonner.
Dans cet album comme dans nombre d’autres, le récit semble se dérouler selon la mécanique et la logique des rêves. Deux enchainements narratifs peuvent en résulter.

Dans un premier cas, le voyage imaginaire, ou le rêve, se révèlent essentiellement agréables, c’est le cas pour Amir dans Mouche qui espère bien retrouver le lendemain sa compagne volante. Ce l’est aussi, globalement, pour Eli, le petit lion du Matelas magique[9] qui n’en finit pas de « passer de l’autre côté », qui s’éloigne toujours plus dans le temps et dans l’espace, voguant d’un monde à un autre, jusqu’à ce que sa maman prétende le réveiller. Dans d’autres cas, le rêve (ou le parcours) vire au cauchemar et celui-ci occupe alors une place dominante dans le récit (Le cauchemar de Gaëtan Quichon ; Le garçon qui ne connaissait pas la peur) même si la fin des récits est plutôt heureuse comme dans beaucoup de contes traditionnels.


[1] Zuza dans la baignoire, L’école des loisirs, 1998

[2] Le Dîner de Zuza, L’école des loisirs, 1998

[3] Mouche, L’école des loisirs, 2012

[4] Chatons, L’école des loisirs, 2012

[5] Tracteur, L’école des loisirs, 2012

[6] Le chevalier et la forêt, L’école des loisirs, 2012

[7] idem

[8] Idem

[9] Le matelas magique, L’école des loisirs, 2005

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